Corps écrit

Corps écrit

Imprimer la fiche
Daudet (Alphonse) > La Doulou

Présentation

Alphonse Daudet, La Doulou. Préface, notes et postface de Julian Barnes, traduites de l'anglais par Jean-Pierre Aoustin, Mercure de France, 2007. 

> Présentation de l'éditeur
Alphonse Daudet contracta la syphilis très jeune, à l'âge de dix-huit ou vingt ans. Cette maladie, à l'époque incurable, touchait toutes les couches sociales et notamment les jeunes bourgeois amateurs de liaisons amoureuses variées : Baudelaire, Flaubert, Maupassant, Jules de Goncourt, tous ont été frappés. Dans ce texte bref resté longtemps secret - il ne fut publié qu'en 1930, alors que Daudet était mort en 1897 - l'auteur du Petit Chose et des Lettres de mon moulin nous entraîne dans l'implacable parcours du malade au fur et à mesure de l'aggravation des symptômes. La douleur, doulou en provençal, est atroce ; surviennent parfois quelques moments de rémission ; puis la torture reprend. Composé de notations brèves et percutantes, ce " journal intime " rédigé de 1885 à 1895 est un témoignage pudique et bouleversant sur la douleur vécue au quotidien. Julien Barnes a été fasciné par ce texte, qu'il a traduit et fait découvrir aux Anglais.

> En deux miens mots
La Doulou d'Alphonse Daudet est l'un des rares ouvrages traitant directement et uniquement de la douleur physique. Le courage consiste à ne pas effrayer les autres.

Du jour où la Douleur est entrée dans ma vie.
A quoi ça sert, les mots ? Ils arrivent quand c’est fini, apaisé. Ils parlent de souvenirs, impuissants ou menteurs.
Douleur toujours nouvelle pour moi et qui se banalise pour eux. Ils s’y habituent, moi pas.
Croissance morale et intellectuelle par la douleur, mais jusqu'à un certain point.


> Extraits

Retour de la douche avec X, un malade de la tête, que je réconforte — que je « frictionne » en chemin, pour le plaisir si humain de me faire de la chaleur à moi-même.

… du jour où la Douleur est entrée dans ma vie…

Ce que j’ai souffert hier soir — le talon et les côtes ! La torture… pas de mots pour rendre ça, il faut des cris.
D’abord, à quoi ça sert, les mots, pour tout ce qu’il y a de vraiment senti en douleur (comme en passion) ? Ils arrivent quand c’est fini, apaisé. Ils parlent de souvenir, impuissants ou menteurs.

Pas d’idée générale sur la douleur. Chaque patient fait la sienne, et le mal varie, comme la voix du chanteur, selon l’acoustique de la salle.

Douleur toujours nouvelle pour celui qui souffre et qui se banalise pour l’entourage. Tous s’y habitueront, excepté moi.

Douleur qui se glisse partout, dans ma vision, mes sensations, mon jugement ; c’est une infiltration.

Et j’imaginais une conversation de Jésus avec les deux larrons sur la Douleur.

Dans ma pauvre carcasse creusée, vidée par l’anémie, la douleur retentit comme la voix dans un logis sans meubles ni tentures. Des jours, de longs jours où il n’y a plus rien de vivant en moi que le souffrir.

Ecrit pendant l’une de ces crises.

Croissance morale et intellectuelle par la douleur, mais jusqu'à un certain point.

La lutte, ce qu’il y a de plus affreux. Au moins, le jour où il n’y a plus moyen de bouger…

Mon sosie. L’homme dont le mal se rapproche le plus du vôtre. Comme on l’aime, comme on le fait parler. Moi, j’en ai deux : un peintre italien, un conseiller à la Cour d’appel, qui, à eux deux, sont ma souffrance.

Des enfants malades. Causé avec un petit. Certaine fierté dans ses douleurs. (Fragilité des os).

Mais je souffre, moi aussi, et en ce moment ; mais j’ai pris l’habitude de garder mes souffrances pour moi ; quand la crise est trop forte et que je me laisse aller à une plainte un peu vive, c’est un tel bouleversement autour de moi ! « Qu’est-ce que tu as ? D’où souffres-tu ? » Il faut avouer que c’est toujours la même chose et qu’on serait en droit de nous dire : « Oh ! alors, si ce n’est que ça ! »
Car cette douleur, toujours nouvelle pour nous, notre entourage y est habitué, elle deviendrait vite une fatigue pour tout le monde, même pour ceux qui nous aiment le plus. La pitié s’émousse. Aussi, ne serait-ce par générosité, c’est par fierté que je retiendrais mes plaintes, pour ne jamais lire dans les yeux les plus chers la fatigue ou l’ennui.