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Freud (Sigmund) > L'interprétation du rêve

Présentation

Sigmund Freud, L'interprétation du rêve, PUF, 2010.

> Présentation de l'éditeur
L'interprétation du rêve introduit à la fois une nouvelle méthode et une nouvelle théorie. La méthode est celle de l'analyse et des associations ; elle décompose le contenu de rêve manifeste en autant d'éléments ou constituants du rêve pour retrouver, en suivant les cheminements de pensée du rêveur, les pensées de rêve latentes. « L'interprétation des rêves est la voie royale qui mène à la connaissance de l'inconscient de la vie psychique. » (S. Freud)

> Peut-on rêver sans Freud ?
Les songes pourraient naître du réveil. Cette approche récente de la neurobiologie ne contredit pas la psychanalyse.
En 1899 paraissait L'Interprétation des rêves (Die Traumdeutung), que les éditions des PUF viennent de publier dans une nouvelle traduction ("Le Monde des livres" du 7 février). Par ce texte, Sigmund Freud fondait la psychanalyse, ouvrant la "voie royale qui mène à la connaissance de l'inconscient". Un siècle plus tard, l'interprétation des rêves reste l'un des piliers de la pratique analytique. Et elle pourrait bien, au vu des résultats les plus récents des neurosciences, trouver, enfin, ses fondements biologiques.

Qu'est-ce qu'un rêve ? Une suite d'événements décousus et bizarres, que les mots, souvent, décrivent mal... Pour Freud, toutefois, il ne s'agit là que de la surface des choses. Quelles que soient ses apparentes absurdités, le rêve répond à une logique stricte, mais déguisée. Pour débusquer le sens caché derrière les symboles, il faut donc s'atteler à son interprétation, qui repose sur quelques grands principes : le rêve est la réalisation (ou son échec) d'un désir refoulé, qui trouve ses racines dans la vie infantile ; son "matériau" est fourni par des "restes diurnes", souvenirs récents de la vie quotidienne ; le travail du rêve transforme ce matériau par des processus de codage qui permettent aux "pensées latentes" de franchir la barrière de la censure. Il appartiendra au rêveur réveillé de pratiquer, avec l'aide de l'analyste, les associations d'idées les plus libres possibles afin de remonter à leur source.

Freud avait du génie, et la méthode, dans ses grandes lignes, a tenu la route. Non sans avoir évolué, dans sa théorie comme dans sa pratique. "L'interprétation du rêve a cessé d'être la voie royale au profit de la situation analytique elle-même - autrement dit du transfert. Mais le récit de rêve reste un témoin, une sorte de manomètre de l'état du fonctionnement psychique du patient, et de la situation analytique elle-même", résume le psychanalyste Jean-Luc Donnet. Mais, dans le même temps, les neurosciences ont enregistré de fabuleuses avancées. Et les mécanismes qu'elles proposent pour expliquer l'activité onirique n'ont pas toujours fait bon ménage avec ceux établis par le père de la psychanalyse.

"Comment comprendre les rêves sans Freud", titrait ainsi récemment le mensuel Sciences et Avenir (octobre 2002), avant de présenter les travaux de la neurobiologiste Sophie Schwartz (Institut des neurosciences cognitives de l'University College de Londres). Proposant une approche "neuroscientifique", celle-ci - avec d'autres - suggère que le rêve est la conséquence directe des altérations du fonctionnement cérébral pendant le sommeil. De ces dernières proviendraient les étranges distorsions du réel rapportées du pays des songes - identité connue mais visage étranger, échelle d'objets aberrante, mélange d'images en couleurs et en noir et blanc, etc.

