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Sloterdijk (Peter) > Tu dois changer ta vie
Sloterdijk (Peter) > Tu dois changer ta vie
Quand Sloterdijk (re)pense la gym

Présentation

Peter Sloterdijk, Tu dois changer ta vie !, trad. Olivier Mannoni, Libella-Maren Sell Editions, 2011.

> Le point de vue de l’éditeur

« Tu dois changer ta vie ! » La voix que Rilke entendit au Louvre émanant d’un torse antique s’est détachée aujourd’hui de son origine. En l’espace d’un siècle elle s’est amplifiée, mieux, elle est devenue l’impératif absolu qui résonne autour du globe. C’est indéniable : l’unique préoccupation dans le monde actuel est la compréhension croissante du fait que cela ne peut pas continuer ainsi. Et c’est la verticalité, opposée à l’horizontalité de la circulation matérialiste du système capitaliste, qui est le véritable défi. Pour sortir de la crise, l’homme doit se grandir. Seulement en haut, il n’y a aucun dieu, aucune métaphysique qui peut nous aider. Nous devons nous sauver nous-mêmes en devenant, par des exercices d’ascèse, par l’entraînement assidu des muscles du cerveau et du corps, par des disciplines artistiques que nous nous imposons, davantage maîtres de notre destin. La visée est un développement spirituel et personnel, afin d’inaugurer un nouveau cycle de comportements responsables. Pour survivre dignement, l’élaboration d’un système d’immunologie s’impose de plus en plus : un bouclier de protection pour l’individu, l’humanité, la terre et l’environnement technique. L’être humain est appelé à se débarrasser des fatalités et résignations réductrices, en se formant par lui-même, pour un autre mode d’existence. Tu dois changer ta vie propose, à travers la lecture de textes, un panorama des exercices requis pour être un homme et le rester. Bienvenu dans le fitness center de la pensée du maître Peter Sloterdijk qui fait passer la pilule du dur labeur de l’exercice permanent (la rigueur) par l’invention abondante et jubilatoire des concepts.
Peter Sloterdijk est considéré comme l'une des grandes figures de la philosophie contemporaine.
 Il est notamment l'auteur de Sphères I - Bulles (Pauvert, 2002), Ni le soleil, ni la mort (Pauvert, 2002) et, chez Libella/Maren Sell Editions, de Sphères III Ecumes (2005), Le Palais de cristal (2006), Derrida, un Egyptien (2006), Colère et Temps (2007), Sphères II - Globes (2010).
Olivier Mannoni (Traducteur)

> SOMMAIRE
LA PLANETE DES EXERCANTS


L'ordre venu de la pierre

Regard lointain sur l'étoile ascétique
Seuls les infirmes survivront

LA CONQUETE DE L'IMPROBABLE
Psychologie des hauteurs
"La culture est une observance"
Insomniaque à Ephèse



PROCEDURES D'EXAGERATION


Première excentricité

Parfaits et imparfaits
Jeux du maître

LES EXERCICES DES MODERNES


L'art appliqué à l'homme
Dans l'espace courbé de l'auto-opération

Exercices et mauvais exercices.

> QUELQUES EXTRAITS

"Abandonne ton penchant pour les modes de vie confortables : montre-toi au gymnase (gymnos, nu), prouve que la différence entre parfait et imparfait ne t’est pas indifférente, montre-nous que la performance, l’excellence (aretè, virtù) ne sont pas restées pour toi des mots étrangers, admets qu’il existe pour toi des motivations pour produire de nouveaux efforts !"

"Si la Renaissance athlétique et somatique signifie que les ascèses déspiritualisées sont de nouveau possibles, souhaitables et plausibles à l’égard de la vie : sur quoi la vie humaine peut-elle s’orienter après le crépuscule des dieux ?"

"Dans un monde qui appartient aux hommes, ceux-ci se réalisent régulièrement trop peu. Que la raison de l’inégalité entre les hommes puisse tenir à leurs ascèses — à la diversité de leurs prises de position sur les défis de la vie en exercice —, cette idée n’a jamais été formulée dans l’histoire des recherches menées sur les causes dernières de la différence entre les hommes."

"La grande majorité des êtres humains ne songe pas à vouloir devenir plus que ce qu’ils ne sont. Qu’est-ce que je gagnerais à aller au-delà de moi-même ?"

> Le point de vue de Peter Sloterdijk

"L'exercice spirituel est une réalité ancienne. Il a surgi au moment où les individus ont développé des visions du monde attribuant aux êtres humains des missions extraordinaires, presque surhumaines. Depuis 3000 ans, il y a ainsi toujours eu une caste d'êtres humains plaçant leur existence sous un impératif impossible à atteindre : le saint, le sage, le roi divin, le messie, le prophète, le génie… L'exercice spirituel, c'est l'ensemble des dispositions mentales et physiques qu'un entraîneur ou un maître s'efforce d'inculquer à ses disciples pour les qualifier à la mission impossible imposée par leur époque.
L'exercice spirituel dépend de la façon dont on déchiffre le message qui est dans l'air de votre époque. À chaque époque, un impératif surgit qui dit toujours : "tu dois changer ta vie", "cela ne peut pas continuer comme cela". Aujourd'hui, l'exercice spirituel qui conviendrait à notre époque n'est pas encore entièrement codifié. Une chose est claire, nous devons changer notre manière de vivre de telle sorte que notre coexistence avec une humanité réalisée et globale soit possible."

