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Rousseau compositeur : "Me livrant à tout l’oestre poétique et musical…"

L’inspiration poétique fut souvent décrite comme la douleur provoquée par une piqûre d’insecte, elle projette des étincelles, éclats, fusées, au sens de Baudelaire : irruption soudaine de la parole inspirée.

Au livre septième des Confessions, Rousseau brûle d’une envie de composer enfin une oeuvre musicale : « Je m’essayai d’abord sur le premier Acte, et je m’y livrai avec une ardeur qui pour la première fois me fit goûter les délices de la verve dans la composition. Un soir, prêt d’entrer à l’Opéra, me sentant tourmenté, maîtrisé par mes idées, je remets mon argent dans ma poche, je cours m’enfermer chez moi, je me mets au lit après avoir bien fermé tous mes rideaux pour empêcher le jour d’y pénétrer, et là, me livrant à tout l’oestre poétique et musical, je composai rapidement en sept ou huit heures la meilleure partie de mon acte. »

L’oestre, c’est d’abord le taon, qui pique les boeufs et les rend fous. Au sens figuré, c’est une violente impulsion, une excitation. Les taons ont également inspiré Huysmans pour sa fameuse scène des aoûtats, dans En rade. On pourrait sans doute imaginer une passionnante communication sur les rapports directs entre les insectes piqueurs et la littérature. Je le tenterai, mais seulement quand j’aurai retrouvé le protagoniste de cette anecdote, dont il ne me reste que des bribes : était-ce Derrida ? Etait-ce Deleuze ? Il me semble avoir appris qu’un philosophe français, alors qu’il parlait en public, un été, avait été piqué par un frelon. Mais puisqu’il parlait, et parce qu’il était tout entier dans son débit et dans la construction de son discours, passionné par ce qu’il inventait pour ce public présent, attentif, facial, il parvint à ravaler sa plainte. Non seulement, il ne sentait pas la douleur mais surtout il trouvait facilement des idées, des paroles, qu’il proférait dans une extrême tension, à la vitesse de l’éclair. Il aurait dit plus tard qu’il ne pensait même pas à la piqûre, et que la douleur (atroce) se réveilla/se révéla seulement quand son allocution fut terminée et qu’il se laissa aller sur sa chaise.

Jeudi 3 novembre 2011