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Chrétien (Jean-Louis) > La joie spacieuse. Essai sur la dilatation (2007)

Présentation

Jean-Louis Chrétien, La Joie spacieuse. Essai sur la dilatation, Minuit, 2007. 

Résumé
La joie nous rend plus vifs dans un plus vaste monde. Comment penser cet élargissement du dehors et du dedans, et le chant neuf de ses possibles ? Et de quelle manière décrire ce que la Bible nommait dilatation du cœur, laquelle parfois se produit jusque dans l'épreuve et l'angoisse, comme si leur pression faisait naître une force à nous-mêmes imprévue ?
Plus encore que les philosophes, les poètes et les mystiques ont su ce qu'il en est d'être soulevé par cette crue de l'espace, et déchiré presque par cette joie. De saint Augustin à saint Bernard et à sainte Thérèse d'Avila, du trop méconnu Thomas Traherne à Victor Hugo, Walt Whitman, Paul Claudel et Henri Michaux, ces explorateurs de la joie spacieuse servent ici de maîtres et de guides pour ce pays qui peut s'ouvrir au détour du moindre chemin, voire au coin d'une chambre, si nous nous laissons rejoindre et traverser par sa soudaine lumière. Lourd d'histoire est le mot " dilatation ", mais riche aussi de promesse.
Jean-Louis Chrétien continue, inspiré, à rendre sensible la “haute dramaturgie” lovée dans les expériences et les gestes les plus simples, l’“ordinaire de nos jours” à quoi tient “le seul véritable extraordinaire” "Elle n’est pas la joie de se sentir plus puissant. C’est la joie qu’on éprouve devant le monde : là où on ne comprenait pas, où on ne voyait pas, tout à coup on comprend quelque chose qui était incompréhensible, et des possibles apparaissent. La joie intellectuelle, c’est la joie des tâches nouvelles qui nous sont données et qu’on ne soupçonnait pas auparavant. On peut avoir une pile de livres par soi écrits devant soi, si notre intelligence s’y est épuisée, ce n’est pas du tout joyeux, il y a comme une pesanteur qui retombe sur nous. La joie intellectuelle, c’est la joie de comprendre comment on va faire pour comprendre plus. Il s’agit bien alors d’une dilatation. L’espace du pensable s’élargit."

Table des matières
Introduction. La question de l'espace de la joie et le destin du mot " dilatation ".
Chapitre I. Saint Augustin et le grand large du désir.
Chapitre II. Saint Grégoire le Grand et l'ampleur dans l'étroit.
Chapitre III. Les coureurs dilatés du psaume CXVIII, d'Henri Michaux à sainte Thérèse.
Chapitre IV. Dilatations mystiques.
Chapitre V. Bossuet sur les grands chemins.
Chapitre VI. Amiel et la pathologie de la dilatation.
Chapitre VII. Thomas Traherne et l'Éden retrouvé.
Chapitre VIII. Whitman voyageur sans limites.
Chapitre IX. La respiration cosmique de Paul Claudel
Index nominum.