> Lectures complémentaires, et même propédeutiques

Michel Foucault, Le Souci de soi, Gallimard.
Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Albin Michel.

> L’exercice de la vie. Après une lecture de Peter Sloterdijk
Par Régine Detambel ©
Son corps extrême est un ouvrage né de l’idée même d’exercice, non pas du banal entretien physique que je pratique moi-même, mais surtout des résultats obtenus quand, au sein de mon cabinet de kinésithérapie, j’ai «fait faire» des exercices à mes patients. L’exercice et l’habitude de l’exercice combattent les forces d’inertie qui ont fini par nous gouverner à notre insu, devenant un lourd complexe d’habitudes sédimentées, qui nous lestent, et font tellement partie de notre identité qu’on croit se dessaisir d’un trésor personnel en luttant contre elles !
Alice, dans Son corps extrême, s’adonne à son tour à cette vie exercée, à cet exercice de la vie, à cette existence en exercice. Pour elle, à présent handicapée, atteindre l’autodétermination est l’essentiel. Pour cela, elle doit se replier sur elle-même, afin de récupérer les forces qu’elle avait autrefois dispensées en direction de sa famille (ou d’une certaine idée de son rôle familial). Il lui faut d’abord retrouver une certaine dose d’égoïsme. La salle de rééducation fonctionnelle, telle que je la décris dans Son corps extrême, est le lieu d’une mise en scène du corps d’Alice, qui va enfin pouvoir s’apparaître à elle-même sous un nouvel angle instructif.

Pour ce qui est des influences lisibles dans ce roman, j’ai lu avec passion le Nietzsche des réflexions diététiques de Ecce homo, j’ai goûté sa théorie de l’exercice de la vie. Ensuite, au travers des pensées «somatiques» de Michel Foucault, John Dewey, William James, Richard Shusterman, Peter Sloterdijk (notamment Tu dois changer ta vie), j’ai apprécié les philosophies qui tiennent compte de l’exercice du corps, de l’énergie qu’il insuffle à la pensée. Et j’ai toujours constaté que l’énergie et l’autorité de ces théories diverses me revigoraient, intellectuellement, physiquement. D’où la transformation d’Alice, dans le roman, cette tension verticale qui soudain l’anime, comme si le kinésithérapeute était un gourou, tout au moins un coach de fitness, un entraîneur, et la salle de rééducation un dojo ou un monastère. Le langage de la mise en forme est une langue assez neuve encore, capable d’engendrer de nouvelles motivations pour produire de nouveaux efforts.
Dans le cas d’Alice, il s’agit de s’intéresser aux possibilités d’un dépassement de la maladie qui produise un sens, là où la patiente ressent un vide total. Ce que j’ai expérimenté, en tant que thérapeute, est que le «simple fait» de diriger des exercices, de compter de un à vingt, de surveiller la respiration, de pousser un patient dans ses retranchements, peut relancer sa vitalité, et soudain créer un besoin de mouvement dans une existence morne et qui semblait perdue. Le simple fait de «s’y mettre» est un élan qui pousse en avant, un élément lanceur de soi, qui entame l’ascension, sans nul besoin de bonnes raisons morales ou spirituelles ou métaphysiques. «Avec ou sans Dieu, chacun ne va que jusqu’où sa forme le porte» écrit Peter Sloterdijk. Le thérapeute ou le coach est littéralement en position de ranimer les volontés, de tirer vers le haut.

Bien sûr, chaque personne est différente face au handicap. Il y a une grande diversité de prises de position devant les défis de la vie en exercice. Mais la plupart des gens semble intéressée, fouettée par cette obligation d’avancer en dépit de fortes résistances. Le défi (r)éveille.
Je montre donc Alice et ses camarades d’haltères interprétant leur handicap comme une école de la volonté, avec interdiction rigoureuse de la mélancolie. Leur existence obstinée n’est plus que l’entraînement à l’art, élaboré au prix d’une dure pratique, de faire des choses «normales», comme marcher ou monter un escalier. Ces virtuoses de la capacité d’être normal ne peuvent pas s’offrir le luxe des humeurs dépressives. Et c’est comme si la surcompensation du handicap était le secret de cette nouvelle valeur ajoutée à leur vie. Alice compare son ancienne situation d’impuissance à la capacité qu’elle a conquise, elle pose sans cesse de nouveaux objectifs à son entraînement. Le dépassement de l’ancienne sensation d’impuissance est à chaque fois une victoire éthique, qui la remodèle et nourrit l’effort à venir.
Ne pas vivre en roue libre, mais «mener» sa vie. Lors du passage dans un registre supérieur, il faut emporter son corps avec soi. Tout commence avec le corps. Mais en général les gens ne songent pas à vouloir devenir plus que ce qu’ils sont : «Qu’est-ce que je gagnerais à aller au-delà de moi-même ?» Alice, elle, s’est laissée porter par l’exercice, par l’euphorie de cette sorte de sport — et on sait que la sécrétion d’endorphines est pour beaucoup dans l’addiction au corps heureux. Il se crée un cercle vertueux, quand le corps réclame lui-même sa dose de mouvements, quand l’habitude est prise.
La répétition est reine de l’exercice. Les petites forces cumulées, démultipliées par l’exercice répété peuvent l’impossible, et surtout elles vous déracinent de votre première vie. Toutes les ascensions d’ordre physique ou corporel commencent par une sécession d’avec les habitudes, par un rejet du passé, considéré comme l’ancien mode d’être. Alice en est l’exemple flagrant.

