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Noudelmann (François) > Hors de moi
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Comment résister à la passion généalogique ?

Présentation

François Noudelmann, Hors de moi, Variations III, Léo Scheer, 2006.

> Présentation de l'éditeur
Un essai qui tente d’aller au-delà des pensées généalogistes pour affirmer la possibilité d’un sujet déjouant les identifications familiales et nationales. À une époque où l’on ne parle que d’enracinement, de patrimoine et de nom du père, François Noudelmann propose un exercice de lucidité qui est aussi apprentissage de liberté.
La rumeur du temps nous invite à retrouver nos origines familiales, ethniques, régionales afin de reprendre pied sur le sol des ancêtres. Il est aujourd’hui impossible d’échapper à la traque identitaire : le nom du père, le ventre de la mère, la terre des aïeux. On sacralise les patrimoines dans un climat de restauration idéologique : les républicains hurlent au déclin de la transmission, les psychogénéalogistes veulent nous guérir par le défilé des spectres et les philosophes ont plongé dans la mélancolie des parentés perdues.
Comment résister à cette passion généalogique ? Le monde des identités ne cesse pourtant de se recomposer selon des relations autrement inventives. Hors du moi que les arbres de légitimité nous imposent d’être, il existe d’autres voix, d’autres rythmes, intimes et sociaux, qui impulsent de la liberté au lieu des nouages. François Noudelmann exerce une critique sans concession des discours généalogiques contemporains et propose un autre rapport aux mémoires et aux filiations.

> Extrait
"La promotion d'un inconscient familial trouve sa référence davantage dans les idées de Jung que dans celles de Freud. Car au-delà de la naïveté à croire redécouvrir la psychanalyse par l'importance des parents, le saut théorique consiste à donner du crédit, de la fonction et de la puissance aux ancêtres non connus. Les différentes identifications à l'oeuvre dans la formation de la personnalité deviennent, par une radicalisation magique, des déterminations de l'inconscient personnel : les psychogénéalogistes font en effet remonter la source d'un tel inconscient à plusieurs siècles et jusqu'aux dix générations précédentes ! Les transmissions culturelles que Jung alléguait à travers l'inconscient collectif trouvent alors une application réduite aux cellules familiales avec le terme fédérateur de 'transgénérationnel'. Par cette représentation d'un passage des vies, des traumas, des caractères au travers des générations familiales, une pensée du lien et de la continuité s'impose qui rassure les individus soudain rattachés, relayés, pris en charge dans une chaîne vivante qui dépasse la mort individuelle et atténue ses angoisses. Mais on pourrait tout autant observer combien une telle obsession du lien enferme les êtres dans une logique de dépendance, et combien elle étend le mal qu'elle prétend soigner. Si pour le psychogénéalogiste le descendant peut éviter de répéter la névrose transmise par sa famille, c'est toujours en relation avec la psyché des ancêtres qu'il doit trouver sa juste place. Sartre a décrit sans ambages ce type d'assignation psychologique : 'On prend un môme bien vivant, on le coud dans la peau d'un mort, il étouffera dans cette enfance sénile sans autre occupation que de reproduire exactement les gestes avunculaires, sans autre espoir que d'empoisonner après sa mort des enfances futures'."

> Mes notes, subjectives et fébriles
Les schèmes de la filiation ont colonisé notre discours, notre imaginaire. Il a d’autres versions de l’appartenance, des identités, de la transmission.
Naturalisation abusive de comportements sociaux, familiaux, sexuels, érigés en modèles bien qu’ils soient circonstanciels et révocables. Dénoncer la violence de cette assignation est porteuse à l’égard de tous ceux qui n’y répondent pas.
Saboter les hiérarchies intellectuelles et morales en montrant les soubassements intéressés de leur formation.
On dresse des généalogies de tout et n’importe quoi, là où une histoire plus rigoureuse supposerait de montrer les différences, les discontinuités, les diffractions.
Modèle familial androcentré
Souverainetés familiales, sexuelles et nationales.
Traque identitaire : le manque d’intérêt pour des ascendants que l’on n’a pas connus est considéré comme louche, voire honteux, à l’égard de ses origines qu’on devrait cultiver. Injonction d’assumer l’identité ancestrale + réduction de la mémoire personnel au récit familial. Si les parentés sont évidemment déterminantes dans la formation des personnalités, leur structuration arborescente les enferme toutefois dans un schéma pauvre et exclusif.
L’incitation à connaître, à décliner et à revendiquer ses racines entre en contradiction apparente avec l’idéologie républicaine qui définit les citoyens selon une égalité de droits et indépendamment de leur origine ethnique et géographique.
L’inclusion des membres les plus éloignés de la parenté repose au fond sur l’exclusion de ceux qui n’en sont pas car ils n’en proviennent pas. La construction même des arbres repose sur de l’exclusion. Ainsi des femmes par principe oubliées dans les arborescences patronymiques, des êtres qui ne procréent pas : sans descendance, il ne sont que branche morte. Enfants naturels. Généalogistes ont du mal à reconnaître l’adoption, ils restent obsédés par la recherche des ancêtres biologiques. Remariages et homoparentalité n’y ont pas leur place.
Le marqueur idéal reste le patronyme.
L’obsession de la continuité, de la conformité, de l’identité, caractérise le geste généalogique. On aimerait suggérer à nos généalogistes d’observer d’autres systèmes de filiation et de transmission symbolique, d’autres usages du nom propre. Cf. anthropologie hors d’Europe.
Roman : identification à un nom. S’y accrochent ceux qui tiennent à la lettre même de leur nom, attribuant valeur positive à tel accent, telle terminaison. Blessés qu’on ne respecte pas telle consonance. Trahis par substitution d’une voyelle rapportée.
Requête des femmes mariées qui veulent garder leur nom de jeune fille, c'est-à-dire le nom de leur père, exprime à la fois une résistance à l’appropriation masculine par le nom et l’illusion d’un nom propre à soi. S’approprier un nom suppose d’assumer plutôt en tous sens la formule d’auto-présentation « je m’appelle » en transformant la valeur passive (« je suis appelé ») par l’assomption d’une 1ère personne : « je me porte vers ce nom ». voltaire : je ne suis pas comme ceux qui déshonorent le nom qu’ils ont reçu, j’immortalise celui que j’ai pris.

