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Traite des noirs > Commerce triangulaire, économie atlantique

Présentation

TRAITE DES NOIRS

Au XVIe siècle se met en place le commerce triangulaire. Chargés en Europe, des armes, de l'alcool, de la verroterie et des textiles sont échangés en Afrique contre des captifs. Devenus esclaves dans les plantations, ils produisent des matières brutes (sucre, tabac, cacao, indigo…).
Des captifs noirs furent utilisés un peu partout dans l'Antiquité, aussi bien dans l'Égypte des pharaons qu'en Grèce et à Rome. Durant le haut Moyen Âge apparaissent des circuits de trafic de Noirs vers l'Indonésie, la Chine et, surtout, vers l'Inde. Néanmoins, les découvertes maritimes des XVe et XVIe siècles et l'émergence d'une économie-monde – où l'esclavage noir devient un facteur de production indispensable à l'exploitation des plantations américaines – ont donné au commerce de captifs africains des dimensions jusqu'alors inconnues. Loin de se réduire aux opérations de capture, de troc, d'achat, de vente et de transport d'Africains d'une côte à l'autre des océans, la traite des Noirs s'est insérée dans une trame complexe de relations politiques, économiques et sociales au sein de la révolution commerciale que précédèrent et préparèrent les transformations accomplies par la révolution industrielle. Au cours des décennies de 1970 et de 1980, des sources disponibles dans différents pays du Vieux et du Nouveau Monde ont été rassemblées et informatisées, permettant ainsi que des équipes internationales de chercheurs soumettent les interprétations traditionnelles sur la traite des Noirs à une vérification critique et empirique.
Recouvrant dès lors un domaine qui englobe des sciences aussi diverses que l'anthropologie, l'épidémiologie, la démographie, l'économétrie, ainsi que l'histoire de l'Europe, de l'Amérique et de l'Afrique, les études actuelles sur la traite apportent un nouvel éclairage sur l'évolution des nations de ces trois continents et permettent de mieux saisir les différents stades de l'économie atlantique, depuis les découvertes du XVIe siècle, jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale.

Le commerce d'esclaves en Afrique
Pour mesurer les conséquences du pillage exercé sur les populations du continent noir, on doit tenir compte de plusieurs facteurs. Avant que les îles atlantiques (Madère, Canaries, São Tomé) et l'Amérique ne soient reliées au commerce négrier, des réseaux caravaniers et maritimes approvisionnent déjà le nord de l'Afrique, le Moyen-Orient, l'Inde et l'Insulinde en captifs originaires d' Afrique noire. Le Maroc, Tripoli, l'Égypte et l'Arabie du Sud se détachent alors comme des marchés régionaux d'esclaves. Commencée avant la Grande Déportation atlantique (XVIe-XIXe s.), la traite transsaharienne orientée vers le nord de l'Afrique et l'Arabie prendra fin aussi après celle-ci. Au total, près de 8 millions d'esclaves seront transportés par les réseaux transsahariens et ceux de la corne de l'Afrique entre le VIIIe et le XIXe siècle. Moins intenses mais plus pérennes que celles de l'Atlantique, les déportations vers le nord - nord-est de l'Afrique sont aussi moins connues. Touchant à des questions traumatisantes du passé des sociétés et des nations, la discussion sur la traite dépasse parfois le débat historique pour s'engager dans la polémique politique. La sous-estimation du nombre de Noirs transportés vers l'Amérique est éventuellement perçue comme un moyen destiné à minimiser les conséquences du pillage occidental sur l'Afrique, alors que les études sur la traite transsaharienne, concernant généralement le monde islamique, peuvent être suspectées de vouloir envenimer les rapports entre Arabes et Noirs d'Afrique.
Trois marchés esclavagistes ponctionnent les populations noires à l'époque moderne : le premier est celui des zones esclavagistes à l'intérieur même de l'Afrique, dans la région subsaharienne, le second, le Moyen-Orient et le Maghreb, le troisième, l'Amérique. Chacun de ces marchés possède ses propres caractéristiques. En Afrique subsaharienne, le prix des captives dépassait celui des captifs, car la productivité des femmes – non seulement comme domestiques, épouses et mères, mais aussi comme travailleuses – était supérieure à celle des paysans et des artisans masculins dans la plupart des sociétés de l'Afrique noire. Structurellement limitée, en raison de la demande restreinte des produits mis en valeur par des captifs, cette économie africaine donna néanmoins lieu à des réseaux de traite qui facilitèrent la pénétration du grand commerce atlantique d'esclaves au XVIe siècle. En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, les prix des captives était plus élevé encore que dans la région subsaharienne, bien que des esclaves masculins y fussent aussi utilisés dans l'agriculture et dans les tâches militaires. En Amérique prédominait, en revanche, l'utilisation d'esclaves masculins. Des recherches concordantes démontrent que les écarts de prix entre les captifs et les captives, les différences de mortalité entre les esclaves des deux sexes pendant la traversée océanique ou le choix des colons esclavagistes à l'achat n'expliquent pas le fait que le nombre d'hommes atteignît en moyenne le double de celui des femmes parmi les 10 millions d'Africains arrivés au Nouveau Monde. En réalité, si moins de captives furent vendues dans les ports de traite, c'est parce que les femmes étaient plus demandées que les hommes sur les marchés esclavagistes de l'Afrique.

