Propositions d'écriture

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La belle vieille

Présentation

Y a-t-il une beauté de la vieillesse ? Portrait d'une belle vieille.

Afin que vous puissiez approfondir votre réflexion, je vous confie ici mes propres notes et réflexions éparses, fébriles mais suffisantes j’espère à vous donner envie de bien creuser le sujet avant d’écrire. La surface du papier n’est pas vierge, nous le savons tous. Notre éducation et la culture de masse nous ont d’abord donné une vision servile des vieillesses. Je propose donc ces tremplins, issus en partie de mon essai Le Syndrome de Diogène, éloge des vieillesses, pour vous aider à vous questionner. Quels sont les stéréotypes qui forment votre regard ? Comment luttez-vous ? De quelle beauté allez-vous parler ? Et comment ?

1) Voltaire, Dictionnaire Philosophique
Tout est relatif, le beau n’est qu’un canon, le laid a aussi ses canons, différents pour chacun : « Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté (…) Il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds, une gueule large et plate, un ventre jaune (…) Interrogez le diable ; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes, et une queue. »
Pour le laid, c’est pareil. Est laid ce qui est autre, étranger à nos propres paramètres.
Le laid n’est qu’une mode humaine. Il est de bon ton d’amalgamer vieillesse et laideur, vieillesse et mort, vieillesse et dépendance, vieillesse et Alzheimer. Et je pense que tout notre travail doit consister à aider à déconstruire ces schémas qui n’ont plus d’utilité pour la survie de la horde. Et de laisser à la vieillesse, aux vieillesses, l’originalité et la singularité de leur chemin, tout neuf, à tracer.

2) Alfred Jarry, Ubu Roi :
« Mère Ubu, tu es bien laide aujourd'hui. Est-ce parce que nous avons du monde ? »
Ici la laideur serait l’espèce de carapace que nous sécrétons pour que notre soi puisse grandir et s’enrichir en paix, en solitude. J’aime cette définition de la laideur, qui permet de philosopher en paix, contre les chochottes comme la Du Barry, à qui l’on attribue ce mot : « J’aimerais mieux être morte que laide. » C’est assez peu profond… Et son humanité est plutôt en surface. La Du Barry en épouvantable jeuniste. Vers 70 ans, les gens disent : « L’enveloppe extérieure vieillit et change, mais à l’intérieur vous êtes la personne que vous avez toujours été ! » Le soi âgé s’est fait plus riche mais il doit se protéger des agressions extérieures, surtout dans une société où les stéréotypes à l’égard des personnes âgées sont majoritairement négatifs. Alors le masque social reprend du service et on essaie de taire les signes physiques du vieillissement, quitte à étouffer le beau nouveau soi.

3) Duras
Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi.
Il s’est fait connaître et il m’a dit : « Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi
je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté. »
Marguerite Duras dans L’Amant : « Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit ans et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit ans j’ai vieilli. »
Alors elle a assisté à la poussée du temps, elle a vu ses traits se tirer un à un, changer le rapport qu’il y avait entre eux, faire ses yeux plus profonds, le regard triste. Elle dit qu’elle a vu le temps lui « marquer le front de cassures profondes. » Pas effrayée, non. Elle a assisté plutôt avec intérêt au vieillissement de son visage. Chez Duras, cela à lieu à la fin de l’adolescence : « Les gens qui m’avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés quand ils m’ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l’ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli encore bien sûr, mais relativement moins qu’il n’aurait dû. J’ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s’est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite. J’ai un visage détruit. »


4) Narcisse vieux

Narcisse vieux, Narcisse en son continent gris. Valéry, Gide n’osaient plus affronter leur miroir que pour se raser. A l’autre bout de la vie, l’épreuve spéculaire du vieillissement, symétrique à l’expérience originaire du miroir qui annonçait le stade jubilatoire de la première rencontre avec sa propre image, est le désenchantement de Narcisse.
Taches sur le miroir et sur le parchemin du dos de la main. Brunissoir du temps : ces lentigos sur le dos de la main. Taches de vieillesse. Rousseurs. Rouillure. Patine. Fleurs de cimetière.
Vers 70 ans, les gens disent : « L’enveloppe extérieure vieillit et change, mais à l’intérieur vous êtes la personne que vous avez toujours été ! »
Le soi âgé s’est fait plus riche mais il doit se protéger des agressions extérieures, surtout dans une société où les stéréotypes à l’égard des personnes âgées sont majoritairement négatifs. Alors le masque social reprend du service et on essaie de taire les signes physiques du vieillissement, quitte à étouffer le beau nouveau soi.


