Enfance

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Le prince aux pinces d'or
Régine Detambel
Le prince aux pinces d'or
Flammarion
Illustrations de Michel Boucher

Date de parution : 1998
ISBN : 978-2081606166
60 pages

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Présentation

Omar Langoustinet a rendu service à l'empereur Alban Ier. Pour le remercier, Alban lui propose d'exaucer trois de ses souhaits...

Ce livre est épuisé, mais en voici un long extrait.
A lire à haute voix, bien entendu !
Qui a dit que c'est moins drôle sans les illustrations ?

Extrait
"Au royaume de Homardie régnait le prince Omar Langoustinet et jamais, jamais, de mémoire de crustacés, ne régna prince plus drôle, plus sot et plus ridicule que Omar Langoustinet de Homardie, prince du puissant royaume de Homardie.
A la façon des empereurs terrestres et des paladins de Charlemagne, le prince Omar Langoustinet portait une armure rouge dont il ne se séparait jamais. Lui et tous ses chevaliers marins portaient des heaumes à visières, des casques d’écailles, des panaches de filaments, des cuirasses écarlates et de solides boucliers. Les poulpes jetaient de l’encre bouillante sur leurs adversaires, les buccins sonnaient la charge, les huîtres guerrières catapultaient d’énormes perles sur les armées ennemies et ainsi l’on guerroyait toute l’année, soit contre l’armée de Crevétie, soit contre les troupes du Comte de Cancale ou du Duc de Marennes. C’était selon l’humeur du prince Omar, selon la force du vent et la hauteur des vagues dont on voyait blanchir l’écume au plus fort des batailles. Bref, c’était selon.
Ainsi, le prince Omar de Homardie, comme tous les princes — qu’ils fussent terrestres ou ultramarins — guerroyait-il, signait-il des armistices, déclarait-il des guerres et paraphait-il des traités de paix.

Un jour qu’il se promenait tranquillement, en armure, les pinces croisées dans le dos, aux lèvres une chanson de flibustiers, le prince Omar aperçut, couché sur la litière des écuries royales, enfoui dans le varech qui forme la litière des hippocampes de combat, le prince Omar aperçut, dis-je, un vieux, un très vieux poisson-scie. Il est facile de deviner l’âge d’un poisson-scie. La scie d’un très jeune poisson-scie comporte environ cent dents. La scie d’un vieillard poisson-scie porte à peine vingt dents. Or, la scie de ce poisson-là comptait vingt-deux dents, et le poisson dormait profondément.
— Chut ! hennirent les hippocampes royaux, voilà le prince Omar. Que vient-il faire là ? Nous repartons en guerre ? Qu’on nous accorde un peu de repos tout de même !
Omar se pencha sur le poisson-scie, l’observa longuement et se releva, fort en colère :
— Qui est ce fâcheux qui se permet de dormir dans mes royales écuries ? Je vais le pincer, le dessouder, le défoncer, le liquider. Je vais l’enguirlander, le gronder, le vilipender. Je lui ferai subir le supplice de la fourchette à huîtres.
Aussitôt Omar secoua le poisson-scie :
— Qui es-tu, vieille poiscaille ? Es-tu au moins gentilhomme ? Hé, toi qui fais un somme, qui es-tu ?
Mais le poisson-scie ronflait, faisait des bulles et ne cilla même pas.
Alors Omar entendit le choeur des algues et le choeur des coraux qui bavardaient entre eux et qui se répondaient.
Le choeur des coraux disait :
— Savez-vous, mesdemoiselles, que cet énergumène, ce poisson-scie tout endormi, c’est Sigismond, le papa véritable du grand requin blanc, de l’effrayant, du terrifiant, de l’abracadabrant grand requin blanc ?
— Comment ? demanda le choeur des algues. C’est le papa du grand merlan ?
Le choeur des coraux s’énerva :
— Nenni, belles sourdes, ce poisson-là n’est ni le papa du merlan, ni le papa du flétan, ni celui du hareng. Sigismond, ce poisson-ci, c’est le papa du grand requin blanc, terreur des océans.
— Du grand requin blanc ! s’écrièrent les algues.
— Par Neptune, vous avez bien entendu ! confirma le choeur des coraux.

Quand il sut à qui il avait affaire, et quel illustre poisson-scie couchait là, à même le sol de ses écuries, le prince Omar se radoucit. Il ôta du dos d’un hippocampe une belle couverture d’algues tressées et en couvrit amicalement le vieux poisson.
— Sigismond, chuchota Omar à l’ouïe du poisson, Sigismond, tu vas avoir froid. Pourquoi restes-tu là, couché, tout baba ? Oh, mais tu as bu, beaucoup beaucoup bu ! s’écria Omar.
En effet, il y avait, tout près de Sigismond, une amphore vide qui avait sans doute contenu les vins et les liqueurs que l’on fabrique sur terre et qui sombrent dans les mers à chaque naufrage. A moins qu’elle n’eut contenu ce nectar enivrant que distillent les mérous des côtes africaines.
— Viens, je t’emmène dans mon château. Je te donnerai une purge et puis des grains d’ellébore marine. Sigismond, il te faut un manteau et une longue écharpe d’algues tricotées au point mousse. Sigismond, il te faut un lit chaud, sur un grand tapis de coraux.
— Ha ! Ha ! rit le choeur des algues. Faut-il que tu aies peur du grand requin blanc. D’habitude, l’hospitalité n’est pas ton fort !
— Ho ! Ho ! rit le choeur des coraux. Un grand tapis et un lit chaud pour cet énergumène sans-gêne. Faut-il que Omar de Homardie ait bien peur du grand requin blanc !
Et les algues ondulaient en riant. Et les coraux rougissaient de fou rire."