CONTRÔLES ABSENTS
Cette hypothèse permet d'expliquer pourquoi j'ai rêvé d'un chien gigantesque, mais elle ne dit rien des raisons pour lesquelles j'ai rêvé d'un chien ! pourraient à juste titre rétorquer les disciples de Freud. Mais alors, les deux démarches seraient-elles condamnées à ne jamais se rencontrer ? A rester inconciliables, plutôt que complémentaires ? La réalité est heureusement plus subtile. Et si le dialogue entre biologistes et psychanalystes ne va pas de soi, il commence toutefois à s'organiser autour de quelques idées fortes, tel le "fonctionnement analogique" du système nerveux central. Un phénomène étudié, entre autres, par Jean-Pol Tassin, neurobiologiste de l'Inserm au Collège de France (Paris), qui lui permet aujourd'hui de proposer une explication de la mécanique des rêves particulièrement prometteuse... et fédératrice.

En période de sommeil, le cortex cérébral fonctionne en l'absence de deux types de contrôle : le contrôle sensoriel externe (ce que voient nos yeux, ce qu'entendent nos oreilles), et le contrôle "neuromodulateur" d'une certaine catégorie de neurones, chargés à l'état de veille de hiérarchiser l'activité des aires cérébrales. Ainsi que l'explique Jean-Pol Tassin, "l'activité du cortex durant le sommeil dépend donc étroitement des mémoires qui se sont constituées au cours des périodes de veille. En d'autres termes, du fonctionnement analogique du système nerveux central".

"Dans le cerveau adulte, il existerait deux modes de stockage des informations : un mode rapide, nommé analogique, où l'information est traitée et enregistrée en quelques centaines de millisecondes sans que l'on en ait conscience, et un mode lent, dit cognitif, où l'information est analysée consciemment avant d'être stockée", précise-t-il. Elaboré par le mathématicien John Hopfield, le modèle du traitement analogique explique le stockage des souvenirs en proposant que l'entrée répétée des mêmes informations donne naissance à des "mémoires" correspondant à des états d'énergie minimale, qui "attirent" à elles des données acquises simultanément. " Ainsi, si je vois un ciré jaune et une antenne de radio à chaque fois que je vais en bateau, la vue d'un ciré ou d'une antenne analogues m'évoquera un bateau."

NEURONES RÉACTIVÉS
Et les rêves, dans tout ça ? Avant d'y revenir, et puisque tout ici prend allure d'énigmes, donnons encore une clé : les phases de sommeil régulières sont entrecoupées de périodes très courtes d'éveil, les "micro-éveils", qui ne durent que quelques secondes et peuvent se répéter une dizaine de fois au cours d'une nuit. Or, et c'est là le point essentiel, l'étude expérimentale chez l'animal a montré que ces micro-éveils étaient associés à la remise en activité immédiate des neurones modulateurs. D'où le modèle élaboré par Jean-Pol Tassin, dont la conclusion laisse quelque peu songeur, mais dont la démonstration se révèle extrêmement séduisante : le rêve naîtrait... du réveil !

"Lorsque nous sommes en situation d'éveil stable, le mode de fonctionnement cognitif de notre cerveau a tout le temps de donner une cohérence à nos actes et à nos pensées. Mais lors du réveil proprement dit, y compris d'un micro-éveil, la réactivation brutale des neurones modulateurs entraîne la mise en forme consciente du contenu des "mémoires" qui viennent d'être activées. Comme cette opération se produit en quelques centaines de millisecondes, la censure qui peut exister à l'état d'éveil n'apparaît plus", explique-t-il. D'où le caractère "bizarre" du rêve.... Lequel, et c'est là l'autre intérêt de ce modèle, n'en a pas moins tout à gagner à être "interprété".

Durant le sommeil, en effet, les "mémoires" de notre cerveau ne seraient pas activées de manière aléatoire. "Celles qui ont le plus de chances d'être activées sont celles qui possèdent la plus grande stabilité. Autrement dit, celles qui ont eu le plus d'importance, qui ont été chargées des émotions les plus intenses, que ce soit au cours des premières périodes de la vie ou, au contraire, dans les jours qui ont précédé le rêve", souligne le neurobiologiste, qui travaille en collaboration régulière avec des psychiatres et des psychanalystes. Si cette voie de recherche tient ses promesses, Freud ne se sera donc pas trompé : en évitant au cerveau de se réveiller tout à fait, le rêve est bien "le gardien du sommeil".