Il peut y avoir, de la part du simple observateur, une perplexité face à cette capacité de concevoir une existence nouvelle à partir de simples incitations gymniques ! Mais ce ne sont justement pas de simples mouvements de gymnastique corrective, c’est bel et bien le germe de conscience d’une vie nouvelle, engendrée par le positif de l’exercice. Ce qui manquait tant à Alice, et sans doute l’une des raisons majeures pour lesquelles elle avait raté sa vie, était évidemment l’absence d’un corpus de règles destinées à se former soi-même, à former sa volonté, sa persévérance. Sans compter que la représentation même que notre société nous donne du vieillir est une bonne raison de s’abandonner au néant !

> De l'ascèse au coaching, par Daniel BOUGNOUX
Un ouvrage difficile mais entraînant sur la production de l'homme par l'homme, synthèse entre l'ascèse et la productivité d'homo faber.
Tu dois changer ta vie, le dernier opus de Peter Sloterdijk excellemment traduit, comme les précédents, par le fidèle Olivier Mannoni, lance à l’intelligence philosophique un nouveau défi. Dans l’ambitieuse synthèse des Sphères (regroupées en trois volumes, Bulles, Globes, Ecumes, auxquels se rattache encore Le Palais de cristal), Sloterdijk montrait homo faber affairé à s’enclore, à habiter sous un dôme qui amortisse les bruits et les violences du monde ; la climatisation, la réflexivité d’un espace miroir, des médias filtres et pare-chocs, une Terre enfin dont la rotondité peu à peu vérifiée s’enveloppait d’anneaux et de réseaux capillaires…, retenaient particulièrement l’attention dans un ensemble foisonnant de curiosités liées à cette idée très ancienne et très neuve en philosophie : l’attraction de la forme globe, sa dynamique à travers l’espace et l’histoire, son optimisation esthétique, éthique et organisationnelle. Or, argumente Peter Sloterdijk, de même que le XXe siècle pensa et élabora diverses figures de la réflexivité, le XXIe sera celui de l’exercice.

Tu dois changer ta vie
nous entraîne donc d’abord, ou aussi, du côté des salles de sports. Combien de nos contemporains sacrifient chaque jour à l’impératif de forme ou de fitness en joggant, en soulevant des poids ou en pédalant ? Je me rappelle moi-même avoir surpris Peter, alors que nous avions rendez-vous à la réception, courant sur le tapis roulant de la salle de gym d’un grand hôtel parisien ; et nous sommes quelques-uns à dissuader cet adepte du vélo de se lancer dans l’ascension du Ventoux ! La démocratisation du sport, qu’il définit comme déspiritualisation des ascèses traditionnelles, ou nouvelle religion d’un monde sans Dieu – mais non sans transcendance – n’est pas un mince objet de réflexion. Notre idée de la forme vient de loin, du grec eidos précisément, ce double idéal des corps empiriques qui plane chez Platon au ciel des idées, comme la promesse de fitness ou bonne forme hante aujourd’hui les salles spécialisées. "Chacun va jusqu’où sa forme le porte"1, et vivra d’autant mieux (d’autant plus) qu’il perfectionne celle-ci chaque jour, assidûment ; les Sphères montraient homo faber édifiant et habitant ses bulles ; le voici travaillant sa forme, en un mot s’exerçant.

Tu dois changer ta vie commence donc au gymnase, dont les dévôts et les pratiquants oeuvrent en silence, quotidiennement, à se convertir. Car la forme, toujours guettée par l’entropie ou la déchéance, n’existe qu’en acte ; non seulement nous manquons d’une idée stable ou d’une essence qui dirait le propre de l’homme, mais sa (bonne) forme réside pour chacun un peu au-dessus de lui-même, il doit rejoindre celle-ci en pédalant ou en courant, passer sans nul arrêt sa vie à la poursuivre. Cette création (de soi) indéfiniment continuée exige assez souvent un coach ou un entraîneur, celui qui veut que je veuille, ou plutôt qui ne veut pas que je cesse de vouloir ; nous sommes ainsi faits qu’un médiateur veille à ranimer "ma" volonté, faculté plus intime à moi que moi-même – mais qui paradoxalement dépend d’un autre.

Tu dois changer ta vie dans la mesure où le donné (à commencer par ce corps) ne suffit pas à combler ton désir de forme. La totalité est ailleurs, la plénitude toujours à venir. Non seulement l’homme est un excentrique congénital, mais exister pour lui c’est être tiré vers le haut. A la recherche de nouvelles formes : le culte du nouveau en art, et par exemple le mot d’ordre de la Sécession, qui ouvre à Vienne une paradoxale tradition de néolâtrie, va dominer les jugements de goût du XXe siècle, siècle des ruptures et des révolutions sur lequel l’art fait loupe grossissante. De même que la production artistique s’emploie depuis un bon siècle à créer du choc et de la surprise, l’espèce humaine tire de sa marche verticale une postulation vers le toujours-plus-haut ; animal mal identifié mais acrobate de naissance, l’homme semble condamné au dépassement et aux tours de force. Globes examinait en passant les arènes romaines et les jeux du cirque ; le cirque revient ici sous forme de tours d’adresse et d’acrobaties. Akro-bainein, c’est étymologiquement marcher sur les pointes, et par exemple sur une corde tendue au-dessus du public. Que veut dire le préfixe sur, interrogeait Georges Bataille, dans surhomme, surréalisme ou survie ? Comment Nietzsche lui-même maintient-il l’exigence de ces verticales sans dieux, mais non sans athlètes, à la fin d’un siècle qui vit ressusciter l’olympisme, et se superposer les figures de l’ascète, de l’artiste et de l’acrobate ? Une véritable résurrection de la chair s’opère depuis Coubertin, plus internationale et populaire aujourd’hui (plus crédible) que la promesse religieuse, ou socialiste…