Effets de la Grande Déportation
Avant 1650, la traite vers le Nouveau Monde portait sur moins de 10 000 esclaves par an. Ces ponctions, limitées à l'échelle du continent, pesaient déjà sur les régions les plus atteintes : haute Guinée, Sénégambie, Congo, Angola et peut-être Bénin. Un tournant se produit au cours du premier quart du XVIIIe siècle, lorsque la demande américaine – activée par l'essor des plantations en Amérique du Nord et aux Antilles, ainsi que par l'exploitation simultanée de l'agriculture et des mines d'or au Brésil – fait quadrupler les prix des esclaves en Afrique. L'Amérique devient la plus grande zone esclavagiste du monde, dépassant de loin les marchés du Moyen-Orient. Cette hausse du prix des « pièces » accentue les mécanismes sociaux et les politiques de production d'esclaves en Afrique : on voit s'intensifier les razzias perpétrées par les ethnies guerrières, les enlèvements organisés par des bandes, les pratiques coutumières punissant des délits divers de la peine de captivité. En même temps entrent en lice les grandes zones africaines de déportation : baie du Bénin, Côte de l'Or, Loango et surtout Angola. L'accroissement de la demande américaine entraîne une hausse des prix des captifs, diminuant du même coup les transferts d'esclaves vers le Moyen-Orient et la région subsaharienne. Sous l'effet de ces déplacements massifs de population, les sociétés africaines subissent de profonds changements.
Le débat relatif aux ponctions esclavagistes sur le continent noir est déjà ancien. Malthus écrivait au début du XIXe siècle que la démographie africaine pouvait combler les pertes humaines causées par la traite océanique. À la même époque, les abolitionnistes européens affirmaient, au contraire, que ces prélèvements dépeuplaient l'Afrique. Une étude localisée et méticuleuse (P. Manning et W. S. Griffiths, 1988) montre que la traite atlantique a durement éprouvé les populations des régions côtières de l'Afrique de l'Ouest. Peuplées de 25 millions d'habitants en 1730, ces régions avaient perdu de 3 à 7 millions d'habitants en 1850. Même si elles ont été moins nombreuses que celles des hommes, les déportations de jeunes femmes dans la tranche d'âge de 15 à 29 ans – les années les plus favorables de la fécondité féminine – ont lourdement pesé sur la reproduction des populations de la région. Toujours en Afrique de l'Ouest, où les études démographiques sont plus poussées, on peut estimer à environ 12 millions le nombre d'individus capturés à partir de 1700. De ce total, 6 millions ont été déportés outre-mer, 4 millions furent livrés à la captivité domestique et les 2 millions restants périrent en Afrique au cours du processus de leur mise en esclavage.