Catherine Vincent

• LE MONDE | 01.03.03 | 16h38
Les songes de ceux qui ne voient pas
"Je suis dans la salle de bains en train de prendre une douche. J'ai soudain l'impression d'une présence. J'arrête la douche. Je demande s'il y a quelqu'un, pas de réponse. Mais, soudain, je sens le rideau de douche qui bouge. Je crie et je me réveille." C'est le rêve d'un aveugle que rapportent Damien Léger, Nicolas Hommey et Tifenn Rafray, médecins au centre du sommeil de l'Hôtel-Dieu (Paris). S'ils choisissent de raconter ce cauchemar, c'est parce qu'ils ont constaté que les aveugles éprouvent plus souvent que les voyants, dans leur sommeil, le sentiment de peur, "celle de se retrouver dans une situation inconnue ou en face d'une personne que l'on ne perçoit pas complètement".

Pourquoi ? Parce que les aveugles rêvent comme ils vivent, comme ils appréhendent le monde. Avec leurs peurs de tous les jours. Avec la symbolique qui leur est propre, tout comme l'est leur représentation du réel. Les trois médecins de l'Hôtel-Dieu soulignent ainsi que"les couleurs sont assez souvent citées dans les rêves", alors que les patients interrogés n'en ont jamais vu. Mais ils savent que le noir va avec tout, ou incarne le deuil, que le blanc symbolise la pureté, le rouge la passion.

LA PLACE DU TOUCHER
Chez les voyants, le visuel occupe la première place dans la mise en scène des songes nocturnes. Pourtant, les aveugles rêvent ; ils sont les premiers à en témoigner. Comment font-ils ? Sans le vouloir, Charles Baudelaire suggérait une réponse dans son poème "Correspondances" (Les Fleurs du mal) : "Il est des parfums frais comme des chairs d'enfant/Doux comme les hautbois, verts comme les prairies". Pour le poète, les sens se répondent, ils peuvent se substituer les uns aux autres. Dès lors, il n'y a pas que les images visuelles pour rêver. Il y a tout le reste : le goût, le toucher, l'ouïe, ou encore l'odeur.

Les scientifiques ne disent pas autre chose. Ainsi que le rappelle Gérard Bléandonu, chef de service de pédopsychiatrie du CHS de la Savoie et auteur de A quoi rêvent nos enfants ? (éd. Odile Jacob, 250 p., 21,90 €), plusieurs expériences furent faites à la fin des années 1970 pour comprendre "comment le nourrisson appréhende le monde en reliant ses vécus",comment il coordonne "les informations prises sur une même source externe par plusieurs sens".

On donna ainsi à sucer à des nouveau-nés de deux ou trois semaines, les yeux bandés, l'une ou l'autre de deux tétines très différentes. Une fois leurs yeux découverts, on s'aperçut qu'ils regardaient davantage celle qu'ils avaient effectivement eue en bouche. Conclusion, "le nourrisson dispose d'une correspondance innée entre les sensations". Voilà pourquoi et comment l'aveugle accède au rêve. La sensation peut tenir lieu d'image visuelle.

Renée Buquet, psychologue et aveugle de naissance, développe cette thématique dans un article sur "Le rêve et les aveugles", écrit en 1989. Elle y évoque la capacité des non-voyants à percevoir, en rêve comme dans la vie éveillée, la dimension du lieu où ils se trouvent, la distance entre eux et les autres, les obstacles qui jalonnent leur déambulation. "La cadence des pas, leur résonance nous révèlent la nature du sol où nous sommes, dans un hall immense ou dans un couloir bardé de murs, de portes."

