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Dolto (Françoise) > Le dandy, solitaire et singulier

Présentation

Françoise Dolto, Le dandy, solitaire et singulier, suivi de Le dandy, une figure de proue (entretien avec Patrick Favardin et Laurent Boüexière), Mercure de France, 1999. 

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On connaît Françoise Dolto pour son travail sur les enfants et leur éducation. On sait moins que, à travers son prisme psychanalytique, elle s'est aussi intéressée à la figure du dandy, en prenant comme modèle son ami le peintre Georges Mathieu.

Au début des années 60, ce dernier lui demande de porter par écrit, pour la revue United States Lines Review dont il a la charge, ce qu'elle lui a confié, en tête-à-tête un soir, de sa vision du dandy (ou, mieux, des dandys). Ce texte (disponible au Mercure de France) est une brève mais brillante étude sur ce que l'on pourrait nommer le pourquoi et le comment du dandy, et ce n'est pas un hasard si Patrick Favardin et Laurent Boüexière, lorsqu'ils préparèrent l'exposition Splendeurs et misères du dandysme, rencontrèrent Dolto, plus de 20 ans après ce premier texte, pour approfondir avec elle son portrait du "dandy-figure de proue".

Ainsi pour Dolto, l’essentiel n'est pas "dans la fascination qu’il suscite chez ses détracteurs ou imitateurs, mais dans sa détresse" qui du point de vue de la psychanalyste d’enfants qu’elle est, "trouve ses causes profondes dans l’enfance". Ne s'éloignant guère de son sujet de prédilection, la psychanalyste voit donc le dandy comme le "créateur de lui-même en tant que sujet qui a voulu naître". Dès lors, né "d'une seule option" et de par sa propre volonté, le dandy "quitte son propre passé solitaire dont il ne retient rien, comme la flèche quitte l’arc aux formes de lèvres dans un jet décisif (...). Après la très intense souffrance du 'passé-flamme' purificateur, il entre dans une dimension nouvelle où toujours solitaire, il mène sa vie d’artiste, de poète, d’adorateur de beauté froide dans un engagement total. Il incarne pour son temps la figure de proue insensible aux tempêtes, et trace en un style de vie servant d’exemple, son orgueilleux chemin vers l’horizon de sa mort, indifférent aux dires et aux faires de qui se targue de le suivre."

De ce postulat, Françoise Dolto passe en revue les causes et les moyens de cette auto-naissance : le miroir d'abord, qu'elle nomme très justement "l'amant" du dandy, et qui est l'instrument essentiel de sa gestation, puis de son éducation ; le miroir est aussi, "telle la barre de la danseuse (...), le maître intransigeant de ses écarts". L'image de lui-même que le dandy envoie (réfléchie par le miroir ou par le regard de l'Autre) est vitale (au sens de nécessaire à la vie) et "l’accueil fait à [son] image-apparition, dans le jeu de cache-cache mondain des salons à la mode, prend pour [lui] le sens de retrouvailles."

Bien sûr, ce qui intéresse Dolto, au-delà de l'image, ou de l'habit, c'est l'âme du dandy. Derrière l'enveloppe, l'apparence, le dandy cache sa blessure : "Adolescent solitaire, aux traits déjà formés, au cœur sans oreilles ou aux yeux sans entrailles, il détonne. Attiré, attirant, fait pour séduire, il sent sa tête trop lourde, sa peau trop fine, ses membres étrangers à l’étreinte". Le dandy si "matériel" quant à son aspect, ne serait-il donc pas fait de chair au contraire de ses (dis)semblables ? Sans doute non puisque "aucun désir chez le dandy" n’admet "consommation, aucun désir passant par la médiation du corps" ne trouve "sa justification." Dès lors, le dandy devient "l’amant de la seule véritable beauté de la forme" et "dresse son dard contre la bêtise des larves processionnaires humaines. La lâcheté qui tolère la laideur au nom du conformisme est le dragon baveux qui doit rendre gorge."

Ainsi va le dandy, "sans pitié demandée, sans pitié donnée, chevalier solitaire, moine en dentelles, paillard chipoteur, artiste difficile, prince du faste, héros aveugle ou voyeur des fascinations qu’il suscite et décourage, officiant missionné du culte sans rituel d’une beauté qu’il veut et sait toujours inaccessible (...) Flèche inexorable au fulgurant tracé", il demeure "fidèle à son engagement total. Aucune cible terrestre ne saurait l’arrêter, et les plus captivantes sont pour lui transparentes. C’est au cœur même de Dieu qu’il doit atteindre, flèche de désir, c’est au cœur de Dieu qu’il doit ficher son cri."