Corps écrit

Ted Shawn, Chaque petit mouvement : A propos de François Delsarte, trad. Annie Suquet, Préface Nancy Lee Ruyter, Complexe, 2005.

> Présentation de l'éditeur
Figure mythique de la modernité en danse, François Delsarte n'était pourtant pas danseur et n'a laissé que peu d'écrits. Ce Français, dont la carrière de chanteur fut temporairement interrompue quand sa voix se brisa, passa le reste de sa vie à étudier les liens existant entre le geste et l'émotion, entre une sensation et son expression physique. Tout un pan de la danse moderne est fondé sur ses découvertes. Très célèbre en son temps, sa méthode fit fureur. On croisait dans ses cours des hommes politiques ou des orateurs en vue. Mais c'est un comédien américain, Steele Mackaye, son disciple le plus assidu, qui le fit connaître aux Etats-Unis où le nom de Delsarte est resté beaucoup plus célèbre qu'en Europe. Son unique biographie est l'œuvre d'un Américain, Ted Shawn. Publié en 1954, Every Little Movement : a Book about François Delsarte est un hommage rendu par ce chorégraphe à celui qu'il considérait comme son maître et comme le père de la danse moderne américaine. Ted Shawn, fondateur avec sa femme Ruth Saint Denis de la célèbre Denishawn School, entendait avec cet ouvrage rendre justice à la " vraie science de Delsarte ", dont des décennies d'usage abusif et de mode avaient selon lui édulcoré, voire anéanti, le sens profond. Pendant plus de trente ans, il rassembla toutes les sources d'informations accessibles sur Delsarte. C'est au terme de cette recherche obstinée que le danseur entreprit la rédaction de ce livre. A la fois manuel pratique et ouvrage théorique destiné aux étudiants en danse, Every Little Movement connut un tel succès qu'il fut réédité en 1963. En voici enfin la traduction française, annotée et augmentée d'une préface. Grâce à l'apparat critique d'Annie Suquet, le lecteur débrouillera l'écheveau du " delsartisrne " américain et cernera mieux son influence sur les différentes techniques corporelles et somatiques.
 
> Extrait
L'usage expressif du dos
Delsarte a découvert que la manière de marcher, l'attitude du corps et la qualité des gestes sont révélatrices du tempérament, de l'état de santé et des émotions de l'être humain, mais il ne lui échappait pas pour autant que le visage et son expression constituent la manifestation la plus singularisée de l'individu. Lorsqu'un visage exprime une émotion, nous savons que cette émotion est vécue par la personne à qui appartient ce visage et par nulle autre. Aussi est-il plus efficace, pour traduire la souffrance anonyme et universelle de l'humanité, de soustraire le visage au regard du public : lorsque l'émotion est exprimée par le dos et amplifiée par les membres, un effet de plus grande impersonnalité, d'universalité est véhiculé. L'émotion devient moins personnalisée : elle semble exprimer la douleur, la peur et la joie de l'humanité dans son ensemble.