Renée Buquet se penche aussi sur la place occupée par le toucher dans les rêves des aveugles : "Il déroule tous ses registres, du frôlement imperceptible à la morsure, qui fait naître une peur indicible tout en s'avérant quasi indolore. Les partenaires d'une situation relationnelle pourront flotter, collés par une épaule ou par la tête, avec la sensation de s'appuyer fortement l'un contre l'autre ; ou bien l'un d'eux planera au-dessus de l'autre à une faible distance, et sa position exacte sera perçue."

Virginie Malingre


• LE MONDE | 01.03.03
L'activité onirique a-t-elle une raison d'être ?

Rajeunir, vieillir, intervertir voix et visages, rencontrer des personnes disparues, voler dans les airs : nous affranchissant des règles du temps et de l'espace, le rêve autorise toutes les fantaisies. Une liberté folle, qui pourrait n'avoir aucune nécessité biologique.

Pourquoi rêvons-nous ? Avant Freud, et depuis l'aube de l'humanité, les songes rapportés de la nuit étaient considérés comme une manifestation bienveillante ou hostile de puissances supérieures. Avec et après lui, ils devinrent pour la culture occidentale une pensée (presque) comme une autre, dont la raison d'être doit être cherchée dans le vécu le plus intime de chacun. Mais la fonction biologique du rêve, s'il en est une, continue de résister à notre entendement.

Quelques hypothèses ont bien été échafaudées. A la fin des années 1950, le neurobiologiste lyonnais Michel Jouvet, aujourd'hui mondialement reconnu pour ses travaux sur le sommeil et le rêve, décrivait un état physiologique jusqu'alors ignoré : le sommeil "paradoxal".

Seul de son espèce sur les cinq stades de sommeil que nous traversons successivement plusieurs fois par nuit, il se caractérise par une intense activité du cerveau - d'où son nom -, alors même que les muscles du dormeur sont frappés d'une complète atonie. Considéré aujourd'hui encore comme le support neurobiologique privilégié - mais non exclusif - des rêves, ce sommeil si particulier a donné lieu à d'innombrables travaux... Sans que l'on puisse pour autant lui trouver une raison d'être convaincante.

"Le sommeil paradoxal constitue un cas, très particulier dans l'histoire des sciences, d'un phénomène dont on connaît maintenant la phylogenèse, l'ontogenèse, l'organisation anatomique et les troubles, mais auquel on est incapable d'assigner une fonction certaine", remarquait Michel Jouvet il y a quelques années. Selon lui, ce sommeil (et les rêves qui l'accompagnent) aurait pour rôle de maintenir fonctionnels les circuits synaptiques responsables de l'hérédité psychologique de chaque individu. Mais cette hypothèse, il le reconnaît lui-même, reste pour le moment invérifiable.

Pour d'autres, tel le psychiatre et neurophysiologiste américain Allan Hobson, le rêve ne servirait à rien, et, même, ne signifierait rien, résultant seulement d'une production de pensées anarchiques. Pour d'autres encore, il permettrait d'accélérer l'apprentissage en favorisant la mémorisation... Mais il ne s'agit que de suggestions théoriques.

Une certitude, toutefois : le sommeil paradoxal, qui apparaît assez tardivement au cours de l'évolution (on le trouve chez les mammifères et les oiseaux, mais poissons et reptiles en sont dépourvus), semble répondre à un vrai besoin.

Reconnaissable in utero dès la deuxième moitié de la gestation, il occupe la plus grande partie du temps de sommeil du fœtus. Et celui, animal ou homme, qui en est expérimentalement privé plusieurs nuits d'affilée n'aura de cesse d'en récupérer son comptant - faute de quoi surviendront de graves troubles du comportement.

Mais cette dette de sommeil paradoxal est-elle pour autant une dette onirique ? Rien ne le certifie. De nombreuses personnes ne rêvent jamais, ou du moins l'affirment, et semblent vivre tout à fait normalement. Valéry, déjà, le soulignait : "Le rêve est une hypothèse, puisque nous ne le connaissons que par le souvenir."

Catherine Vincent