Corps écrit

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Dolto (Françoise) > Solitude

Présentation

Françoise Dolto, Solitude, Gallimard, 2001.

> Quatrième de couverture
« La solitude m'a toujours accompagnée, de près ou de loin, comme elle accompagne tous ceux qui, seuls, tentent de voir et d'entendre, là où d'aucuns ne font que regarder et écouter. Amie inestimable, ennemie mortelle - solitude qui ressource, solitude qui détruit, elle nous pousse à atteindre et à dépasser nos limites. » La solitude caractérise le petit humain dès la naissance et le place dès lors dans une dépendance radicale à Autrui. Se référant constamment à ses rencontres cliniques et aux faits de sa vie privée, Françoise Dolto déploie une grande fresque de l'histoire du sujet, de l'origine à la fin. La plupart des grands thèmes de son oeuvre y sont présents, avec des variations sensibles de ton et de temps, car ce livre polyphonique traverse plus de vingt ans de sa recherche.

> Mes notes chaotiques, après une lecture subjective et fébrile
La solitude créatrice construit à la fois l’auteur et l’œuvre, la solitude « décréative » (le mot est de Françoise Dolto) est celle qui les détruit tout de go. C’est la bonne solitude, une fois acceptée, qui rend vraiment fécond, quand la pensée est la compagne, abstraite, invisible, amie continuelle et silencieuse. La solitude créatrice se trouve au fond d’une solitude acceptée et non recherchée. Il y a donc intérêt, dit Dolto, à écrire ses moments de solitude, à les mettre en musique comme font les musiciens, en peinture comme font les peintres, en poterie comme font les potiers… Tous les artistes sont créateurs dans leurs moments de solitude. La créativité de quelqu’un, sa création encore plus, sont le fruit d’une solitude. » Kafka : « Tremblant de peur devant le moindre dérangement, je tiens mon travail serré contre moi et non seulement mon travail, mais la solitude qui en fait partie. »
Nous sommes avec ceux que nous contacterons sans savoir quand. Et si nous exprimons dans la solitude ce que nous avons à écrire, un jour cette rencontre se fera. Pour un Hermann Hesse, ni sombre, ni endeuillé, que la vie semble avoir dédommagé toujours, nos entretiens et nos discussions avec nos morts sont plus fructueux qu’avec les vivants et la rencontre a eu lieu chaque jour de sa vie : « Si un jour je me mettais à chercher avec qui j’entretiens volontiers les relations les plus fréquentes en dehors de ma femme et de mes fils, il apparaîtrait que c’est uniquement avec des morts, des hommes de tous les siècles, des musiciens, des poètes et des peintres. Leur être, concentré dans leur œuvre, continue de vivre et revêt pour moi plus de présence et de réalité que la plupart de mes contemporains. »

Ecrire, c’est défendre la solitude dans laquelle on se trouve. « J’écris pour moi, dit Flaubert, pour moi seul, comme je fume et comme je dors. C’est une fonction presque animale, tant elle est personnelle et intime. » Ecrire est une action qui ne surgit que dans un isolement effectif, mais c’est un isolement communicable car, à cause de l’éloignement de toutes choses concrètes, le dévoilement de leurs relations est rendu possible. Malgré la solitude de l’auteur, le texte est le plus conducteur des corps. Le texte rend le lecteur à sa réflexion, à sa propre exploration. Il est des secrets qui demandent à être publiés, écrit Maria Zambrano, philosophe espagnole, et ce sont eux qui visitent l’écrivain, profitant de sa solitude, de cet isolement affectif qui lui fait éprouver la soif. Un être assoiffé et solitaire, c’est ce dont a besoin le secret pour se poser sur lui, lui demandant, puisqu’il lui donne progressivement sa présence, qu’il le fixe par la parole en traits permanents. La vérité se montre à lui, profitant de sa solitude et de son désir, du silence dans le vacarme de ses passions. Mais ce n’est pas à lui à proprement parler qu’elle se montre puisque si l’écrivain connaît selon qu’il écrit, et qu’il écrit pour communiquer aux autres le secret découvert, ce à quoi elle se montre en vérité, c’est à cette communication, cette communauté spirituelle que forme l’écrivain et son public.
Pour que l’inspiration se produise, il faut une dépossession de soi. Pour être possédé, il faut un vide impératif, un creusement de l’être qui permette la survenue. La force du faible, par exemple. Comme l’ânesse de Balaam, on est choisi par Dieu parce qu’on est humble, ou femme, ou malade, ou veuve — comme Christine de Pizan. Force de la femme qui naît de son éloignement de la tâche à laquelle elle est appelée, de son altérité. Solitude non pas vécue comme un manque, mais comme un choix, une joie. Qui permet de se consacrer à l’étude. Enfermement voulu dans la maison de sa conscience, cesser de vaguer aux choses foraines, préférer les états de semi-conscience, un « dorveille » dirait Christine de Pizan, ce demi-sommeil tourmenté du petit matin, somnolence agitée. L’inspiration vient par le chemin de longue étude, la solitude orgueilleuse de l’artiste et l’humilité insomniaque de l’artisan.