"Tu dois changer ta vie". Ce mot d’ordre comprimé dans le torse d’Apollon, et explicité dans le fameux poème de Rilke qui donne son motif et son titre à ce livre, nous rappelle la réversibilité grecque de l’athlète et du dieu. L’Antiquité, résume Sloterdijk, eut pour idéal l’ascèse, auquel les temps modernes substituèrent le travail et la production d’objets ; les temps post-modernes, en généralisant le modèle de la fitness et du sport, combinent peut-être les deux étapes précédentes, dans la mesure où l’ascète comme le sportif se performent eux-mêmes ; dans sa pratique amateur, le sport est une objection claire au monde de la marchandise et à la production de richesses simplement extérieures ; comme la religion encore, le temps du match, de la performance ou du record excelle à diviser le temps en créant des moments auratiques, quasi sacrés. L’art a récemment suivi la même courbure autoréférentielle, aboutissant moins à des produits finis qu’à des performances et à des "moments". Et travail en art, en sport, en psychanalyse ou dans la méditation, désigne une perlaboration au cours de laquelle le producteur et le produit, l’objet et le sujet du travail se confondent. Avec une nonchalance méthodique que lui-même attribue à Foucault, Sloterdijk glane au fil de son (gros) livre divers modèles de cette production de l’homme par l’homme, en remarquant que tout travail est secrètement réfléchissant, et dans cette mesure rétroactif ou autoplastique : que veut dire s’exercer en effet, sinon répéter un acte qui rend plus facile le coup suivant ? Cheminer au long ou dans le fil de sa forme, c’est donc se perfectionner en se spécialisant : le potier, le discobole, le dentiste ou le déconstructeur derridien accomplissent de mieux en mieux la même activité, au détriment de mille autres. Toute capacité fonctionne ainsi comme une prophétie autoréalisatrice, elle tend à s’accomplir en s’augmentant d’elle-même. Ce mouvement crescendo, mais qui va peut-être diminuendo celui qui s’y applique, fait l’objet de stimulantes discussions documentées de cas : les grandes conversions par exemple, de Saint Paul, Saint Augustin ou Saint François, furent-elles des sauts existentiels majeurs ou de simples changements d’entraîneurs ? Le concept même de Révolution, amplement discuté au titre du "changement", retrouve ici sa double signification d’un parcours circulaire et d’une émergence radicale.

Tu dois changer ta vie : l’immanence d’un devoir moral, comprimé dans le torse athlétique du dieu, pose bien l’énigme de notre verticalité. Par quelle émulation (coach, entraînement, mimétisme, identification admirative ou sentiment de dette envers les représentations de belles formes) sommes-nous sensibles à de telles injonctions ? Comment Rilke lui-même a-t-il déboîté son poème pour en faire jaillir ce mot, transperçant ? Comment penser l’articulation de l’esthétique et de l’éthique ? La philosophie, souligne Peter Sloterdijk dans le droit fil de Wittgenstien, de Foucault ou de Derrida, souffre d’un malentendu cognitiviste : on attend d’elle des thèses ou des connaissances, alors qu’elle n’apporte qu’une sorte indéfinie d’exercice. Celui par exemple, avec Héraclite, de rester éveillé en combattant divers sommeils qui nous enferment dans des mondes privés. Ces maîtres qu’on dira de mise en forme plutôt que de vérité sont peut-être en passe de disparaître : au nom de la réflexivité, ou d’une démocratie mal comprise de la salle de sport, nous congédions les maîtres de la conduite de notre vie ; "le temps d’apprendre à vivre" (Aragon) s’exerce seul, et à ses propres dépends. Y a-t-il d’ailleurs pour ce qu’on appelle "la vie" une école ? Il suffit de reconnaître qu’un chemin d’action, perpendiculaire à nos existences individuelles, s’ouvre toujours vers le haut ; chacun, s’il choisit l’ascèse, trouve en lui son meilleur ennemi et ne rencontre plus au-dehors que des adversaires secondaires.