Les déplacements des circuits de traite

S'il est certain que les migrations forcées furent plus lourdes en Afrique occidentale et centrale, toutes les autres régions ont été touchées à des degrés divers. C'est vers la fin du XVIIIe siècle que les migrations forcées ont atteint leur apogée, avec des moyennes annuelles de 100 000 individus transportés outre-mer. Ce niveau élevé s'est maintenu au début du XIXe siècle. On assiste alors à un déplacement des zones de capture d'esclaves : du littoral vers l'intérieur, et de l'ouest vers l'est du continent. La branche du trafic négrier située en Afrique orientale – qui n'a duré qu'un siècle – reposait sur deux débouchés principaux. Le premier, qui concernait surtout les esclaves masculins, était constitué par les plantations européennes, d'abord celles du Nouveau Monde puis celles de l'océan Indien. Le second débouché, surtout pour les femmes esclaves, était le système esclavagiste du Moyen-Orient, lequel comprenait aussi le Kenya et l'île de Zanzibar. Dans les savanes du Nord et dans la corne de l'Afrique, les achats annuels n'ont pas dépassé 20 000 esclaves, mais l'impact démographique de ce trafic fut aussi important, car ce chiffre comprenait un nombre élevé de femmes. Plusieurs conséquences découlent de ces migrations.
Deux systèmes esclavagistes peuvent être distingués en Afrique noire : l'esclavage lignager ou parental et l'esclavage de marché. Dans le premier cas, les femmes esclaves, travaillant dans l'économie domestique, deviennent souvent des concubines ou des épouses dont les fils pourront éventuellement acquérir des droits qui abolissent leur statut d'esclaves. Cette forme d'esclavage, assimilatrice, prédominante dans les zones côtières, se propage vers l'intérieur de l'Afrique avec l'intensification de la traite atlantique. En conséquence, des changements apparaissent au cours du XVIIe et du XVIIIe siècle, dans la plupart des sociétés côtières, où la polygynie et le travail féminin se généralisent et s'intensifient à mesure que s'accroissent les transferts de jeunes hommes vers l'Amérique. Le second système africain, l'esclavage de marché, fut aussi modifié par la Grande Déportation. Contrairement à l'esclavage lignager ou parental, ce système engageait surtout des hommes. Isolés dans des cases, ceux-ci étaient privés de tout lien familial et travaillaient pour les couches aristocratiques et pour les marchés régionaux. Présent dans les savanes, où les réseaux transsahariens de trafiquants drainaient la plupart des captives, ce système engendra une couche d'individus asservis, désocialisés, transformés en marchandises, qui constituaient une véritable classe d'esclaves. À la fin du XVIIIe siècle s'amorce le déclin de la traite vers le Nouveau Monde et, au XIXe siècle, le trafic de captifs vers l'océan Indien diminue. Ainsi, les circuits continentaux de traite, après avoir approvisionné les marchés étrangers au cours des siècles précédents, vont réorienter les ventes d'esclaves vers les marchés intérieurs africains.

Le regain de l'esclavage en Afrique
Pendant la période allant de 1780 (déclin de la traite vers l'Amérique du Nord et la majeure partie des Caraïbes) à 1850 (fin de la traite vers le Brésil), le prix des esclaves diminue de moitié en Afrique, mettant ceux-ci, en particulier les hommes, à la portée des acquéreurs africains. Étant donné que plus de femmes restent en Afrique et que les déportations d'hommes diminuent, on assiste à une poussée démographique. L'augmentation du nombre d'esclaves, offerts à un prix plus bas, permet l'expansion de l'esclavage africain de marché et des plantations du littoral, lesquelles produisent autant pour les marchés régionaux que pour l'étranger. De ce point de vue, la croissance des exportations agricoles africaines après la fin de la traite découle de l'augmentation de la demande européenne de produits tropicaux, mais aussi de la baisse des coûts agricoles induite par la chute du prix des esclaves. Cependant, la valeur des marchandises vendues (huile de palme, denrées agricoles, gommes, or), croissante dès le début du XIXe siècle, ne parvient pas à maintenir la part élevée de l'Afrique dans le commerce mondial qui était la sienne au moment de la traite des Noirs vers l'Amérique.

