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Roustang (François) > Il suffit d'un geste

Présentation

François Roustang, Il suffit d'un geste, Odile Jacob, 2004.

> Quatrième de couverture
Comment retrouver le goût de vivre ? En inventant à nouveau sa vie ? Peut-être suffit-il d'un geste... Mais lequel ? Pourquoi ? Et par où commencer ?
Une thérapie n'est pas forcément longue. On ne guérit pas par les mots. Il faut surtout accéder à une autre perception de soi-même et du monde.
François Roustang décrit ici ce parcours qui est aussi un éveil à un art de vivre.
Sentir la vie : voici comment y parvenir.

> Entretien avec François Roustang (Conférences & Débats)
Alors qu’on célèbre un peu partout le 150e anniversaire de la naissance de Sigmund Freud, voilà que paraît sans tambours, ni trompettes, un livre dont l’auteur, François Roustang, longtemps psychanalyste, a choisi depuis près de vingt ans de revenir aux commencements de la discipline. Le livre s’intitule Savoir attendre pour que la vie change (1). Ce n’est pas une profession de foi politique, mais une simple tentative d’explication des conditions, des précautions et des raisons de son métier. François Roustang est “hypnothérapeute”. Installez-vous confortablement, détendez-vous... Il y attache beaucoup d’importance

C&D :
Freud pratiquait l’hypnose, puis s’en est détaché jusqu’à y renoncer complètement. Dans un entretien avec Pierre Babin (2), vous expliquez que l’hypnose est la situation thérapeutique qui à permis à Freud de commencer à théoriser, à forger son appareil conceptuel, pour assouvir son ambition de faire science. Que sait-on au juste des pratiques de Freud en matière d’hypnose ?

François Roustang
La pratique de Freud est bien connue. Entre autres par les «Études sur l’hystérie». On a oublié que toutes les cures dont il y est fait mention ont été faites sous hypnose, que Freud y explique qu’il a renoncé au somnambulisme, mais qu’il conserve l’hypnose. Celle-ci est également présente dans d’autres textes de cette époque «Traitement psychique», «Une guérison par l’hypnose», etc.
Sur des points capitaux, je m’y reconnais tout à fait : suggestion pour la mise en transe, souplesse pour tenir compte de l’état du patient, utilisation des résistances, attente de la réaction du patient.

N’avez-vous pas été un excellent psychanalyste ?
C’est essentiellement la question du transfert qui m’a fait m’interroger sur les limites de la psychanalyse. Freud disait que la névrose, au cours de la psychanalyse, se transformait en névrose de transfert. Mais il ne disait pas comment on mettait un terme à cette nouvelle névrose. De là les cures interminables, de là aussi les liens indissolubles, avec leur analyste, d’analysants devenus analystes. Et puis, on le constate généralement aujourd’hui, la psychanalyse et son lourd appareillage ne sont pas faits pour tout le monde. Des thérapies plus légères peuvent être efficaces.. La suggestion est partout dans toutes les relations et donc aussi en psychanalyse

On sait l’importance qu’attachent les psychanalystes au transfert. Cette situation d’illusion dans laquelle le patient tient l’analyste comme celui qui sait et qui est censée susciter un état d’abandon propice à la libre association. Diriez-vous qu’il s’agit de ce qu’on nomme ordinairement la suggestion. Qu’en est-il de cette question dans l’hypnose ?

En hypnothérapie il n’y a pas de transfert. On ne laisse pas le patient répéter à l’égard du thérapeute sa manière habituelle d’être en relation. L’attention du thérapeute et du patient se concentre sur le changement qui est à opérer aujourd’hui dans l’existence. Le patient ne s’intéresse pas pour lui-même à la personne du thérapeute, il attend que ce dernier l’aide à se mettre dans les conditions nécessaires pour que ce changement ait lieu, c’est-à-dire lui ouvre la voie de la transe hypnotique. Par ailleurs, on a critiqué l’hypnose parce qu’elle suppose la suggestion. Mais la suggestion est partout dans toutes les relations et donc aussi en psychanalyse. Dès là que j’existe, je suggère, j’influence, je manipule. Il faut envisager les choses autrement. La question de la suggestion du thérapeute ne se pose plus, si ayant suggéré il tient compte “de” et se soumet“à” la réaction du patient. Il y a suggestion si l’on veut inculquer une vérité ou si l’on croit qu’il existe une vérité, alors qu’il n’y a que des positions différentes dans l’espace et dans le temps. Freud voulait, pour que l’on puisse faire partie de ses disciples, que l’on croit à la sexualité infantile, à l’inconscient, etc. En hypnothérapie, on ne croit à rien, on attend que l’expérience se déroule. Tout au plus on propose de faire une expérience sans savoir si elle aura lieu et sans savoir si elle aura lieu et sans savoir si elle aura des effets. Savoir attendre, c’est attendre sans rien attendre. Ouverture de la disponibilité. Constatation, après de multiples expériences , lorsque la disponibilité est à l’optimum, il se passe quelque chose.