En détails
D'un cadavre, on peut faire le tour. Lorsqu'il gît par terre, des policiers parfois en dessinent à la craie le périmètre. Mais, d’un corps vivant, il est difficile de dire où il se termine. L’épiderme semble être à même de clôturer l’"intériorité”, de tracer une limite entre le “monde des couleurs”, celui des choses et des autres, et le “monde des douleurs”, qui n’est qu’à soi. Mais ce n’est qu’illusion. On sait bien que dans son corps on se sent tantôt à l’aise, comme dans un vieux pull en laine oversize, et tantôt à l’étroit, comme dans une veste aux manches trop courtes. C’est que le corps est mobile et élastique, et n’a point de bords fixes. La cause ne tient pas à la peau qui, magiquement, s’étendrait ou se rétrécirait, mais aux états d’âme qui aèrent ou asphyxient tout l’être. Vexé, méprisé, humilié, terrorisé, endeuillé, on se fait tout petit, on voudrait n’être plus qu’un os, on voudrait disparaître. Mais, s’il arrive un sourire, une bonne nouvelle, un événement heureux, alors on devient plus grand que le monde, on est un océan, une immensité astrale - on “déborde de joie”, comme on dit.
Jean-Louis Chrétien continue, inspiré, à rendre sensible la “haute dramaturgie” lovée dans les expériences et les gestes les plus simples, l’“ordinaire de nos jours” à quoi tient “le seul véritable extraordinaire”. De La Voie nue – Phénoménologie de la promesse à De la fatigue, de L’Inoubliable et l’inespéré à Promesses furtives, il n’a cessé de (dé)tisser les liens du corps et de la parole, d’étudier en phénoménologue la façon dont le corps se fait porte-parole et dont la parole prend corps, de chercher à savoir ce que cela veut vraiment dire que de “prendre la parole”, “promettre”, “s’épuiser”, “chercher sans trouver” (la vérité, Dieu, le Bien, ses clefs…), “trouver dans chercher” (l’amitié, Dieu, sa voie…), “perdre” (quelqu’un, ses illusions, la foi, son chemin…), “accueillir”, “être présent”, “être proche”, “espérer”… Il publie aujourd’hui La Joie spacieuse – Essai sur la dilatation.
Quand on a le “cœur gros”, que quelque chose semble le serrer, on est au bord des larmes. Mais lorsque le cœur “se dilate”, toute l’existence paraît prendre une autre dimension. “Notre respiration se fait plus ample, notre corps, l’instant d’avant replié sur lui-même, n’occupant que sa place ou son coin, tout à coup se redresse et vibre de mobilité, nous voudrions sauter, bondir, courir, danser, car nous sommes plus vifs dans un plus vaste espace, et le défilé resserré de notre gorge devient le gué du cri, du chant ou du rire déployé.” Que salue cette “dilatation du cœur” ? La venue de la joie, de la simple et pure joie, dont le caractère est d’être toujours “enfantine”, parce que innocente, imprévue, destinée à disparaître mais incapable de vieillir – l’avenue que la joie ouvre dans l’être tout entier, modifiant et oxygénant son rapport au monde, son rapport aux autres, son rapport à soi, le rendant “plus large, plus vivant, plus fort”.
Le terme de dilatation, caractérisant la joie, est présent dans la première traduction latine de la Bible, “n’apparaît dans la littérature qu’avec Tertullien”, est “comme spécifique aux auteurs chrétiens”. Si, dans l’introduction, elle trace les “linéaments du destin du mot dilation”, en allant de Baudelaire à Hugo, de Thomas d’Aquin à Camus, de Bachelard à Bergson – “le seul exemple” où la dilatation, “autre nom de l’intuition au sens neuf qu’il prête à ce terme”, désigne “la question centrale du philosopher” – La Joie spacieuse, ensuite, en parcourt toute l’histoire, en s’arrêtant moins sur des philosophes – saint Augustin en premier lieu – que sur des “mystiques et des poètes” : Origène, saint Hilaire, saint Bernard, sainte Thérèse, saint François de Sales, Louis Chardon, Bossuet, Amiel, Thomas Traherne, auteur méconnu des Poèmes de la félicité, Walt Whitman, Paul Claudel, Henri Michaux… Mais qu’on n’imagine pas une “anthologie”. Les variations autour de la “haute parole” de ceux qui ont su décrire l’épreuve de la joie permettent à Jean-Louis Chrétien d’esquisser, bien au-delà d’une “physique des corps”, une métaphysique de la présence, d’une présence douce, où s’entend, susurré plus que proclamé, l’éloge de l’Ouvert – où les hommes, plutôt que de s’imposer ou d’en imposer, de n’être soucieux que de leur force, de ne songer qu’à étendre leurs pouvoirs, auraient la “faiblesse” de porter attention au monde et à autrui, d’être réceptif à leurs promesses, de s’étendre par cette “dilatation du cœur” qui ne se réalise aux dépens de personne, qui n’ôte de place à personne et qui fait accueillir chaque matin comme une matinée de printemps.