La traversée atlantique
De toutes les étapes de la traite des Noirs, celle de la traversée atlantique est peut-être la mieux connue. Les achats et les ventes d'Africains outre-Atlantique donnèrent lieu, dans les États et les colonies impliqués dans ce type de commerce, à des registres fiscaux réguliers. Au total, plus du tiers des voyages négriers entrepris entre l'Afrique et l'Amérique furent dûment enregistrés dans les archives du Vieux et du Nouveau Monde. Néanmoins, la dispersion, jusqu'à une date récente, de la documentation disponible, occasionna un nombre de spéculations au sujet de la Grande Déportation.
À l'origine de ces équivoques se trouve peut-être l'idée que les esclaves étaient acquis à si bon marché dans les ports de traite africains, que, même si la mortalité était élevée au cours de la traversée, à l'issue du voyage les profits des négriers restaient encore considérables. Or il est désormais établi que la valeur des produits destinés à l'achat d'Africains dépassait la valeur des autres composantes de l'entreprise négrière : salaires de l'équipage, nourriture des marins et des esclaves et prix du navire lui-même. Pendant le XVIIIe siècle, près des deux tiers de la valeur des dépenses des trafiquants français concernent l'achat de marchandises de troc. Contrairement à l'idée reçue, les négriers avaient donc tout intérêt à éviter des taux de mortalité excessifs pendant le transport maritime des Africains. Avant le début du XVIIIe siècle, les sources révèlent une mortalité moyenne de 20 p. 100 des captifs pendant la traversée, avec des différences très importantes d'un navire à l'autre. Après 1700 se dégage une double tendance : d'une part, le taux de mortalité décline, d'autre part, la majorité des navires présentent des taux proches de la moyenne observée.
On note alors, parmi les négriers de toutes les nations, la généralisation de mesures visant à diminuer la mortalité en mer des esclaves. L'argument selon lequel des négriers de tel ou tel pays auraient soumis les esclaves à un « meilleur traitement » n'a pas de fondement statistique. Au milieu du XVIIIe siècle, dans toutes les nations négrières, les taux de mortalité en mer se situent autour de 10 p. 100 et, à la fin du siècle, ils tombent à 5 p. 100. Lors de la traite clandestine vers les Antilles et le Brésil, durant la première moitié du XIXe siècle, les taux de mortalité se sont de nouveau élevés. Cependant, l'analyse systématique de milliers de vaisseaux négriers n'a pas permis de déceler une corrélation statistique entre le tonnage, l'espace disponible, et la mortalité des esclaves transportés. Comme l'écrit l'historien H. S. Klein (1988), cela ne veut pas dire que les esclaves voyageaient confortablement ; « cela signifie simplement que, après beaucoup d'expériences, les négriers n'embarquaient que les esclaves en état de traverser l'Atlantique ».
Dans la seconde moitié du siècle, les navires négriers de différentes nations relèvent de modèles très proches et jaugent en moyenne 200 tonnes. Cette constatation sur la spécialisation des flottes de traite réduit la portée historique et statistique du « commerce triangulaire », dans lequel les produits européens étaient transportés en Afrique pour y être troqués contre des esclaves remis en Amérique, où ceux-ci s'échangeaient, à leur tour, contre du sucre expédié en Europe, au cours d'un seul et unique voyage. En réalité, la majorité des produits américains arrivent en Europe dans des navires plus grands que ceux des négriers, alors que la majorité de ces derniers retournent vers l'Europe avec peu de frêt ou sur leur lest. Surtout, le plus volumineux et le plus durable des segments de la traite atlantique, vers le Brésil, qu'empruntaient 38 p. 100 des esclaves transportés pendant la Grande Déportation fut largement bilatéral, très peu de navires négriers partant ou arrivant en Europe.

