Corps écrit

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Yoshimura (Akira) > La jeune fille suppliciée sur une étagère

Présentation

Akira Yoshimura, La jeune fille suppliciée sur une étagère suivi de Le sourire des pierres, Actes Sud, 2006.

> Présentation de l'éditeur
Elle a seize ans. elle vient de mourir. Allongée sur un tatami, elle voit deux hommes arriver et, contre son corps encore chaud, donner une enveloppe à ses parents. Dans une grande voiture noire, les deux hommes déposent son cercueil. Les noeuds du bois la gênent un peu. A travers les parois, elle voit ses parents s'éloigner, sa ruelle sordide, les passants, le ciel, puis plus loin, l’arrivée à l'hôpital et l'entrée de son cercueil par la porte de derrière.
Elle a seize ans. elle est morte, tout à fait morte. Mais elle entend, elle ressent, elle voit plus que jamais ce qui l'entoure. Et, lorsque son corps est placé sur une table de pierre, lorsque les blouses blanches s'approchent scalpel en main, elle comprend...

> Extrait

À partir du moment où ma respiration s’est arrêtée, j’ai soudain été enveloppée d’air pur, comme si la brume épaisse qui flottait alentour venait de se dissiper pour un temps.
Je me sentais aussi fraiche que si l’on m’avait baigné les corps tout entier dans une eau limpide et pure.
Je m’apercevais que mes sens étaient tellement affûtés que c’en était étrange.
À travers la fenêtre brillaient des toiles d’araignée couvertes de gouttelettes, tendues comme des hamacs entre l’auvent de la maison et celui de l’autre maison derrière, et qui m’éblouissaient.
Les toiles s’agglutinaient dans la pénombre de l’avant-toit de la maison sur l’arrière. Je pouvais voir très distinctement une petite araignée qui s’était posée sous l’auvent pour s’abriter de la pluie. Sur son joli petit ventre gonflé comme un bourgeon poussaient une multitude de poils délicats et je pouvais même distinguer l’éclat blanc de la minuscule goutte d’eau qui perlait à leur extrémité.
Mon ouïe elle aussi était pure et pénétrante.
Je pouvais distinguer très nettement le bruit de la pluie tombant de l’extrémité du toit, y compris les différences de timbre lorsque l’endroit où elles tombaient n’était pas le même.
Le bruit monotone et sec de quelque chose qui éclate était celui des gouttes de pluie tombant sur le seuil de pierre de l’entrée de la cuisine. Un bruit clair et vaguement joyeux, celui des gouttes qui tombaient sur la terre où affleurait le gravier, au pied des fenêtres. Mon oreille discernait même très clairement le frottement des gravillons à l’intérieur des petites flaques s’entrechoquant à chaque goutte qui tombait.
Soudain, mes sensations furent troublées.
Un coup de Klaxon, léger mais strident, effaça la musique claire et pure de la pluie. La voiture qui venait me chercher était arrivée. Je tendis l’oreille. J’entendis un claquement de portières suivi de pas s’approchant de la maison en évitant les flaques. Je concentrai mon regard sur la vitre de la porte d’entrée. Quelque chose de blanc se refléta légèrement sur le verre dépoli, des bouts de doigts d’une intense couleur chair se collèrent à l’encadrement de la porte qui s’ouvrit en grinçant.