Un peu de théorie

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Autoréparation

Présentation

Autoréparation

Le monde en veut à la peau. Écrire, c’est seulement le sentiment et la volonté de sécréter, à force de matins, un squelette externe, comme ces crustacés imprégnés de chitine et caparaçonnés de plaques dorsale et ventrale. L’œuvre, c'est-à-dire la coquille.
Chez tous les sensibles, la carapace est une fin : une fois constitué le bouclier, la bête enfin prend du repos et peut s’endormir à l’abri. Sauf l’écrivain, dont la carapace n’est pas une protection contre autrui, mais un moule dans lequel il travaille à se couler : une carapace protectrice sans cesser pourtant d’être exploratoire, une enveloppe nouvelle qui multiplie la sensibilité au lieu de vous claquemurer, une armure qui écoute et qui voit bien mieux que la chair à vif.

À chaque jour, sa spirale de sa suture heureuse. Les livres sont des centons, des guenilles maintes fois rapiécées, un vêtement d’idées taillé dans l’infinité ouverte des expériences possibles. Les ouvrages de l’écrivain forment son dressing. Ils forment peluches, mouchoirs chéris, charpies intimes, kleenex imbibés de larmes et de salive. Sparadrap.
La richesse et la fluidité de ces matières destinées à isoler l’écrivain du monde extérieur sont extrêmes. Pour un peu, on écrirait de gaze et de tulle. Pour un peu, la page serait un morceau d’étoffe bien tissé, qui semblerait vouloir donner à la chair inachevée de l’écorché vif le goût d’imiter sa régularité et sa persévérante géométrie. La chair béante et minable, mais vivante, a besoin pour guérir — pour s’aguerrir — de suivre ce tracé régulateur.
Pour une chair blessée, l’écriture est le meilleur des plans de bataille, le bon motif à imiter pour se régénérer et se retendre.

Autoréparation infinie. Autorésurrection infinie.
Chaque matin, rédigeant sa page, l’écrivain s’engendre. Il devient invieillissable, inusable, inaltérable. Les feuillets sont des bandages. Ils sont la couche uniforme de gaze propre isolant la blessure, puis abandonnés à chaque guérison.