Dans la manière dont vous vous séparez de la thérapie psychanalytique, on croit discerner un changement radical de perspective. Si c’est le cas, comment le définiriez-vous ?

Il s’agit bien d’un changement radical de perspective. Tout ce que j’écris depuis des années à propos de l’hypnose suppose l’existence de deux modes de perception : une perception médiate, celle qui nous permet d’objectiver, d’analyser la réalité, de prendre nos distances par rapport à ce que nous sentons, qui nous permet aussi de comprendre et puis il y a, précédant à la fois temporellement et logiquement ce premier mode de perception, une perception immédiate. Cette perception anté-cognitive est maintenant connue des neurobiologistes, elle l’est des psychologues de la petite enfance, comme elle l’était des anthropologues comme Lévy-Bruhl. Le nourrisson comme le primitif savent qu’ils sont aussi des animaux ou des arbres ou des rochers. Cette perception immédiate ne fournit aucun sens, aucune signification. Elle ignore la distinction de l’espace ou du temps. Elle est ce qu’elle est. Elle permet de circuler d’un élément de la réalité à un autre sans avoir à justifier des liaisons. C’est quelque chose comme cela que nous expérimentons dans le rêve.
Freud savait cela, mais il n’a eu de cesse de lire cette perception anté-cognitive ou anté-prédicative en termes de cognitif. Il s’agissait pour lui de donner le sens des rêves, de faire passer l’inconscient dans le conscient. « Là où ça était, je dois advenir». disait-il. D’où l’importance du terme d’inconscient qui se réfère au cognitif, même si c’en est le négatif. Il me paraît que justement, ce n’en est pas le négatif, c’en est la condition. D’où la formule de la guérison que je propose : «Là où je était, ça doit advenir». Autrement dit pour guérir de la maladie qu’est le penser, il faut en revenir au pré-cognitif, à l’expérience première. Le nourrisson comme le primitif savent qu’ils sont aussi des animaux ou des arbres ou des rochers. C’est cela que propose l’induction de la transe. Je n’ignore pas que cela est tellement contraire à nos perspectives habituelles que c’est difficilement intelligible.

Si je vous ai bien suivi, nous serions encombrés d’un trop plein de savoir qui nous empêcherait de réaliser ce qui est bon pour nous. D’où le constat que le savoir est, comme tel, impuissant à modifier un état quel qu’il soit. A fortiori pour nous guérir de nos souffrances psychiques. Seuls l’engagement et la prise de risque le peuvent. Vous écrivez à ce propos: “il faut repasser par l’idiotie pour accéder à l’intelligence.”
Nous sommes malades d’une pensée qui tourne en rond sur elle-même, nous sommes malades du souci de comprendre, alors qu’il s’agit de faire. Nous voulons comprendre avant d’expérimenter, alors que, dans les choses qui relèvent de l’humain, c’est le contraire qui est vrai. Il faut d’abord faire l’expérience pour tenter après coup de comprendre. Il existe une intelligence qui est à l’œuvre dans l’action elle-même si nous prenons la peine d’y entrer, c’est à dire d’abandonner notre savoir préalable pour nous laisser sentir les tenants et les aboutissants d’une situation. C’est l’environnement dans lequel nous sommes que nous allons laisser venir à nous et c’est lui qui va nous permettre de nous situer convenablement.

Pensez-vous que l’aventure de la connaissance, la propagation des savoirs ait affaibli à ce point nos sens ?
Ce n’est guère contestable. L’homme est devenu un porteur de prothèses. Il y a quelques décennies, on se demandait comment faire pour créer des robots qui ressemblent à des humains. La question d’aujourd’hui est comment faire pour que l’homme devienne pleinement un robot. Il sera de plus en plus nécessaire de réapprendre à sentir, pas seulement de jouer à l’homme des bois, mais de retrouver, dans les relations humaines, la valeur des perceptions qui naissent de la proximité des corps.

Les psychanalystes soutiennent que l’hypnose ne guérit que le symptôme. Par là se trouve justifié l’abandon de l’hypnose par Freud. Mais l’hypnose dites-vous n’agit pas sur le symptôme, seulement sur la configuration qui rend le symptôme possible... Un patient vient vous voir qui souffre d’un empêchement quelconque.
Que faites-vous de son symptôme ?

