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Fréchuret (Maurice) > Le mou et ses formes

Présentation

Maurice Fréchuret, Le mou et ses formes, une nouvelle histoire de la sculpture, Jacqueline Chambon, 2004.

> Présentation de l'éditeur
Maurice Fréchuret s'intéresse ici à la " débandade " de la sculpture il suit les manifestations d'une matière qui n'est plus taillée, dressée, érigée mais laissée à ses propres tendances. II s'intéresse à un art qui n'édifie plus mais laisse tomber, couler, pendre, s'amasser les matériaux. Une étude approfondie de quatre œuvres de Marcel Duchamp (notamment le célèbre Trois stoppages-étalon) lui permet de réfuter l'idée d'un Duchamp simplement iconoclaste et de dégager ce que ces œuvres ont d'exemplaire, que ce soit par l'utilisation et la " mise en conserve " du hasard ou par l'introduction de l'élasticité des formes. Maurice Fréchuret propose de regrouper un vaste ensemble d'œuvres du XXe siècle, et plus particulièrement des années 1960 et 1970, sous trois catégories entasser, laisser pendre et nouer. La puissance opératoire de ces catégories permet des rapprochements inédits et significatifs. Le livre inaugure une nouvelle histoire de l'art, diagonale, transversale, plus attentive aux objets qu'à la simple chronologie des mouvements et aux classifications habituelles. Un nouveau regard sur la fin de l'art moderne. Ce livre publié pour la première fois en 1993 a suscité un fort intérêt; c'est pourquoi nous avons voulu le rendre à nouveau accessible aux lecteurs. Nos éditions ont déjà publié de Maurice Fréchuret La machine à peindre.

> Ma note de lecture
L'ouvrage de Maurice FRECHURET, Le mou et ses formes. Essai sur quelques catégories de la sculpture du XXe siècle (coll. « Rayon Art », Jacqueline Chambon, 2004), analyse et recense « la débandade de la sculpture » dès lors qu’elle a perdu ses fonctions de monumentalité religieuse et d’édification politique. « Là où le monument n’est plus, reste le tas, écrit Yves Michaud dans la préface de l’ouvrage. Là où le symbole ne se dresse plus, demeure la coulée. »
Dans une chronologie de ces œuvres marquées par la mollesse, Fréchuret note d’abord la liquéfaction visible chez Dali, avec Le Grand Masturbateur ou la morphologie « élastique et pendante » des Montres molles. Puis Joseph Beuys, encore, choisissant ses matériaux pour leur qualité de conducteur, « au travers de quoi quelque chose se meut » : graisse et feutre, certes, mais aussi cire d’abeille, gaze, huile, miel… A partir de 1967, les Expansions de César utilisèrent les propriétés de la mousse de polyuréthane, sa « matérialité envahissante » : « La forme expansée est une forme initialement indéterminée, en devenir, mobile et évolutive ».
Fréchuret étudie ensuite la vogue de l’entassement. Par exemple, les tas de sable et de gravier de Ben, véritable théoricien du tas puisqu’il en délivre une définition : « La différence entre le tas et l’accumulation est dans l’essence même du tas, qui est régi par les lois de la pesanteur et dont la base est toujours plus large que le sommet. » Pour l’Arte Povera, le tas de pommes de terre de Giuseppe Penone, les tas de mottes de terre de Mario Merz. Puis le tas d’anthracite noir, brillant, matériau vital, énergétique, exemplairement calorifique, dressé, en 1967, par Jannis Kounellis contre un mur de son atelier. Fréchuret en dénombre des dizaines, de ces œuvres marquées par la forme minimaliste, toujours identique, du tas.
Le chapitre suivant du Mou et ses formes a trait au pendant. À partir de 1960, les artistes vont « laisser pendre » le matériau, vont « le laisser aller en limitant le plus possible le contrôle, de façon à ce que l’objet présenté ait la possibilité d’exprimer au mieux sa capacité automorphique. » Ainsi de la dramatique Peau de Joseph Beuys, qui dit l’angoisse de Saint Barthélémy que son martyre dépiauta ou du satyre Marsyas qu’Apollon dépouilla.
Peut-être l’art contemporain du tas et du pendant ne fait-il que raviver et rejouer d’antiques sagesses : le tas de sable reformé chaque matin par les moines zen, le boucher du Tchouang Tseu qui se servit pendant dix-neuf ans du même couteau, sans jamais l’user, car il sut profiter des vides et des interstices, rencontrer seulement le mou et jamais l’os. Est-ce donc instinct de conservation ou souci d’éternité ?

Copyright Régine Detambel