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Claudie Laks et ses commencements
Régine Detambel
Claudie Laks et ses commencements
Une critique picturale

Date : 2007
Présentation

> Claudie Laks et ses "commencements"

La parole et l’écoute tressée, semblable aux allées et venues d’un enfant qui joue autour de sa mère, qui s’en éloigne puis retourne vers elle pour lui apporter un caillou, un brin de laine, dessinant de la sorte autour d’un centre paisible toute une aire de jeu. La page est la peau de la mère. L’inspiration vient de l’absence de la mère. L’enfant déroule les allées et venues d’un désir qu’il présente et représente sans fin.
L’absence dure. La manipuler, transformer la plaie du temps en va-et-vient, produire du rythme, ouvrir la page, le langage naît de l’absence : bobine lancée et rattrapée, mimant départ et retour de la mère. La mère absente est la première muse. Puis la bobine se fait navette et les va-et-vient tissage. Textor à Rome c’est le tisserand.

Joie de lire avec la main à plume. Ânonner. Maladresses d’écolier. Joie de lancer les formes, sans discontinuer, sans jamais clore la forme. Au commencement. L’art est le commencement de lui-même. Et, avant d’être une toile, il est le commencement de l’être. « La figure tracée est cette ouverture même, l’espacement par lequel l’homme est mis au monde, et par lequel le monde lui-même est un monde : l’événement de toute la présence dans son étrangeté absolue . » Ainsi, chez Claudie Lak, Les entrelacs (entrelaks ?) font le cœur et la vibration d’une œuvre où la brosse et le fusain, l’acrylique et la mine de plomb creusent le lit d’une écriture qui n’advient jamais, sans pour autant desserrer sa prise.
Car quelque chose de l’écriture est bien là. En tout cas la nature première de l’écriture, en tout cas la vivacité et la nervosité de quelques-unes de ses figures. On pourrait dire qu’un texte est toujours infiniment présent dans les signes de Claudie Laks, mais seulement sous forme de trace ou d’accord, qu’il est grondement de fond, profondeur vivante, qui n’appellera jamais aucun lecteur, et pourtant rôde continûment.
Ce malgré tout, ce malgré-elle, ce quelque chose qui subsiste encore d’une écriture — mais d’une écriture sans texte, d’une écriture sublimée par l’extraordinaire travail de condensation des lignes de vibration, des encerclements, des pelotonnements —, vu de près, est un tissu. L’étymologie du mot texte m’y pousse, puisqu’il est l’ouvrage du textor, le tisserand latin, qui trame et ourdit la complexe grammaire des fibres. Le marqueur de Claudie Laks, venant rejouer dans l’ouverture déjà tracée par la matière acrylique, se livrent ainsi à des jeux de navettes, se risquent, déchirent, font et se défont, ressassant et débridant la même blessure. Travail d’entrelacement, aux doigts, des fils actifs et tendus, laines et soies de couleur, qui régénèrent la peau du monde.

Ainsi donc, ce que cherche Laks n’est pas un texte mais l’effervescence d’un dit circulaire — le cercle, élan et refuge. Pas une page mais le trajet dynamique d’une voix ; pas une graphie mais l’émotion pure contenue dans le désordre de lignes encerclantes, les unes sur les autres, prises dans le mouvement tournant de sa main de derviche, qui trouve dans ce qui tourne une extase sans pareille.
Dans chacune de ses toiles, Claudie Laks opère ainsi un retour aux « commencements » — c’est ainsi que Henri Michaux nommait les dessins d’enfants, traçant des cercles plein d’allant, pataugeant dans la matière colorante, et découvrant l’ivresse de la répétition, de toutes la plus naturelle, première des drogues, et ce bonheur du circulaire, qui comprend, dans le même geste, et départ et retour, en « tournantes, tournantes lignes de larges cercles maladroits, emmêlés, incessamment repris encore, encore, comme on joue à la toupie. Cercles. Désirs de la circularité. Place au tournoiement. Au commencement est la REPETITION. Emprise, seuls les cercles font le tour, le tour d’on ne sait quoi, de tout, du connu, de l’inconnu qui passe, qui vient, qui est venu, et va revenir. Circulantes lignes de la démangeaison d’inclure (de comprendre ? de tenir ? de retenir ? Fouillis finalement, fibrilles fouillis fourmillant . »
Incipit vita nova ! Créer est au commencement d’une vie nouvelle. Henri Michaux avait été le premier à évoquer poétiquement les enjeux de ces premiers traits, circulaires ou en va-et-vient. D’abord les « risque et joie du départ. Besoin de retour ensuite. L’aller et le retour. » Michaux avait su insister sur la « joie gestuelle désordonnée » de ces « lignes tracées à tort et à travers ». Laks y voit le principal, c’est-à-dire l’élan, le geste, le parcours, la découverte, la reproduction exaltante de l’événement circulaire, où une main encore faible, inexpérimentée, s’affermit, où la main de l’enfant renoue avec celle du peintre, dans un temps d’avant les distinctions. La vis imaginativa de Claudie Laks, son imagination vive, à l’aspect fusible et clair, proviennent sans conteste de cette source enfantine, jaillie d’avant les grands partages qu’opère la raison adulte, dans ce temps de la création où il n’existe pas encore de contradiction entre dessin et poésie, seulement une entaille légère, un accord imparfait, une instabilité féconde pour qui sait l’explorer souplement.
Saisie dans cette posture, dans le silence calmement violent de son geste d’enfance, Claudie Laks s’étonne peut-être de ce qu’elle nous montre : sa propre forme pelotonnée — celle de l’être même — laissée comme une trace qui ne mène à rien qu’au geste du premier imagier.

