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Sgalambro (Manlio) > Traité de l'âge. Une leçon de métaphysique

Présentation

Manlio Sgalambro, Traité de l'âge, trad. de l'italien par Dominique Férault, Payot, 2001. 

> Présentation de l'éditeur

Depuis Cicéron, le thème de la vieillesse a toujours inspiré des oeuvres prudemment consolatrices ou délicatement élégiaques. A notre époque, vouée à l'idolâtrie de la jeunesse réelle ou apparente, on préfère l'éluder ou l'ignorer. Sgalambro en fait au contraire, dans cet âpre et non conformiste Traité de l'âge, le centre d'une vibrante réflexion sur l'incessante décomposition des choses opérée par le temps - puisque la vieillesse est le «temps horrible et dur, où cependant se cache, avec d'autres, le secret de l'âge». Observateur incisif et implacable, Sgalambro développe en quelques pages très denses les lignes d'une «métaphysique de l'âge» qui deviendra le miroir où se reflète la redoutable apparence de la vieillesse, objectivation de l'essence destructrice du monde. Manlio Sgalambro est philosophe. Il vit en Sicile. Il est notamment l'auteur, avec Jacques Roubaud, de Dialogues philosophiques (Circé, 1993)."
 
> Pour faire connaissance avec le ton de Manlio Sgambrano

"Les penseurs contemporains n'ont plus les nerfs adaptés à la connaissance. Ils ne sentent pas la destruction qui broie, de l'intérieur, leurs pensées et, de l'extérieur, leur corps. Ils n'en tirent pas les conclusions, et c'est pourtant la seule source au bord de laquelle l'être connaissant désespéré s'accroche dans les moments décisifs. Que l'on écoute dans un silence religieux la leçon de Schopenhauer : '… [la] connaissance […] a pour condition nécessaire l'existence d'un corps, dont les modifications sont […] le point de départ de l'entendement pour l'intuition de ce monde'…".

> Extrait
"L'amour tardif est fait de mots. L'amant ne vous saisit pas avec des bras de singe, mais s'insinue en vous avec des mots, il entre dans votre corps avec des synecdoques et des métonymies. Il vous pénètre avec des métaphores et des tropes. L'amour tardif est essentiellement discours. Il apparaît lorsque la parole a remplacé les choses. La grossière étreinte n'est pas érotique, non pas qu'elle interprète seulement la voie de Dieu vers l'amour, mais simplement parce qu'elle n'y arrive pas. L'immédiateté même du coitus s'y oppose. L'érotique au contraire est médiat. Dans l'érotique, l'être humain en général se rédime du lourd poids de la nature. L'érotique n'est pas le naturel. Ou, mieux, l'érotique n'est pas 'nature'. N'est-il donc pas approprié à l'âge le plus pur, à l'âge tardif ? Quand les mains vont et viennent à tâtons sur un corps, l'imagination verbale se tait, ou sa voix est bien faible. Les hyperboles — 'créature divine', 'déesse', 'tu es la Beauté même' (ou bien : 'divine salope') — avec lesquelles on caresse le corps de l'aimée sans l'effleurer ne sont considérées que comme des louanges exagérées. Au contraire, un silence de tombe suivi de gémissements inhumains est normal. Mais le plaisir verbal de dire à sa compagne : 'joie', 'minette', 'ma petite âme', est égal à celui qui fait dire de Dieu au fidèle : 'Bonté', 'Amour', 'Sagesse'… Ces tributs aussi sonnent comme des baisers lubriques.

Quand Sade écrit que le pénis est le chemin le plus court entre deux coeurs, il ne compose pas une maxime, il construit un eroticum. Quelque chose qui appartient donc à un tout autre genre. Tout comme le lion de la fable n'est pas le lion qui rugit et défèque, mais un lion fait de mots. L'atelier de l'érotique a en effet ici, dans les mots, ses outils. La théorie du plaisir indique la gradation hiérarchique de sa montée, et trouve le maximum lorsqu'une figuration verbale en donne l'image et se dissout dans les sens. Le champ est libre pour que les figurations érotiques soient gages du plaisir de vivre, et non pas des subsides pour vitalité en baisse au secours de laquelle elles se porteraient. L'érotique n'est pas le remplacement de quelque chose qui manque, ni la pauvreté d'une imagination indécise et faible. Mais magnificence et opulence.