Un peu de théorie

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L'art du roman

Présentation

Où en sommes-nous du roman au tout début du XXIe siècle ? Quels sont nos sujets favoris ?
Dans L'Art du roman, publié en 1986, l’écrivain tchèque Milan Kundera affirmait que le roman européen avait répondu, depuis le XVIIIe siècle, à quatre appels. Chronologiquement : l’appel du jeu (j-e-u), du comique, avec Laurence Sterne et Diderot, l’appel du rêve avec Kafka, l’appel de la pensée, avec Musil ; enfin l’appel du temps, l’énigme de la grande Histoire, depuis la Shoah. Quant aux chemins futurs du roman, même si Kundera refusait alors de prophétiser, il y a fort à parier qu’il monte à l’assaut du corps : celui de l’auteur lui-même et de ses proches, famille ou partenaires.
En effet, depuis quelques décennies, le corps est devenu un objet de fascination dans la création artistique et dans le roman en particulier : le corps dans tous ses états et sens dessus-dessous, le corps du dedans, le corps du dehors, la peau et les os, le sexe et la mort, comme si on voulait le disséquer pour en extirper tous les secrets.

Où en sommes-nous du personnage de roman en ce tout début du XXIe siècle ? Que devient celui qui dit JE ? De plus en plus l’autofiction triomphe, au détriment de la pure fiction. L’autofiction est un investissement illimité de la personne réelle dans l’œuvre littéraire. Que devient la relation de l’auteur avec son personnage quand le personnage n’est autre que la personne même de l’auteur ? Quelle est la liberté du « je » de l’autofiction, si vive et surprenante chez les personnages de fiction ? Elle est possible, oui, à condition que l’auteur ne se plante pas devant lui-même comme devant un miroir magnifiant, excitant, mais qu’il tourne ce miroir de soi vers le monde, pour que le monde s’y réfléchisse ; à condition qu’il prenne vraiment le risque de laisser remonter à la surface toutes les nappes de brume se détachant de la vaste masse de « l’ombre interne » qui l’habite, le hante. A condition, finalement, qu’il se perde de vue, qu’il se laisse emporter très au large de lui-même par le flux discontinu du langage. Qu’il s’oublie. Se perdre de vue pour se voir autrement, pour se découvrir autre. Ce sont les questions contemporaines. Voilà où nous en sommes aujourd'hui.