Un peu de théorie

Un peu de théorie

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Une consigne tirée d'un roman

Présentation

Quand nous lisons, c’est bien connu, nous voyons tout ensemble la fenêtre à côté de laquelle nous sommes assis, notre index qui tourne les pages, l’ombre de nos cheveux, la pointe de nos chaussures au bout du divan, et des contours plus lointains et moins réels encore.
Depuis que j’anime des ateliers d’écriture, je vois apparaître, en lisant, des objets parasites, presque palpables et peu ténus, que j’appelle la proposition d’écriture complémentaire de chaque livre. Une magie de l’œil.
Les physiciens optiques posent que lorsque nous avons longtemps fixé une couleur déterminée, notre rétine produit la couleur complémentaire. Désormais, quand je lis, l’ouvrage que je tiens se dédouble aussitôt : je parcours un objet spirituel, le livre, mais il possède son correspondant sensible, cette proposition d’écriture qui semble sourdre de lui, mieux, de la rencontre entre mon œil et la page.
Les images qui résultent du choc font mon sujet pour une prochaine rencontre, mon adaptation « atelière » de chaque livre, en somme.
Je ne peux me passer d’inventer de nouvelles propositions d’écriture à offrir, dans ce même geste où je tourne mes pages. Au fond, cela m’aide. Je sens que l’interminable hallucination créée par le livre se laissera enfin étudier dans la proposition d’écriture que j’en tirerai et que je fixerai (ou figerai) avant de la faire lire et étudier par autrui : l’excessive réalité ressemble à un miroir où l’illusion aussi se laisse étudier. Ma lecture était une succession, voire un empilement de mystérieuses pulsations. J’ai à présent les moyens de me tirer du rêve.
Premier temps : le simple fait de consigner sur une feuille de papier le sujet du prochain atelier est déjà un pas qui me sort du livre et du mirage dans lequel il m’a plongée. Deuxième temps : l’écrit d’atelier qui résultera de ma proposition d’écriture sera, lui, une excessive réalité. Quelques-uns enfin auront le courage de procéder au montage de mes visions, les mesureront et oseront prendre la décision (forcément réductrice puisqu’elle est irrémédiable) du « final cut ».
Si je reproche parfois aux textes d’atelier de n’être que surface (en comparaison de la profondeur — des profondeurs— du livre à l’instant lu), je reconnais que la surface révèle dans la variété de ses dessins de secrets enseignements. L’adaptation que font les participants de ma proposition d’écriture permet bien d’amener ces contacts entre le monde des sens et les courants profonds du livre : l’image, éclatante, chaleureuse, mais tenue invisible sous ses sept voiles, de ma récente lecture et celle, moins divine, procédant par bonds successifs mais ayant au moins le mérite d’être visible et définitive, du texte de chaque participant, en quelque sorte fixé sur toile, tendu sur écran, prêt à être vu de tous. En peinture, on dirait marouflé. Voilà, oui, le participant qui s’inspire de la consigne d’écriture que je viens de tirer d’un roman procède à un marouflage de ma propre lecture.
Tout cela est vertigineux et je crois qu’on pourrait, sans exagérer, comparer l’adaptation d’une consigne d’écriture tirée d’un roman à des plafonds peints par les trous desquels on voit des constellations.