Corps écrit

Corps écrit

Imprimer la fiche
Handke (Peter) > Essai sur la fatigue

Présentation

Peter Handke, Essai sur la fatigue, traduit de l'allemand par Georges-Arthur Goldschmidt, Gallimard, 1991. 

> Quatrième de couverture

La fatigue soudain saisit l'enfant au milieu des siens, puis c'est la fatigue mortelle des cours morts de l'université ; mais il y a des fatigues plus profondes, plus intérieures, séparatrices et révélatrices à la fois. Cette fatigue-là creuse les êtres et leur donne aussi une présence nouvelle : c'est la clairvoyance de la fatigue. Elle peut rassembler pour un moment autour d'une entreprise commune - une batteuse -, mais il y a aussi les infatigables, les tueurs survivants de l'extermination, frais et dispos, et leurs guillerets descendants. La fatigue peut être tranquille mais la fatigue la plus grande naît peut-être à la vue de la cruauté toute simple, quotidienne. La fatigue donne forme au monde, elle aiguise la perception, elle établit une infranchissabilité réciproque entre les êtres, mais par là aussi une communication

> Extrait
"Il n’était pas question du sommeil comme issue : d’abord ce genre de fatigue se manifestait par une sorte de paralysie qui, en règle générale, ne permettait pas même de recroqueviller le petit doigt, oui, à peine de battre des paupières ; la respiration même semblait bloquée, on se sentait figé jusqu’au plus intime de soi-même, une colonne de fatigue ; et parvenait-on, une fois encore, à faire le pas jusqu’au lit, après un premier endormissement rapidement expédié, semblable à un évanouissement — nulle sensation de sommeil — on tombait, la première fois qu’on se retournait, dans l’insomnie, des nuits entières, car la fatigue dans la solitude de la pièce, survenait toujours en fin d’après-midi, ou tôt le soir avec le crépuscule. D’autres ont déjà raconté l’insomnie : comment, à la fin, elle détermine même la vision du monde de l’insomniaque, au point qu’avec la meilleure volonté du monde, il ne peut plus voir l’existence que comme un malheur, toute action comme dénuée de sens, tout amour comme ridicule. Comment l’insomniaque reste étendu là, jusque dans la lumière bleue de l’aube qui pour lui ne signifie que malédiction, malédiction qui le dépasse, lui, seul dans l’enfer de son insomnie, [de son oreiller], malédiction d’une espèce humaine, manquée, reléguée sur une planète qui n’est pas la bonne… Moi aussi, j’ai été dans le monde des insomniaques (et je ne cesse d’y être, maintenant encore)."