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Valéry (Paul) > Monsieur Teste
Valéry (Paul) > Monsieur Teste
Souffrir est une idée comme les autres

Présentation

Paul Valéry, La Soirée avec Monsieur Teste, Gallimard, 1998.  

> Quatrième de couverture

Dans La Soirée avec Monsieur Teste, Valéry explique pourquoi, à la recherche du succès littéraire, auquel il aurait pu légitimement aspirer suivant le voeu de ses amis, il a préféré autre chose. La recherche du succès entraîne nécessairement une perte de temps : "Chaque esprit qu'on trouve puissant commence par la faute qui le fait connaître. En échange du pourboire public, il donne le temps qu'il faut pour se rendre perceptible...". M. Teste est un homme qui a mieux employé son temps : "J'ai fini par croire que M. Teste était arrivé à découvrir des lois de l'esprit que nous ignorons. Sûrement, il avait dû consacrer des années à cette recherche : plus sûrement, des années encore, et beaucoup d'autres années avaient été disposées pour mûrir ses inventions et pour en faire ses instincts. Trouver n'est rien. Le difficile est de s'ajouter ce que l'on trouve." Tel était bien sans doute le programme ambitieux que s'était assigné Valéry lui-même à l'époque où il rédigeait cette fameuse Soirée avec Monsieur Teste. Cet ouvrage a paru pour la première fois en 1896 dans la Revue Centaure.

> Résumé
Monsieur Teste
, de Paul Valéry
Troublé par la lecture de Mallarmé et de Rimbaud, passionné par la découverte des nouvelles sciences et des mathématiques, Paul Valéry (1871-1945) a traversé, en novembre 1892, une crise intellectuelle profonde : la mythique « nuit de Gênes » (« je me sens Autre ce matin ») remit en cause l’entreprise poétique dont il entrevoyait soudain les limites. Cette crise engendra deux idées fondamentales : le « fonctionnement » de l'être intérieur, y compris dans ses manifestations les plus sensibles, obéit à des lois mathématisables et universalisables ; seule une dissociation du Moi d'avec lui-même peut permettre la distance, la maîtrise et la lucidité nécessaires à la compréhension de ces lois. Ainsi se constitue le « systèmeValéry » : « Après tout – JE suis un système terriblement simple, trouvé ou formé en 1892 – par irritation insupportable, qui a excité un moi N° 2 à détacher de soi un moi premier – comme une meule trop centrifugée ou une masse nébuleuse en rotation » (Cahiers, 1932). Deux textes brefs, L'Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1895) et La Soirée avec Monsieur Teste (1896), deux portraits intellectuels à la fois opposés et complémentaires – l'un d'un créateur bien réel, l'autre d'un « non-créateur » imaginaire – naîtront de cette réflexion, suivis d'une méditation silencieuse de vingt années, que viendra interrompre, en 1917, la publication de La Jeune Parque.
Tout Teste est dans son nom : à la fois « tête » et « témoin » (testis), athlète de la pensée et ascète de la lucidité, à la fois strict intellect (« Je confesse que j'ai fait une idole de mon esprit... ») et pur observateur du monde et de lui-même (« Je suis étant, et me voyant ; me voyant me voir et ainsi de suite... »). Il a renoncé à toutes les vanités : argent (« On m'a dit qu'il vivait de médiocres opérations hebdomadaires à la Bourse »), plaisir des sens (« Là, il mangeait comme on se purge, avec le même entrain »), lecture même (« Il y a vingt ans que je n'ai plus de livres »). Il semble avoir dépassé toute émotion (« Jamais il ne riait, jamais un air de malheur sur son visage »), au profit d'une tension extrême et permanente de l'intelligence (« À force d'y penser, j'ai fini par croire que M. Teste était arrivé à découvrir des lois de l'esprit que nous ignorons »), en vue de répondre – ou plus exactement de devenir la réponse même – à cette question : « Que peut un homme ? »

> EXTRAIT
Il souffrit.
« Mais qu’avez-vous, lui dis-je, je puis…
— J’ai, dit-il,… pas grand-chose. J’ai… un dixième de seconde qui se montre… Attendez… Il y a des instants où mon corps s’illumine… C’est très curieux. J’y vois tout à coup en moi… je distingue les profondeurs des couches de ma chair ; et je sens des zones de douleur, des anneaux, des pôles, des aigrettes de douleur. Voyez-vous ces figures vives ? Cette géométrie de ma souffrance. Il y a des ces éclairs qui ressemblent tout à fait à des idées. Ils font comprendre, — d’ici, jusque-là… Et pourtant ils me laissent incertain. Incertain n’est pas le mot… Quand cela va venir, je trouve en moi quelque chose de confus ou de diffus. Il se fait dans mon être des endroits… brumeux, il y a des étendues qui font leur apparition. Alors, je prends dans ma mémoire une question, un problème quelconque… Je m’y enfonce. Je compte des grains de sable… et, tant que je les vois… — Ma douleur grossissante me force à l’observer. J’y pense ! — Je n’attends que mon cri,… et dès que je l’ai entendu — l’objet, le terrible objet, devenant plus petit, et encore plus petit, se dérobe à ma vue intérieure…
« Que peut un homme ? Je combats tout, — hors la souffrance de mon corps, au delà d’une certaine grandeur. C’est là, pourtant, que je devrais commencer. Car, souffrir, c’est donner à quelque chose une attention suprême, et je suis un peu l’homme de l’attention… Sachez que j’avais prévu la maladie future. J’avais songé avec précision à ce dont tout le monde est sûr. Je crois que cette vue sur une portion évidente de l’avenir, devrait faire partie de l’éducation. Oui, j’avais prévu ce qui commence maintenant. C’était, alors, une idée comme les autres. Ainsi, j’ai pu la suivre. »