Tu dois changer ta vie n’est pas un livre facile, ni écrit pour les amateurs de slogans ou de magazines (fussent-ils de sport) ; sa philosophie de la fitness risque d’échapper longtemps aux accros du rameur, du vélo ou du marathon. Pourtant, lors de la soirée qui se tint au Théâtre de l’Europe, le samedi 5 mars dernier, pour fêter la sortie de ce livre et deux journées d’un colloque Peter Sloterdijk au Goethe institut, à l’initiative du Collège international de philosophie et de Maren Sell, la grande salle était comble. Jeanne Balibar y lut quelques extraits du livre, d’une voix fâcheusement tâtonnante ; deux acrobates y performèrent en silence quelques figures impressionnantes ; mais surtout, Peter aiguillonné par Jean Birnbaum se lança dans une improvisation des plus réjouissantes, qui témoignait d’un véritable exercice, en acte, de la pensée. Par où prendre ce livre plein de verve, de trouvailles, mais aussi de longueurs, de rouerie et de digressions ? Je connais plusieurs philosophes qui ne cachent pas, face aux ouvrages de Peter, leur crainte de se "faire avoir" ; pour ma part, et ce n’est pas une vertu fréquente dans le paysage contemporain, je qualifierai d’un mot ce mélange d’érudition, de fun et de propositions à sauts et à gambades : entraînant.
Daniel Bougnoux, nonfiction.fr

> Mes notes fébriles et brouillonnes
«D’abord et avant tout les oeuvres !
C’est-à-dire l’exercice, l’exercice, l’exercice !
La «foi» adéquate s’ajoutera d’elle-même — soyez-en sûrs.»
Friedrich Nietzsche, Aurore

Pour ceux-ci, atteindre l’autodétermination humaine avait un prix : les mortels devaient demander à récupérer les forces qu’ils avaient dilapidées en direction du monde supérieur et les utiliser pour optimiser les conditions de vie terrestre. Il fallait retrancher de Dieu d’importantes quantités d’énergie afin d’arriver en forme pour le monde des hommes.

Les sociologues de la religion le disent sans ambages : partout dans le monde, on continue à croire avec verve, c’est seulement chez nous que l’on a glorifié le dégrisement. De fait, pourquoi les seuls Européens devraient-ils respecter la diète métaphysique si le reste du monde continue sans ciller à faire festin aux tables abondamment fournies de l’illusion ?

Il n’existe ni religion ni religions mais uniquement des systèmes d’exercice spirituels mal compris

Les hommes, quelles que soient leurs conditions d’existence ethniques, économiques et politiques, ne vivent pas seulement dans des situations matérielles, mais aussi et plutôt dans des systèmes immunitaires symboliques et des enveloppes rituelles.

Il s’agit à présent de faire tourner toute la scène de 90° jusqu’à ce que le matériau religieux, spirituel et éthique apparaisse sous un nouvel angle instructif.

Théorème du retour de l’incompris.

Nietzsche, réflexions diétologiques des années 1880. Ecce homo, théorie de l’exercice de la vie.

En vérité, la transition entre la nature et la culture, et inversement, est depuis toujours largement ouverte. Elle passe par un pont facile à emprunter : la vie en exercice. Les hommes se sont engagés dans sa construction depuis qu’ils existent — mieux, les hommes n’existent que par le fait qu’ils se consacrent à cette construction de pont. L’homme établit des liens entre les têtes de pont utilisées dans la corporatif et celles qui se situent dans les programmes culturels.

Anthropologie de l’exercice, la vie dans l’exercice, l’homme est la créature potentiellement supérieure à soi-même.

Perfection d’un fragment, concept du torse autonome.

Tu dois : c’est l’autorité d’une autre vie dans cette vie. Ma transformation, voilà ce qui est urgent.
Tension verticale.

Retour de l’athlète comme figure-clé de l’idéalisme somatique antique.

Résurrection de la chair dans ce monde-ci.

La phrase «Tu dois changer ta vie !» doit désormais être entendue comme le refrain d’un langage de la mise en forme.

Abandonne ton penchant pour les modes de vie confortables : montre-toi au gymnase (gymnos, nu), prouve que la différence entre parfait et imparfait ne t’est pas indifférente, montre-nous que la performance, l’excellence (aretè, virtù) ne sont pas restées pour toi des mots étrangers, admets qu’il existe pour toi des motivations pour produire de nouveaux efforts !

Renaissance tardive : phénomène du culte du sport qui émerge après 1900.
L’expression christianisme, dans l’usage qu’en fait Nietzsche, ne désigne pas en premier lieu la religion du même nom, elle vise plutôt, comme un nom de code, un habitus déterminé forgé par la religion et la métaphysique, une position définie en termes ascétiques (au sens de l’expiation et du renoncement) à l’égard du monde, une forme malheureuse de l’ajournement de la vie, de l’orientation vers l’au-delà et des démêlés avec les faits séculiers.

Askesis en grec classique = exercice ou entraînement

Maxime du stoïcisme : pour qui la seule chose qui compte est de se maintenir en forme pour le cosmos.

Idéaux ascétiques négatifs ≠ sens athlétique, diétologique, esthétique ou biopolitique des programmes positifs d’exercice. Nietzsche a été suffisamment malade dans sa vie pour s’intéresser aux possibilités d’un dépassement de la maladie qui soit productif de sens (SCE).

Dans un monde qui appartient aux hommes, ceux-ci se réalisent régulièrement trop peu. Que la raison de l’inégalité entre les hommes puisse tenir à leurs ascèses — à la diversité de leurs prises de position sur les défis de la vie en exercice —, cette idée n’a jamais été formulée dans l’histoire des recherches menées sur les causes dernières de la différence entre les hommes.

Si la Renaissance athlétique et somatique signifie que les ascèses déspiritualisées sont de nouveau possibles, souhaitables et plausibles à l’égard de la vie : sur quoi la vie humaine peut-elle s’orienter après le crépuscule des dieux ? (SCE).
La vitalité, comprise dans un sens somatique et intellectuel, est le médium chargé d’un dénivelé entre le + et le moins. Elle possède donc en elle-même l’élément vertical qui oriente les ascensions, elle n’a pas besoin d’attracteurs externes ou métaphysiques supplémentaires. Avec ou sans Dieu, chacun ne va que jusqu’où sa forme le porte.

