Un peu de théorie

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Une phrase parfaite

Présentation

Une phrase parfaite

La reconnaissance d’une phrase parfaite provoque l’extase. On écrit pour cela, pour cette phrase-là, qu’on reconnaît, qu’on ne crée pas, car c’est comme si l’œuvre existait antérieurement à sa découverte. On n’invente pas sa création, on la découvre, on ne sait pas ce qui viendra, mais on le reconnaît immédiatement. Je n’ai inventé aucune histoire, j’ai trouvé une histoire. Le reste est gesticulation. J’écris ce qui était déjà prêt, dans sa mobilité impassible. A moi le cinéma de l’animation. Ma main voit, tandis que mes yeux se tournent vers l’intérieur et fixent les lettres à venir. Ce monde invisible, modelé par les pupilles du dedans, est un excitant perpétuel : tout réveille ou nourrit l’instinct de se l’approprier par le tracé des lettres. Il arrive que ce dessein enivre l’exécutant, devienne une action forcenée, qui se dévore elle-même, s’accélère, s’exaspère, fougue vers la jouissance. La possession, oui… Mais les mots fuient, le poème reste vapeur tant qu’on n’a pas trouvé le point d’agrégation. Jusqu'à ce qu’on le saisisse, on flotte, buée, d’une consistance de nuage, dans sa vie et dans son travail. On n’est encore qu’à venir, absent en face de cette œuvre dont Maurice Blanchot dit qu’elle seule est présence et fête de demain. La fureur poétique n’est pas le don du texte à quelqu’un de déjà vivant, mais bien le don de l’existence à quelqu’un qui n’existe pas encore et guette l’inspiration, comme si elle était un contact évanouissant avec l’éternité, une aile de papillon, corps animal, lépidoptère issu de quelque ouvrage d’entomologie ou voletant autour des acanthes du jardin.
Ce papillon-là n’a pas le moindre rapport avec la figuration. Rien de moins distinct, de plus confus : il est sans la moindre individuation. Ce papillon, tout à la fois et dans le même mouvement, surgit et s’efface. Et, même, il n’y a pas de papillon, il y a juste la trajectoire du papillon. Pourtant, la furie des chasseurs de machaons et de monarques est toujours plus ardente. Ils ont même donné à un bombyx touffu le nom de porte-plume. Toujours plus mordante. Au point que la recherche de l’état inspiré peut devenir une fin en soi, l’artiste cherchant, dit encore Blanchot, à faire de l’œuvre une voie vers l’inspiration et non pas de l’inspiration une voie vers une œuvre — ou, si l’on préfère filer la métaphore du phalène, à faire de l’œuvre un filet à papillons et non pas de la trajectoire du papillon un chemin vers l’œuvre…