Billets du lever

Billets du lever

Imprimer la fiche
Crever le nuage

Présentation

Je lis chez Mircea Eliade, dans Fragmentarium, ces révélations sur le critique d'art espagnol Eugenio d’Ors : « Certain que ‘le sacrifice est la loi de l’expression’ et que ‘sacrifier c’est vivre’, Eugenio d’Ors brûle en chaque nuit du Nouvel An une page fraîchement écrite. ‘Une page, une page bien remplie, écrite avec attention, amour et longue fatigue est immolée en holocauste… Sur l’amas de papiers d’un manuscrit, une allumette y a mis le feu ; flamme et fumée se sont envolées au loin à travers la fenêtre…’. Ce qui m’émeut dans cet aveu, poursuit Eliade, c’est le cérémonial et la grave mélancolie du ‘sacrifice’. Un sens religieux est attribué à cet acte, en lui-même de peu de conséquence. Je n’hésiterai guère à penser qu’après avoir brûlé cette page au commencement d’une année nouvelle, Eugenio d’Ors se sent plus fort, plus riche, plus serein face à sa propre versatilité. C’est un sacrifice fait selon tous les canons de la Religion et de la Méditerranée. L’offrande est là, et pareillement la proportion, le sens des limites et des normes. »

Je descends alors en moi-même, n'y trouve ni canon ni Religion, seulement la Méditerranée, à deux pas géographiques. Est-ce que cela signifierait encore quelque chose pour moi que de brûler un petit morceau de manuscrit ? Est-ce que cela peut signifier quelque chose de concret, de cohérent, de symboliquement fort pour quelqu'un qui "sauvegarde" son travail sur le "nuage". Toutes mes pages étant sauvegardées vers iCloud, via ma connexion internet, est-ce que je devrais, de temps en temps, crever le nuage pour en tirer la force, me sentir plus sûre de moi ? Ou bien faut-il impérativement un peu de fumée, la flamme mobile de l'allumette, l'élément naturel, l'igné dans toute sa splendide clarté ? A tester l'an prochain ! En attendant je le note tout de suite dans iCal, qui conduira mon mémo à l'abri dans les nuages.