Les ascensions débutent au camp de base de la vie ordinaire. Un voyage de 1000 lis commence par un pas.

Récup Swinburne et marcher contre le vent, in Bachelard Eau et rêve, pour texte sur nage.

La vie est associée à l’obligation d’avancer en dépit de fortes résistances. Anthropologie des infirmes = anthropologie du défi. L’homme apparaît comme l’animal qui doit avancer parce qu’il est handicapé par quelque chose. (SCE)

Le Pédiscript : manchot violoniste. Il rencontre un cousin de destinée, peintre qui peint avec jambe, les questions et les réponses n’en finissaient pas, il était empli par la joie de vivre et la pétulance. Mais le plus souvent notre bavardage allait au fond des choses.

Pédiscript : sorte de performance de «philosophie de la vie», virtuosité générale qui pénètre tous les aspects de la vie.

Le handicapé a la possibilité de prendre son être-jeté dans le handicap comme le point de départ d’un choix global de soi. Attitude autothérapeutique de Nietzsche, dans Pourquoi je suis si sage, Ecce homo. «Je me suis moi-même pris en main. Je me suis rendu à moi-même la santé.» Je vais me prendre d’une main de fer et tout faire sortir de moi-même. Il interprète le handicap comme une école de la volonté. La volonté d’indépendance incite à mener en permanence de nouvelles tentatives => positivisme émotionnel qui va de paire avec une interdiction rigoureuse de la mélancolie. Pourcentage de joie de vivre supérieur à celui de l’homme en possession de tous ses moyens. Je ne me sens en rien diminué par rapport à l’homme disposant de tous ses moyens. «les jouissances spirituelles les plus raffinées que j’ai connues du fait même des combats liés à mon absence de bras, je ne les céderais pour rien au monde.

Ruse du destin qui commande qu’on fasse, de la détresse de l’anomalie, une vertu artistique. Exhibitionnisme décent.
Sa vie n’est que l’art, élaboré au prix d’une dure pratique, de faire des choses normales : ouvrir les portes ou se coiffer.
Le virtuose de la capacité d’être normal ne peut pas s’offrir le luxe des humeurs dépressives. La vie dans le malgré tout force celui qui est résolu au succès à afficher une joie de vivre ostentatoire. Le pays du sourire est peuplé d’artistes infirmes.
Se maintenir en forme pour des missions inconnues. Les gens du cirque sont les seuls qui ne font pas d’esbroufe : quand on marche sur la corde, on ne peut pas faire comme si, même l’espace d’un instant.
Lois de l’existence obstinée.
Thème dangereux de la «vie indigne de vivre».

Pouvait-on laisser des handicapés accéder au pouvoir ? Qu’est-ce que même le pouvoir quand des handicapés peuvent le conquérir ?
Si la surcompensation du handicap est le secret du succès, faudrait-il en déduire que la plupart des hommes ne sont pas suffisamment handicapés ?

Mon entraîneur est celui qui veut que je veuille. Il incarne la voix qui est en droit de me dire : tu dois changer ta vie ! (cf. Problématique du maître et de l’entraîneur).

L’entraîneur est le partenaire moderne dans des tensions verticales non métaphysiques qui insufflent, dans la vie de celui qu’il faut entraîner, un sentiment clair du haut et du bas.

«Sa volonté prend ainsi un relief existentiel intérieur, quand il compare son ancienne situation d’impuissance à la capacité qu’il a conquise, et mesure le succès déjà acquis à l’aune des objectifs de son entraînement. Sa quête gagne un élan qui le pousse en avant. Le dépassement de l’ancienne sensation d’impuissance est en même temps une victoire éthique. Ce que l’éducation transmet avec soin ne doit pas être alourdie par l’angoisse visant à être épargné. De l’éducateur des manchots nous exigeons donc l’approbation de la vie.

Homo sapiens est constitutivement un infirme de la prématurité, une créature destinée à une immaturité éternelle et qui, compte tenu de cette caractéristique que les biologistes appellent néoténie (la conservation des traits juvéniles ou foetaux), ne peut survivre que dans les incubateurs de la culture.

Concevoir leur existence comme une incitation à pratiquer des exercices correctifs.
Tu dois changer ta vie ! Signifie : tu dois veiller à la verticale interne et vérifier comment l’attraction du pôle supérieur agit sur toi. Ce n’est pas la marche verticale qui fait de l’homme un homme, c’est le germe de conscience du dénivelé mental que la station debout provoque en l’être humain.

Le déclin souhaitable des idéaux ascétiques répressifs n’entraîne aucunement la disparition de la vie positive de l’exercice.

Réduction progressive du tonus héroïque tout en amplifiant le sens de la dimension universelle, ascétique et acrobatique de l’existence humaine.

