Billets du lever

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Biolittérature

Présentation

Ma définition de la littérature, c'est carrément ce que m'a demandé une jeune thésarde dont j'admire déjà la majesté et la subversion.
Je lui ai répondu ce qui suit, mais, me relisant ce matin, je me demande si je ne lui ai pas donné une définition de la littérature bio

"La littérature est ce qui fermente. Les textes littéraires sont des mères, comme on dit la mère du vinaigre. Cela fermente donc. Un fragment de phrase recopiée d’Ovide ou de Faulkner agit comme une levure ou comme un fond de tonneau, il fait tourner ce qui n’était que liquide. Ça prend. La littérature est ce ferment, elle est celle qui apporte « la vie fermentante » dans l’univers de chacun, trop souvent pasteurisé. Valéry raconte que son poème ‘Le Cimetière marin’ a commencé en lui par un certain rythme, qui est celui de vers français de dix syllabes, coupé en quatre et six. Il n’avait encore aucune idée pour remplir cette forme. Mais peu à peu des mots flottants s’y fixèrent, déterminant de proche en proche le sujet, et le travail (un très long travail) s’imposa. Voilà ce qui arriva dit Valéry : « Mon fragment se comporta comme un fragment vivant, puisque plongé dans le milieu (sans doute nutritif) que lui offraient le désir et l’attente de ma pensée, il proliféra et engendra tout ce qui lui manquait : quelques vers au-dessus de lui, et beaucoup de vers au-dessous. » Des vers. Lombrics, ascaris, animalcules… Des vers à la naissance incontrôlable : ex putri. On pense aux sanctuaires malodorants de la fermentation, de la putréfaction, à la fosse à fumier où s’accomplissent de tièdes processus de transformation de la matière. Un livre, c’est trois gouttes de semence et un peu de sang caillé, en manière de fromage. Le poème : une solution informe d’abord, qui mature et caille en se moulant dans des formes symboliques. Le poème et sa coagulation de lait — ou de sang — sous l’effet de la présure (une lecture, un fragment, une once, une cuillerée à peine…). La littérature est ce qui fait grouiller ces microbes-là, écume et levain de la vie."


7 février 2012