par Régine Detambel ©

> Claudie Laks

Claudie Laks a commencé par étudier la littérature et la linguistique avant d’entamer des études artistiques à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris, ainsi qu’à l’université. Elève de Georges Jeanclos, elle développe pendant plusieurs années une pratique essentiellement sculpturale orientée sur un questionnement bachelardien de la terre. Cette période de travail sera récompensée par différents prix, notamment le prix de sculpture de la Fondation Caplain Saint André en 82, le prix de la Fondation Elf Aquitaine en 83, une acquisition du FNAC en 84, et par des expositions, telle que les « Ateliers 81/82 » à l’A.R.C., « Terres d’artistes » à Beaubourg, « Expression Sculpture » au Musée des Monuments Français en 83, ainsi que des expositions à la Galerie Regards en 84 et 86. Artiste invitée à la Manufacture de Sèvres, elle réalise une œuvre sérielle où la porcelaine, travaillée en feuilles, défie les lois de la pesanteur. En 89 une exposition à l’atelier Cantoisel à Joigny avec Georges Jeanclos marque la fin de la pratique sculpturale de la terre. Durant les années 90 le volume regagne progressivement la bidimensionnalité. D’abord à travers une recherche du relief et du fragment : l’argile dans ses différentes matérialités, parfois associée au bois permet des installations en relation avec le plan du mur. Une exposition à l’Institut français de Barcelone en 91 et la participation à l’exposition « Singularités » à la galerie Marwan Hoss en 92 ont pu témoigner de cette recherche. Ensuite elle radicalise sa démarche à travers de grands découpages de contre-plaqué peints mais dans un souci à nouveau paradoxalement sculptural : « tailler dans la couleur », pour reprendre la célèbre formule de Matisse, ou tailler dans le plan c’est aussi sculpter l’espace, le faire résonner. Cela Claudie Laks l’avait certes compris devant les découpages de Matisse et de Picasso mais aussi chez Viallat, et lorsqu’adolescente elle visite l’atelier de Brancusi au musée d’Art Moderne, avenue d’Iéna, elle est subjuguée par ce qui se passe autour et entre les sculptures. Elle montre ce travail des grands découpages à l’atelier Cantoisel à joigny, et au Carré des Arts du Parc Floral en 95. A la galerie Romagny en 99, elle présente une série de collages-découpages sur papier et de grands formats sur toile. La redécouverte du pouvoir spatial et dynamique de la couleur ainsi que les rencontres et échanges avec Christian Bonnefoi et Jean-Pierre Pincemin contribuent à orienter et conforter son travail. Ce qu’elle retient de Bonnefoi, c’est la manière ludique de travailler dans le plan et la couleur, et de Pincemin le geste médium au service de la peinture et le dialogue incessant entre peinture et sculpture. Depuis le début des années 2000, Claudie Laks peint essentiellement sur de grands formats. Le retour à la toile, au pinceau, et à la couleur sont finalement les conditions nécessaires qu’elle revendique pour réaliser une œuvre fondamentalement picturale mais dont la force de présence spatiale rivalise avec celle, depuis toujours incontournable de la sculpture. On a pu voir son travail à la galerie Véronique Smagghe à ARTPARIS en 2003, et 2004. Elle est présente à la FIAC sur le stand d’Eric Seydoux pour le livre d’artistes « Le Souffle à la Surface ». Elle expose une dizaine de grands formats au Grand Réservoir du Kremlin-Bicêtre en 2006. Elle a participé, de mars à juin 2007, à l’exposition du Centre d’art contemporain de Montbéliard : « Orthodoxes-hétérodoxes : choisir sa ligne ». Claudie Laks vit et travaille à Paris et en Bourgogne.