Kafka : le vrai chemin passe par-dessus une corde qui n’est pas tendue en hauteur, mais presque au ras du sol. Elle semble plus faite pour faire trébucher que pour être franchie. = la mission consistant à trouver le vrai chemin est déjà suffisamment difficile, c’est la raison pour laquelle les hommes ne sont pas forcés de monter sur les hauteurs pour vivre dangereusement. La corde prouve que si tu arrives trop en sécurité, tu tomberas quand même en ligne droite. Personne ne peut dire en toute certitude quelle formation apporte les conditions nécessaires pour faire ses preuves dans cette discipline. L’acrobate ne sait plus quels exercices le préservent de la chute, excepté l’attention permanente => identité entre ordinaire et acrobatisme.

Déspiritualisation des ascèses => ce qui relie Kafka à Nietzsche, c’est l’intuition que la corde tendue reste là, même si l’au-delà a disparu.
Nietzsche = penchant pour l’acrobatie de l’énergie et de la plénitude ≠ Kafka préférence pour l’acrobatie de la faiblesse et du manque.

Kafka a objectivé ses intuitions sur l’importance de l’acrobatie et de l’ascèse dans 3 récits : Communication à une académie, Première souffrance, Un artiste de la faim.

Nouveau récit du processus d’hominisation dans la perspective d’un animal. Pourquoi l’homme, à l’extrémité actuelle de son évolution, crée-t-il aussi bien des jardins zoologiques que des cirques ? Vraisemblablement parce qu’en ces deux lieux il voit confirmé le vague sentiment qu’il peut apprendre en les observant quelque chose sur son être et sur son devenir propres.

Désormais on ne peut être autobiographe sans être autopathographe, c’est-à-dire sans rendre public son dossier de vie.

Système d’exercices anthropotechniques, corpus de règles destinées à se former soi-même au comportement interne et externe. Exercices d’épuisement ciblés que François d’Assise imposait au «Frère Âne», son propre corps. Et certaines pratiques parasuicidaires du bouddhisme.

Sport & musique = «massages de la volonté», puissants incitants à la persévérance.

Planète des exerçants, l’homme comme animal qui se voit vu, les actions agissent en retour sur l’acteur, les pensées sur le penseur.

Virtuose d’un instrument = anthropologie de l’exercice, devenir virtuose d’un instrument, son corps.

Tu dois construire plus haut que toi-même. Mais il faut d’abord que tu sois construit toi-même, carré de la tête à la base. Nietzsche critique de la succession linéaire des générations. Les enfants qui ressemblent à leurs parents au point de perpétuer un statu quo sont des répliques superflues d’un original superflu. Droit à l’imperfection mais pas à la trivialité.

Ascétologie générale : que signifie l’activité de la vie en exercice, et à quelle fin la pratique-t-on ?

Du «regard vers le haut» que les enfants portent vers leurs parents et vers les adultes en général, et tout particulièrement vers les héros de civilisation et les transmetteurs du savoir, se développe un système de points de repère psychosémantiques avec une dimension verticale affirmée.

Quand on fait de l’équilibre sur la corde haute, on vit du fait que l’on donne aux spectateurs un motif de regarder vers le haut.

Pré-éminent : se situer devant + sortir du lot

Zarathoustra : «l’homme est une corde tendue entre la bête et le surhomme — une corde sur l’abîme…» : le biologiste dit que l’évolution n’a pas dit son dernier mot sur sapiens ≠ moult espèces disparues.

Max Scheler : psychologie des hauteurs ≠ psychologie des profondeurs (vers le bas).

Lors du passage dans un registre supérieur, il faut emporter son corps avec soi.
Acrobatisme : akro haut & bainein marcher = forme la plus simple de la contre-naturalité naturelle.

On impose aux moines d’accomplir chaque geste, chaque démarche avec une concentration méditative, et de prononcer chaque mot avec circonspection. La règle de toutes les règles = ne jamais accomplir le moindre geste par simple et sourde habitude, mais être à chaque instant prêt à voir le déroulement des choses interrompu par un ordre immédiat du supérieur. Jean Cassien insistait sur le fait qu’un moine copieur que son supérieur appelait à la porte ne devait pas achever la lettre qu’il avait commencé à tracer : il fallait au contraire qu’il bondisse afin d’être entièrement prêt pour la nouvelle demande.

Jeux de langage : ascèse ou modules microascétiques, exercices pratiques articulés sous forme linguistique.

Dominer ce qui autrement nous domine. Mettre en notre possession ce qui autrement nous possède. Dictature exercée sur la nature intérieure. Concept d’éducation de soi qui inclut un autoexorcisme discret : l’homme que ses habitudes possèdent doit parvenir à inverser le rapport de propriété et prendre sous sa régie ce qui le possède. Remplacer les mauvaises habitudes par les bonnes ++. «L’habitude n’est dépassée que par l’habitude.» Transformer sa vie en un régime rigoureux d’exercice qui lui permet de désautomatiser son comportement dans toutes ses dimensions importantes. + réautomatiser son comportement nouvellement acquis pour que ce que j’aimerais être ou représenter devienne une seconde nature.

La grande majorité des êtres humains ne songe pas à vouloir devenir plus que ce qu’ils ne sont. Qu’est-ce que je gagnerais à aller au-delà de moi-même ?

Habitus : compte tenu des dressages psychosomatiques spécifiques, le social se niche dans les individus sous forme de dispositions produite et productive afin de déployer en ceux-ci une vie personnelle certes ouverte à l’expérience et se situant dans l’histoire de la vie, mais au bout du compte marquée par l’histoire indélébile du passé.

