Propositions d'écriture

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Une langue verte, une langue qui en a

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LA LANGUE PATERNELLE
Dans ces bras-là, Camille Laurens, P.O.L., 2000.

"à partir de dorénavant
ça me ferait mal aux seins
ça te passera avant que ça me reprenne
ça me fait braire
je m’en tamponne le coquillard avec un presse-purée à réaction
un trou avec du poil autour
baiser à couilles rabattues
les bijoux de famille
chauffe un marron, tu le fais péter
une tête de nœud
des yeux en trou de bite
le trou de balle en chou-fleur
tout est dans tout et réciproquement
je suis contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre
ça ne vaut pas un pet de lapin
aqua sacerdote Theba
Tadla, mère d’Athalie, quête
On n’est jamais assis que sur son cul.
On ne lit pas à table.
Qu’est-ce qu’elle raconte la veuve douairière ?
Tu étais encore dans les couilles de ton père.
Regarde-moi quand je te parle.
Quand on n’a rien à dire, on se tait.
On ne doit pas juger ses parents.
C’est mon opinion et je la partage.
Sans commentaires.
Point final.

J’ai fait une expérience, hier ; je me suis inspirée d’un test scolaire sur la mémorisation : j’ai couché sur le papier toutes les phrases que j’ai retenues de mes proches, tout ce qu’ils ont dit assez souvent ou assez solennellement pour que je m’en souvienne. Vous voyez ? J’ai commencé par mon père, c’est venu tout seul, sans presque chercher, en dix minutes j’en avais deux pages pleines : des expressions à lui, des blagues, des citations qu’il faisait souvent, dans mon enfance.
Et puis j’ai relu. Je crois que j’espérais trouver une sorte de secret, une formule magique où se condenserait tout le père, son essence. Mais quelle expérience atroce ! A quoi se réduit notre être, soudain ! (…)
Le secret du père, c’est sa langue — une langue crue, des plaisanteries de carabin, des mots de corps de garde, des calembours de potache sur le sexe et les femmes, bref une langue d’homme. Le père lui parle ainsi, dans l’enfance, afin qu’elle l’apprenne, qu’elle s’en imprègne. (…) Est-ce ainsi que les hommes parlent ? Certainement puisque c’est la langue du père. Les hommes ne parlent pas d’amour — ni « ma chérie », ni « mon amour ». Les hommes ne s’apitoient pas, ils s’amusent : « vas-y, pleure, tu pisseras moins. »
Les hommes ne fleurissent pas la langue de métaphores efféminées, de figures romantiques : le long fruit d’or n’est qu’une poire, la femme un trou avec du poil autour. Foin de savante poésie : j’appelle un chas un con et les mots pour le dire arrivent aisément. C’est une langue verte, une langue qui en a…".