Billets du lever

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Notion de honte créatrice

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Notion de honte créatrice

On sait que je me passionne pour la notion de maladie créatrice. La maladie créatrice semble effectivement exister dans plusieurs domaines et avoir joué un certain rôle dans l’histoire de la religion, de la littérature et de la philosophie. Mais un seul psychosomaticien eut l’idée d’inverser cette théorie : si des émotions ou des idées mal dirigées peuvent se transformer en maladie, pourquoi une maladie ne pourrait-elle pas disparaître en se transformant en idée géniale ? C’est là le foudroyant concept de « logophanie » avancé par Viktor von Weiszäcker. Ce médecin philosophe dit avoir observé des cas où la disparition d’un symptôme physique fut marqué par l’apparition chez le malade d’une idée, voire d’une notion philosophique. La Nausée de Sartre en est un exemple simple. La Nausée se présente comme le journal intime d’un intellectuel occupé à un travail historique ennuyeux. Cet homme est consumé par une névrose qui lui fait prendre en dégoût le monde entier et lui-même. Or, dans les dernières pages du livre, la « nausée » disparaît, remplacée brusquement par l’esquisse d’une philosophie nouvelle que notre héros va maintenant élaborer et qui ressemble par certains traits à la philosophie que Sartre lui-même devait exposer plus tard.
Voilà pour la maladie créatrice.
Mais je veux parler ce matin de honte créatrice. Je viens de raccrocher mon téléphone, après une tiède conversation avec quelqu’un que j’ai essayé de séduire et qui ne s’en est pas laissé conter. J’ai donc pris un râteau. Mais deux minutes après, une superbe idée m’est venue pour mon prochain roman, et tout en notant ce flot de merveilles sans aucun rapport avec mon chagrin d’amour, offrandes qui se déversaient, me tombaient là, tout cuit, de quoi bâtir la plus belle page de ma vie, j’ai édifié ce concept de honte créatrice. Et maintenant je suis en train de me demander à la suite de quels échecs sont nés chacun de mes romans, et si cela explique qu’il y en ait tant !