L’habitus est la conscience de classe somatisée. Il s’attache à nous comme un dialecte qui ne disparait jamais et que même Henry Higgins chez Mlle Doolittle ne pourrait pas éradiquer (Pygmalion, GB Shaw).

L’identité comme droit à la paresse. Sartre : je suis ce que j’ai. La totalité de mes possessions réfléchit la totalité de mon être.

Le daimon maintient l’être humain en état de possession : 1) sous forme de pouvoir d’impulsion, complexe des affects bouillonnants en moi ; 2) force d’inertie, complexe des habitudes sédimentées en moi => apprendre à manipuler ces possessions.

Jaspers : «Ce qu’atteint l’individu ne se transpose nullement sur tous. La distance entre les sommets des possibilités humaines et la foule devient alors extraordinaire. Pourtant ce que l’individu atteint transforme tous les autres de manière indirecte.»

L’homme ne peut pas vivre en roue libre, mais doit «mener» sa vie.
Goethe : l’homme qui n’est pas écorché n’est pas éduqué. Socle d’exercices automatisés.
Repetitio est mater studiorum : les petites forces humaines peuvent l’impossible pour peu qu’elles soient démultipliées par le chemin plus long de l’exercice répété.
Découverte de cette mécanique => la vertu peut s’apprendre, le divin peut s’apprendre.
«Veille sur toi, donne-toi du courage, exhorte-toi. Tu feras exactement autant de progrès que tu te causeras de violence.» => je dois répéter mes speech sur SCE.

Se déraciner de la première vie. Toutes les ascensions d’ordre physique et corporel commencent par une sécession d’avec l’habituait. + rejet virulent du passé. Écoeurement, remords et rejet complet de l’ancien mode d’être.
Espèces de repli des exerçants (club de gym, centre de rééducation) : biotope concret, peuplé de personnes respectant un régime strict.
Foucault : hétérotopies. Échappant au continuum trivial par l’application de règles singulières (cimetière, bibliothèque, navire, salle de sport, station spatiale, monastère).

Exercitation permanente pour séparer les choses qui dépendent de nous de celles qui ne dépendent pas de nous : Il est en ton pouvoir de…
Le travail anthropotechnique sur soi-même commence avec l’évacuation parente de l’espace intérieur de ce qui ne nous est pas propre.

Le soi dans l’enclave. Gérer soi-même sa vie dans son petit Etat intérieur et lui donner la constitution adéquate : petit champ de ton âme, et surtout ne te dissipe pas. Microclimat de la vie en exercice dans cette subjectivité enclavée, le souci de soi parvient au pouvoir. La forme de vie en exercice = protectorat intérieur et autorité de surveillance introspective. Ce modus vivendi s’établit avec un prof qui a réussi sa réforme éthique. Pour maintenir l’enclavement, une surveillance constante des frontières et le contrôle quotidien des infiltrations en provenance de l’extérieur sont indispensables. Mission du sujet = interruption du flot d’informations qui rattache l’exerçant à son environnement d’autrefois.
Vie et exercitatio deviennent synonymes. Technique de solitude : parle avec toi !

«Songer en t’arrêtant à chacun des objets qui tombent sous tes sens, qu’il se dissout déjà, qu’il se transforme et qu’il est comme atteint par la putréfaction et par la dispersion ; ou bien envisager que tout est né pour mourir.» (Marc Aurèle).
= foison de mises en garde à soi-même, dont l’objectif est d’empêcher toute dépendance affective à l’égard de ce qui ne nous est pas propre, par le biais d’exercices constants de séparation et de désaffection. Recommandation à Epictète aux parents : ne pas embrasser leurs enfants sans penser que la mort peut le leur faire perdre le lendemain. Ces propos, visant à se mettre soi-même en garde et à se dresser soi-même, l’exerçant devrait les avoir «à portée de main» jour et nuit, comme une trousse de premier secours spirituels. Avoir tout prêt ce set mental portable.

Toutes les exercitations sont portées par des actes d’exhortation à soi-même, de mise à l’épreuve de soi, d’autoévaluation = rôle décisif + référence permanente aux maîtres déjà arrivés au but.

Technique du clivage de soi. Le Moi se soumet à l’exercice, le mentor en surveille le cours et le témoin intérieur assiste en 3ème instance à l’échange entre les 2. Structure triadique de l’état mental.
Exercice continuel pratiqué sous l’oeil du Grand Autre, par le Moi pathologique du débutant anachorète, renforcé par exercices méditatifs.
L’effet autoplastique de l’exercice fait que la conscience du témoin se grave de plus en plus profondément dans la mémoire physique du contemplant => le 1er Moi est défunt et a été remplacé par un Soi à la fois plus suprapersonnel et plus propre. Réhabiliter l’égoïsme.
But : briser la cuirasse de fer de l’habitude.
Éclat théomimétique. Cura et cultura.
Où était le Ça, le Je doit advenir : le changement des habitudes de vie va de pair avec un changement du sujet.

Vie active => loi fondamentale de l’anthropotechnique : celle de l’effet autoplastie rétroactif de tous les actes et tous les mouvements sur l’acteur. Le travail met le travaillant au monde et lui imprime, par le chemin court du se-former-par-l’exercice, le sceau de sa propre action.

Tu dois changer ta vie ! implique désormais que l’on se prenne soi-même en main pour former, à partir de sa propre existence, un objet d’admiration. Se mettre en scène et faire de sa performance intérieure une performance extérieure.