5) Une belle vieille
C’est à l’oxygène de l’air qu’on doit nos rides. L’oxygène nous brûle à petit feu. D’où la prise d’antioxydants pour tenter de retarder les effets de notre respiration animale.
Si l’on en croit Simone de Beauvoir, la femme est la plus grande perdante parmi ces perdants que sont les vieux : « Ni dans la littérature ni dans la vie, je n’ai rencontré aucune femme qui considérât sa vieillesse avec complaisance. Aussi bien ne parle-t-on jamais de « belle vieillarde » ; au mieux, on dira ‘une charmante vieille femme’. Tandis qu’on admire certains ‘beaux vieillards’ […] Les cheveux blancs, les rides ne contredisent pas cet idéal viril. »
Il ne faut pas oublier que sur 5 personnes de plus de 80 ans, il y a 4 femmes pour un homme. Les vieux sont des vieilles et il est bien possible que le jeunisme soit du sexisme !
Annie Ernaux, dans son Journal du dehors, raconte qu’elle fut victime d’un pickpocket. Et comment elle se sentit « plus humiliée encore que tant de maîtrise, d’habileté, de désir, ait pour objet [son] sac à main et non [son] corps. »
Inspirer le désir sexuel, ou rien ! Ou comme disait la Du Barry : je préférerais être morte que laide.

6) François Maynard
Vieillir est un destin social. On s’aperçoit, un jour, que l’on a vieilli, lorsqu’un autre nous l’a dit ! Le risque est de se perdre dans ce rôle auquel on risque de s’identifier, à force de l’endosser. L’âge vient du dehors, lorsque face à la pression sociale on accepte d’être fini, défini et borné une fois pour toutes. Lorsqu’on renonce au changement, aux formes mouvantes où l’histoire d’une vie continue son évolution créatrice, car exister consiste à changer, se créer indéfiniment soi-même. Et les rides et le nouveau visage font partie de cette créativité, de cette création de soi.
Il est François Maynard. Il meurt en 1646. Il est le premier poète à avoir jamais accolé à la sénescence cette épithète : La belle vieille.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis ta conquête,
Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris,
Et j'ai fidèlement aimé ta belle tête
Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.
(…)
La beauté qui te suit depuis ton premier âge
Au déclin de tes jours ne veut pas te laisser,
Et le temps, orgueilleux d'avoir fait ton visage,
En conserve l'éclat et craint de l'effacer.

Regarde sans frayeur la fin de toutes choses,
Consulte le miroir avec des yeux contents.
On ne voit point tomber ni tes lys, ni tes roses,
Et l'hiver de ta vie est ton second printemps.

Jusqu'à Maynard, qui est un hapax, il est de très bon ton de flétrir la vieillesse, surtout dans le corps des femmes. Martial par exemple.

7) Les épigrammes de Martial
La vieille femme, Martial la nomme Vétustilla, et l’agonit dans ses épigrammes.
Elle est celle qui a vu passer trois cents consuls, à qui il ne reste que trois cheveux et quatre dents. Vétustilla, à poitrine de cigale et misérables cuisses de fourmi. Vétustilla, dont le front montre plus de rides que la robe n'a de plis, Vétustilla aux mamelles semblables à des toiles d'araignée. Comparée à sa bouche, elle paraît étroite, la gueule du crocodile. Et, quoique le coassement des grenouilles de Ravenne l'emporte en douceur sur sa voix, et le bourdonnement du moucheron de l’Adrie en mélodie sur son chant, quoiqu’elle n'y voie pas plus clair qu'une chouette le matin, que l'odeur de son corps soit celle qu'exhale le bouc, quoiqu’elle aie le croupion d'une oie maigre, et que ses secrets appas soient plus décharnés qu'un vieux Cynique, quoique le mois d'août soit encore pour elle la saison des frimas, et que la peste elle-même ne soit pas capable de la réchauffer, Vétustilla se complaît, après deux cents veuvages, dans la pensée d'un nouvel hymen, et elle cherche, insensée, un homme chez qui sa cendre excite le désir. La baiser, c'est comme si l'on voulait sarcler un rocher !
Qui pourra te nommer sa femme, son épouse, toi que dernièrement Philomelus appelait son aïeule ? Si tu exiges absolument qu'on dissèque ton cadavre, que ce soit le médecin Coriclès qui dresse le lit ; lui seul peut chanter ton épithalame. Celui qui met le feu aux bûchers portera devant toi la torche de la nouvelle mariée : il ne faut pas moins que ce flambeau pour t’enculer !

