Un peu de théorie

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Une idée te travaille

Présentation

Une idée nouvelle te travaille

Une idée nouvelle s’est emparée de tout ton être. Comme tu la trouves très belle, tu veux lui appartenir. De peur qu’elle ne t’échappe, tu te figes, oublies tout ce qui t’entoure pour t’ensevelir en toi-même. Alors l’idée s’empare de toi, elle imprime à ta pensée et à ta tête courbée sur la page la direction à suivre. Tu en trembles. Elle s’empare de toi non parce que tu es élu ou parce que tu es blessé, mais parce que tu as su te faire le guetteur de toi-même, à l’affût d’un seul petit instant de dédoublement.
Combien de commotions est-on capable de supporter dans une vie ? La première, qui fait écrire. Puis les paniques régulières qui y font renoncer, momentanément. Enfin, plus rare, l’ordre de s’enfoncer dans le silence, un beau jour, aussi impérieux que le commandement de jadis, qui avait contraint à élever la voix.
On cherche sans cesse des liens entre une page non viable et l’événement tenace et remuant qui en agite une autre, bien vivante, elle. Entre la longue détention de certaines idées douloureuses et puis ces éclats spontanés, gratuits, invincibles, même par la distraction.
Tout dit que l’inspiration est un artéfact créé de toutes pièces par l’esprit humain, qu’elle est une double cure, écriture et lecture à la fois, remède et poison tout ensemble, qui prolonge la fièvre, entretient la maladie et que son auteur (ou son lecteur), dans l’espoir fou de la voir, bute chaque fois contre lui-même. Tout annonce également qu’elle vient d’assez haut (mais de quelle cime ? de quel rapace à livrée grise ? de quel moine ? de quelle recluse ? de quel livre ?). Une chose est assurée : l’inspiration n’est jamais seule. Pour exister, elle doit arracher quelque chose d’humain, qu’elle emportera.
Le tranchant d’une idée, d’un rythme, d’un souvenir ou d’une feuille de papier, fuyant son orbite, est attiré dans les parages de l’humain, dévié, contraint de fendre l’atmosphère qui l’entoure, c’est-à-dire la peau, puis la chair elle-même. Cette lame d’écriture échappe de justesse au danger de devoir rester attachée à la chair pour toujours et, fendant tout ce qui est devant elle, poursuit son chemin dans l’espace.
Ainsi l’inspiration est bien une trajectoire, mais une trajectoire accidentelle, disons une éraflure, pour bien montrer le lien qu’elle tisse avec la blessure.
On n’est pas frôlé impunément par cette sorte d’astre. La coupure continue de brûler, de piquer, il y a là-dedans quelque chose de vivant et d’outré, une étincelle qui se révolte. Nous n’aurions rien d’humain si le langage en nous était tout entier servile…