La traite et la colonisation de l'Amérique
La découverte de l'Amérique suscita l'unification épidémiologique de la planète, provoquant un choc microbien et viral chez les Amérindiens. Déjà atteintes par les maladies contagieuses qui frappaient les Européens et partiellement immunisées, certaines populations africaines parurent mieux adaptées que les Amérindiens au nouveau milieu épidémiologique américain. Dès lors, l'introduction d'Africains, favorisant la contagion chez les Amérindiens, incita les colons à acquérir davantage d'esclaves originaires de régions africaines immunisés contre les maladies infectieuses transmissibles, en particulier contre la rougeole et la variole. Perceptible dès le début du XVIIe siècle, ce choix des colons contribua, à la fois, au dépérissement des populations amérindiennes et au développement de l'esclavage africain dans le Nouveau Monde.
Les caractéristiques d'âge et de sexe des déportés conditionnèrent l'évolution démographique des populations noires américaines. La faible proportion de femmes parmi les esclaves, le fait que celles-ci aient déjà passé plusieurs années de leur période de fécondité en Afrique et le petit nombre d'enfants débarqués rendaient difficile la reproduction des esclaves en Amérique. Comme l'écrit C. Meillassoux, la reproduction « mercantile » des esclaves – par le biais de la traite – était plus rapide et plus rentable que leur reproduction naturelle. Dans ce contexte, les États-Unis, où le taux de reproduction des esclaves a été positif dès le début du XVIIIe siècle, constituent un cas à part dans les annales de l'esclavage moderne. Les arguments attribuant cette spécificité au « meilleur traitement » que les Américains auraient accordé à leurs esclaves ont été rejetés par les historiens démographes, qui ont démontré que la période de fécondité des captives était à peu près semblable dans toutes les régions américaines. Des recherches récentes soulignent, en revanche, l'importance de la durée de l'allaitement. Alors que les esclaves américaines adoptaient les méthodes de l'Europe du Nord, nourrissant leurs enfants pendant une année, dans les autres régions esclavagistes du continent, elles suivaient les traditions africaines, prolongeant l'allaitement au-delà d'une année. L'écart des intervalles intergénésiques qui en résulte semble être l'une des raisons du plus grand nombre de naissances chez les esclaves américaines.
Outre le déclin de la population amérindienne et le taux d'accroissement négatif des esclaves noirs, la traite atlantique fut aussi stimulée par les réticences des Européens à émigrer en Amérique. David Eltis remarque que, du point de vue de l'immigration, le continent américain constitue, jusqu'au milieu du XIXe siècle, une extension de l'Afrique plutôt qu'un prolongement de l'Europe. Pour chaque Européen arrivé au Nouveau Monde autour des années 1820, il entrait quatre, et peut-être cinq, Africains. C'est seulement après les années 1840 que les migrations européennes dépassèrent les transferts forcés d'Africains vers l'Amérique. Néanmoins, l'importance des esclaves ne repose pas uniquement sur le fait que, en Amérique, ils pouvaient être contraints de travailler lorsque les travailleurs libres s'y refusaient. En réalité, les captifs noirs furent liés à un secteur productif spécifique : ils attiraient plus d'investissements, travaillaient plus intensément, plus longuement, de façon plus coordonnée, et ils produisaient des marchandises pour le commerce et l'exportation à une échelle inégalée dans les secteurs coloniaux tributaires du travail libre. La coercition, l'absence de la division sexuelle du travail dans les champs et la reproduction mercantile des esclaves assurée par la traite atlantique entraînent des taux élevés d'activité économique chez les esclaves : plus de 80 p. 100 d'entre eux sont économiquement actifs dans les plantations, alors que, chez les agriculteurs libres contemporains, cette proportion plafonne entre 50 et 60 p. 100. Ces données conduisent à une révision des schémas du physiocrate Dupont de Nemours et du théoricien du libéralisme économique, Adam Smith, sur l'inefficacité relative du travail des esclaves (R. W. Fogel et S. L. Engerman, 1975).

L'abolition de la traite des Noirs
À l'issue d'un puissant mouvement d'opinion influencé par les philanthropes, le Parlement anglais abolit en 1807 la traite des Noirs, au moment même où cette activité était rendue très lucrative par l'essor de la production sucrière des colonies britanniques aux Antilles. Cette prohibition entre en vigueur dès 1808. De même, en 1807, les États-Unis promulguent une loi interdisant le commerce océanique d'esclaves, loi qui sera appliquée en 1808. Peu à peu, les lois nationales et les traités internationaux rendent cette activité illégale. On voit alors apparaître, souvent avec la complicité d'armateurs et de négociants européens, des réseaux de traite clandestine basés dans les colonies ibériques en Amérique, surtout au Brésil et à Cuba. Toute une économie souterraine fit son apparition dans l'Atlantique. Environ 7 750 navires négriers transportèrent près de 2 millions et demi d'Africains vers l'Amérique entre 1808 et 1867 (fin de la traite à Cuba). Le cinquième de ces navires et le seizième des esclaves qu'ils transportaient furent saisis en cours de route par les marines de guerre respectives des nations participant à la croisade abolitionniste. Bien que très peu de vaisseaux négriers aient été anglais et que moins de 1 p. 100 de ces navires aient navigué dans les eaux territoriales britanniques, la Royal Navy fut responsable de la capture de 85 p. 100 des 1 635 navires arraisonnés au cours de ce demi-siècle d'opérations diplomatiques, politiques et navales contre le trafic des Noirs.
Au Brésil, ce changement de politique engendre, en 1850, une véritable renaissance de l'État qui avait proclamé son indépendance à l'égard de la métropole portugaise en 1822. À Cuba, la fin définitive de la traite étiole la domination coloniale espagnole dans les Caraïbes et ouvre la voie à la prépondérance américaine dans la région. Ensuite, il faut tenir compte du rôle spécifique du gouvernement anglais dans la campagne abolitionniste. Par sa politique antinégrière, l'Angleterre consolide la Pax britannica en Afrique et en Amérique latine, réalisant ainsi la domination économique et diplomatique du monde amorcée à l'issue du congrès de Vienne.