Depuis la Belle Heaulmière de François Villon, la vieillesse est une potence qui n’a jamais cessé d’étrangler les voix, d’appauvrir le sang, de courber le nez, de griveler les cuisses comme saucisses, de faire les vits pâlis, morts et déteints…
Depuis Ronsard : « Je n’ai plus que des os, un squelette je semble / Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé / Que le trait de la mort sans pardon a frappé. / Je n’ose voir mes bras de peur que je ne tremble. »

C’est une mode humaine. Il est de bon ton d’amalgamer vieillesse et laideur, vieillesse et mort, vieillesse et dépendance, vieillesse et Alzheimer. Et je pense que tout notre travail doit consister à aider à déconstruire ces schémas qui n’ont plus d’utilité pour la survie de la horde. Et de laisser aux vieillesses, l’originalité et la singularité de leur chemin, tout neuf, à tracer.

En 1970, Simone de Beauvoir publia un essai intitulé La Vieillesse. Les vieillards sont-ils des hommes ? demandait le Castor. À voir la manière dont notre société les traite, il est permis d’en douter… L’adulte voit dans le vieillard non pas son semblable mais un autre, qui est le sage ou bien le fou. Qu’on le situe au-dessus ou bien au-dessous de notre jeune espèce, en tout cas on l’exile. La vieillesse est un secret honteux et un sujet interdit. Eviter soigneusement d’aborder la question du dernier âge. « Quand j’ai dit que j’y consacrais un livre, on s’est le plus souvent exclamé : ‘Quelle idée ! C’est triste ! C’est morbide !’ C’est justement pourquoi j’ai écrit ces pages. » Briser la conspiration du silence, dit Simone de Beauvoir. « Je demande à mes lecteurs de m’y aider. »
La Vieillesse, par Simone de Beauvoir, tomba, a dit Benoîte Groult, comme un pavé, dans le silence général. Il paraît que personne n’a voulu lire ce livre.

8) Insensiblement
Le 27 janvier 1687, sous la plume de Mme de Sévigné : « La Providence nous conduit avec tant de bonté dans tous ces temps différents de notre vie que nous ne les sentons quasi pas. Cette pente va doucement ; elle est imperceptible ; c’est l’aiguille du cadran que nous ne voyons pas aller. Si à vingt ans, on nous faisait voir dans un miroir le visage que nous aurons ou que nous avons à soixante ans, nous tomberions à la renverse et nous aurions peur de cette figure ; mais c’est jour à jour que nous avançons ; nous sommes aujourd’hui comme hier et demain comme aujourd’hui ; ainsi nous avançons sans le sentir et c’est un des miracles de cette Providence que j’aime tant. »
Elle avait lu Montaigne. Lui-même avait observé déjà que la vieillesse est un processus linéaire dont l’increvable étrangeté est peu à peu rendue admissible par l’expérience : « Conduits peu à peu, sur une douce pente, de degré en degré, la vieillesse nous roule dans ce misérable état et nous y apprivoise. Nous ne sentons aucune secousse quand la jeunesse meurt en nous. Qui y tomberait tout à coup, je ne crois pas que nous fussions capables de supporter un tel changement. »