Je me contente de replonger le symptôme dans la totalité de l’être, sans vouloir lui donner un sens particulier, sans vouloir l’interpréter. Je lui suggère de ne pas tenir compte de son symptôme précisément parce que le symptôme ne devient lui même que parce qu’il est isolé. Replongez-le dans la totalité de votre vie, il disparaîtra. C’est là une des grandes intuitions de Hegel sur la maladie (3). Si j’interprète le symptôme, je le fais relever d’une cause. L’erreur consiste à croire qu’avec la connaissance de la cause - la prise de conscience du souvenir traumatique - on va pouvoir défaire les conséquences du trauma. Alors que ce traumatisme ne constitue qu’un motif. C’est-à-dire un élément parmi d’autres susceptible de donner un éclairage. Nous situer dans le schème expérimental de la causalité, dans “le binôme cause-effet” me pousse à coller le symptôme au cognitif. Le court-circuit de l’interprétation reproduit l’erreur de celui qui pense avoir saisi la réalité en la nommant, alors qu’elle est ligotée comme une momie.
La tentation de Freud a été de transformer le mystère de l’interprétation des songes en interprétation des rêves
La tentation de Freud a été de transformer le mystère de l’interprétation des songes en interprétation des rêves. De faire entrer dans une chaîne causale, ce qui n’était qu’un motif dans le tableau.

Vous cherchez à produire une modification dans l’état du patient. Et ce changement d’état ne nécessite aucun recours à la théorie. Cela signifie-t-il que vous inventez un dispositif thérapeutique différent pour chaque patient ?
Depuis que je pratique ce métier, je n’ai jamais cessé de me demander ce que pouvait bien être le moteur du changement. J’ai mis du temps à comprendre que ce ne pouvait pas être, comme on le disait couramment, un effet de la prise de conscience, que la compréhension aussi fine qu’elle puisse être ne servait à rien. La réponse est qu’il n’y a pas de changement si le patient ne modifie pas sa position, s’il n’agit pas de tout son être pour se situer autrement. Cela suppose que le thérapeute ne cherche pas à faire entrer le patient dans quelque modèle théorique, mais qu’il s’adapte à sa situation présente et qu’il invente pour chacun une procédure qui lui permettrait d’avancer.

Une des dimensions énigmatiques de l’hypnose pour les non initiés, c’est l’état de transe. Pouvez-vous en dire quelques mots ?
Disons pour faire bref que la transe hypnotique est le moyen par lequel s’installe une relation thérapeutique dont le but est une modification dans l’existence.
Comment décrire un dedans quand on est dehors ?
Pour savoir ce qu’est la transe hypnotique, il semblerait qu’il suffise de le demander à ceux qui en ont fait l’expérience. On sent tout de suite que ce n’est pas si simple. L’entrée dans la transe hypnotique indique qu’on a abandonné l’état normal, celui où l’on peut communiquer. Comment décrire un dedans lorsqu’on est dehors ? On a recours alors à un moyen détourné de répondre à la question en décrivant les différentes manières dont on use pour l’induire. Sachez cependant que la transe n’est pas le monopole des hypnothérapeutes, les artistes en période de création, peintres ou comédiens, ou encore les chamanes, savent se mettre dans des situations de transe pour accéder à un état qui les conduit au-delà de leur perception habituelle. Ainsi ils font disparaître le savoir dans l’action.

Y-a-t-il un hypnothérapeute dont vous pouvez dire qu’il ait profondément influencé votre travail ?
J’ai été initié à l’hypnose par des Américains qui avaient été directement ou indirectement formé par Milton Erickson. Médecin psychiatre, il avait rencontré à l’Université l’hypnose classique. À partir de son expérience personnelle de fils de fermier ou de malade (il a souffert à plusieurs reprises de poliomyélite), il a réinventé l’hypnose et en a fait une pratique qui pouvait s’adapter de façon nouvelle à chaque patient.

Vous avez été en analyse avec Serge Leclaire. Pour ce que j’ai pu en savoir, votre psychanalyse vous a conduit à changer de vie. Diriez-vous qu’elle a été un succès ?

C’est un fait que mon analyse a été un succès. A ceci près que mes meilleurs amis analystes pensent que je n’ai pas été analysé.

Propos recueillis par Léon Wisznia

(1) Savoir attendre pour que la vie change (Odile Jacob)
(2) Le thérapeute et son patient, entretien avec Pierre Babin (L’Aube)
(3) Hegel, Le magnétisme animal. Traduction et introduction par François Roustang

> Quelques points dans la vie de François Roustang
Naissance de François Roustang en 1923. Après des études de philosophie et de théologie, puis de psychopathologie, il rejoint l’Ecole Freudienne de Paris créée par Jacques Lacan en 1964. En analyse avec Serge Leclaire, il quitte l’ordre des Jésuites auquel il appartient et devient psychanalyste. Lorsque l’Ecole Freudienne est dissoute par son fondateur, en 1980, il délaisse progressivement son activité de psychanalyste pour s’intéresser, puis s’adonner exclusivement à la pratique de l’hypnose. Son premier livre Un destin si funeste publié aux Editions de Minuit, en 1977, rencontrera un public au delà du cercle des spécialistes et suscitera de nombreux et d’intenses débats. Il publiera notamment par la suite : Elle ne le lâche plus (Minuit), 1980 ; Lacan, de l’équivoque à l’impasse (Minuit), 1986 ; Qu’est-ce que l’hypnose ? (Pluriel), 1994 ; Comment faire rire un paranoïaque ? (Odile Jacob), 2000 ; La fin de la plainte (Odile Jacob), 2000.