Site web notrefamille.com (2005). Marcher vers son identité, c’est prendre conscience de ses racines pour être bien dans ses branches. Manichéisme inhérent à cette sommation thérapeutique. Etre bien ≠ être mal. Avoir des racines ≠ oublier ses origines. Appartenir à un terroir ≠ être sans attaches. Reconnaître sa dette à l’égard des ancêtres ≠ être un ado égaré.
La construction des parentés diffère radicalement du lignage naturel. Les êtres rencontrés dans la vie, hors des lignées, provoquent souvent des transmissions et des héritages souvent plus décisifs que ceux des ascendants. Filiation spirituelle, symbolique. Il faudrait sortir du schéma paternaliste de la filiation pour s’affranchir des paternités, maternités, fraternités…
Ne pas confondre l’illusion d’une continuité généalogique et la construction d’une transmission élective et affective.
Le familiarisme impénitent, hérité de la psychanalyse, maintient les ressorts principaux de l’identité dans le noyau parental.
On pourrait proposer d’autres structures qui donnent place à des êtres extérieurs à la maisonnée, à des personnes rencontrées à l’école, en voyage, qui ont eu une influence décisive. Cela donnerait à voir une autre carte que celle des arborescences familiales.
Donner du crédit, de la fonction et de la puissance aux ancêtres non connus : psychogénéalogie.
Sartre, contre l’assignation psychologique : « On prend un môme bien vivant, on le coud dans la peau d’un mort, il étouffera dans cette enfance sénile, sans autre occupation que de reproduire exactement les gestes avunculaires, sans autre espoir que d’empoisonner après sa mort des enfances futures. »
Penser et tisser de la relation non généalogique auprès de la personne âgée.
Assumer l’hétérogénéité des groupes humains facilite rapprochements et négociations, on donne possibilité de se modifier et de se détacher des sources régressives.
Se délester de l’autorité écrasante et paralysante du lignage pour devenir disponible à de nouvelles compositions.
Découvrir des livres comme autant d’expérience de vie et non au titre d’objets patrimoniaux.
L’enfant a changé de statut : un enfant singulier, accueilli pour lui-même et non en tant que la continuation de ses ancêtres. Déclin des liens de parenté, brouillage des âges générationnels, l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte perdant leur fonction de stade dans la formation personnelle, où la vieillesse culminait.
Bouleversement du sens de la reproduction humaine qui n’est plus dictée par un impératif social mais provient du seul désir privé.
Le psychogénéalogiste affirme solidarité inconsciente entre les ascendants, même inconnus, et les descendants qui transportent les traumas, les refoulements et les névroses des générations passées.
Nous serions revenus au souci de la transmission, aux valeurs du passé fondateur mais on ne peut que constater le décalage quasi schizoïde entre d’une côté les nouveaux modes de vie, les redistributions familiales, et de l’autre le raidissement idéologique et les constructions normatives des généalogistes qui n’admettent que la continuité.
Prôner le discontinu, suspendre ces dispositifs et revendiquer une autre organisation des places et une autre hiérarchie des valeurs. Prendre conscience du caractère conventionnel de certaines attitudes devant la personne âgée.
La rencontre de l’autre en tant qu’autre ne s’abstrait pas du contexte, du passé, des pressions respectives, de l’inégalité des conditions. L’autre est déjà là ; dans un flux qui porte avec lui tout un complexe de conditionnement. Le rapport interpersonnel.
La joie provoquée par ce qui se trame entre des individus appartenant à des arbres, des sociétés, des passés très ≠. On est loin de l’entre-soi, de la familiarité des tribus, de la communion incestueuse des gens qui se ressemblent. L’expérience d’une étrangeté qui met incessamment en éveil.
Pas de ressemblance mais convenance. On ne se ressemble pas mais on se convient. Petits événements qui décollent les adhérences. Transmettre sans reproduire, aimer sans répéter.