9) Proust et le bal de têtes
Cette rouille inexorable, Proust l’observe dans « le bal de têtes », dans le Temps retrouvé, pendant une soirée chez le prince et la princesse de Guermantes. Le narrateur, longtemps absent de Paris, y retrouve des personnages côtoyés autrefois. Le travail du Temps n’est rendu visible que par la carie des corps. Le Temps, qui d’ordinaire n’est pas décelable, pour le devenir cherche des poupées et, partout où il les rencontre, s’en empare pour les déguiser.
Au premier moment, le narrateur hésite à reconnaître le maître de maison, les invités, parce que chacun semble s’être « fait une tête » poudrée. Et comme un témoin mis en présence d’un inculpé qu’il a vu, il est forcé, tant la différence est grande, de dire : « Non… je ne les reconnais pas. »
Le prince de Guermantes s’est affublé d’une barbe blanche et alourdi de semelles de plomb. Ses moustaches, comme gelées, incommodent la bouche raidie. Le narrateur ne parvient à identifier les invités merveilleusement grimés qu’en tâchant de faire abstraction de leur travestissement et de compléter leurs traits restés naturels par un effort de mémoire. Tous sont de grands acteurs, paraissant dans un rôle où ils sont différents d’eux-mêmes. Le plus extraordinaire de tous est l’ennemi personnel du narrateur, M. d’Argencourt, véritable clou de la matinée. Il donne à son personnage de vieux gâteux une telle vérité que ses membres tremblotent, que les traits détendus de sa figure, habituellement hautaine, ne cessent de sourire avec une niaise béatitude.
Poussé à ce degré, l’art du déguisement devient une transformation complète de la personnalité. « Quelques riens avaient beau me certifier que c’était bien Argencourt qui donnait ce spectacle inénarrable et pittoresque, combien d’états successifs d’un visage ne me fallait-il pas traverser si je voulais retrouver celui de l’Argencourt que j’avais connu, et qui était tellement différent de lui-même, tout en n’ayant à sa disposition que son propre corps ! C’était évidemment la dernière extrémité où il avait pu le conduire, sans en crever, le plus fier visage, le torse le plus cambré n’était plus qu’une loque en bouillie, agitée de-ci de-là. »
Devant ce sublime gaga, le narrateur est saisi d’un fou rire.

10) Colette dans Chéri
Dans ce combat, c’est Chéri qui se tue.
En ce temps où elle fait l’amour avec un tout jeune homme, peut-être Colette découvre-t-elle encore, comme Léa, dans la Fin de Chéri, « une nuque large, un col sans pli, rond et blanc, en fût de bouleau. » Mais, le cou de Léa, les rides commencent à l’ensevelir, «  épaissi, [il] perdait sa blancheur et montrait, sous la peau, des muscles détendus. »
Le cou de Léa, ridé, à jamais sombré dans l’abîme oxydant, marque avec force La Fin de Chéri : « Déjà le sang prompt de Léa montait, violet, à son cou grenu et à ses oreilles. Elle a un cou de vieille poule, constata Chéri avec un pâle plaisir féroce d'autrefois. » Avant que Chéri ne quitte pour toujours cette Léa « massive », au « menton irrémédiable », il se souviendra qu'elle « massait son cou avec le cold-cream et le morceau de glace noué dans un mouchoir... »

11) Changer les codes et les canons de la beauté
En guerre contre la société âgiste, il nous faut introduire dans les comportements et les discours des éléments subversifs, créatifs, originaux. C’est ce brouillage des codes, auquel vous participez activement, qui entrainera, progressivement, une modification des normes de la vieillesse.

Pour les sociologues, la notion de genre n’est qu’une réitération des modes d’habillement, de comportement et de discours ayant permis la création d’un mythe culturel : par exemple la féminité, la virilité, la jeunesse, la vieillesse, etc. il faut donc utiliser « la faiblesse de la norme », qui ne repose que sur des réitérations, des répétitions du code, pour changer progressivement les normes sociales en les réitérant de manière imparfaite, en créant une ambiguïté dans nos manières de nous habiller, dans nos comportements et nos discours. Les normes sont des constructions culturelles précaires mais qui passent pour naturelles, tant que les gens les répètent parfaitement.

La beauté de la sexualité des sujets âgés
Anja Müller, une jeune photographe berlinoise, fait poser dans des attitudes sensuelles des personnes du troisième et du quatrième âge. L’orgasme fait toujours partie de la sexualité des personne âgées. Si le plaisir change avec le temps, et se complexifie, il va plutôt en s’intensifiant. D’autant qu’une meilleure connaissance de soi et de son corps permet une sexualité plus consciente, moins pressée, plus tendre, qui se mérite et se déguste.