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Klein (Jean-Pierre) > L'art-thérapie

Présentation

Jean-Pierre Klein, L'art-thérapie, Que sais-je ?, 2010.

> Présentation de l'éditeur
L'art-thérapie et la médiation artistique consistent en un accompagnement de personnes en difficulté mises en position de création artistique aboutissant à des oeuvres plastiques variées. Ce travail cherche moins à dévoiler les significations inconscientes de ces productions qu'à permettre au sujet de se re-créer lui-même, de s'insérer dans un parcours symbolique de création. Les interventions d'artistes, de médiateurs artistiques et d'art-thérapeutes s'étendent désormais au champ social et aident à traiter certains problèmes, celui de la violence contemporaine par exemple.

> ATELIER D’ECRITURE Les apprentis Voltaire
Sous la direction de Laure d’Hautefeuille et de Jean-Pierre Klein
SOMMAIRE
1. Avant-propos des animateurs
2. Chocoshit
3. « Le harcèlement textuel »
4. Séance d’arts-plastiques
5. La mystérieuse lettre
6. Souvenirs de peurs
7. Histoire d’ « R »
8. Réflexions gales sur l’intervention d’écrivains en collège

ADOLESCENTS ET CAPACITE DE CREER

Bibliothérapie
1. Ecrire avec des écrivains
2. Ecrire, un processus

Que faire de la violence ?
On parle beaucoup de violence à l’école, dans les quartiers, on parle même d’émeutes !
Avant d’aller plus loin, nous pouvons nous interroger sur la violence.
La violence est telle qu'elle fait violence à nos réactions qui, spontanément, ne répondent généralement que dans la violence de l'affrontement. Soit l'on tente d'être le plus fort, c'est la contre-violence, soit l'on se soumet à la violence de l'autre ; les deux solutions démontrent ainsi la puissance et la suprématie de la violence, en effet dans les deux cas, elle est victorieuse, elle a réussi à transformer le monde à son image, elle l'a marqué de son sceau, c'est comme on dit le règne de la violence.
La question posée par ces réactions habituelles à la violence était : Que faire contre la violence ? La question que nous posons est : Que faire de cette violence sans pour autant l'agir dans une agression contre autrui ?
La définition du terme violence est variable : Pour le dictionnaire Robert, c’est "faire violence", "agir sur quelqu'un ou le faire agir contre sa volonté, en employant la force ou l'intimidation" avec comme exemple immédiat : "Faire violence à une femme".
Pour le dictionnaire Littré, le violence est ce que nous appellerons une énergie : c’est la "qualité de ce qui agit avec force", avec ce premier exemple : "comme un enfant que sa mère arrache d'entre les bras des voleurs, doit aimer, dans la peine qu'il souffre, la violence amoureuse et légitime de celle qui procure sa liberté, Pascal, Pensées". Les exemples suivants évoquent "la violence de la destinée" (Bossuet), "la violence de notre douleur"(id), la violence de l'amour (Racine), etc.
Or, la création peut se nourrir - tant dans l'acte qui lui préside, dans la forme aboutie, que dans son contenu - d'une violence qui n'est pas que source du mal mais peut aussi servir de matériau pour du "beau" ou plutôt du "puissant", du "fort", de l'"intense". La violence réelle, dans son passage à l'acte est ainsi à différencier de la violence source d'œuvres symboliques fortes. Cette violence-là, celle qui a présidé à l'œuvre comme celle que l'œuvre figure, ne risque pas de susciter l'agression.
C’est ce que nous avons essayé de faire, avec plus ou moins de bonheur : canaliser la violence au cœur des adolescents pour qu’elle serve à l’imagination. Il faut ajouter que ceux à qui nous avons eu affaire n’étaient pas bien impressionnants même si nous avons été rigoureux sur les conduites pendant les séances d’écriture. Nous avons en revanche accepté des contenus éventuellement violents et des mots qui ne figuraient pas dans les dictionnaires.

Une présence qui permet la confrontation
Un mot sur la façon dont nous concevons l’attitude avec les adolescents :
Il faut avec les adolescents savoir être solide mais sans le montrer de façon provocatrice. Etre indestructible tout en acceptant sans en être atteint leurs désirs de destruction : c'est ce que Winnicott, spécialiste anglais de l’adolescence, appelle "survivre". C’est la seule façon de rendre service aux adolescents. Jamais dans les séances d’ateliers nous n’avons d’ailleurs été objets d’injures ou de menaces, preuve qu’ils ont accepté la fermeté de notre attitude.
Bien saisir que la confrontation est nécessaire à l'adolescent mais qu'il ne faut pas la confondre avec l'affrontement. Celui-ci est binaire et ne peut qu'aboutir à la victoire de l'un des deux, celle-là est qualitative, de personne à personne, sans qu'un effacement des rôles (adulte/adolescent, professionnel/personne aidée) ne soit totalement pratiqué.
Lui offrir sa présence, même si elle est contestée, il s'agit d'une présence-pour-être-contestée.
Il faut toujours faire attention à la contagion adolescente du "no future". Savoir que l'adolescent, découragé de se construire, inquiet à juste titre de son avenir, nous transmet à nous-mêmes le découragement, la résignation, le "ça ne sert à rien" et nous entraîne à ne plus penser vraiment. Les seules solutions qui nous viennent à l’esprit sont celles de l’exclusion et de la répression et l’on se trouve dans l’affrontement binaire répétitif et facteur d’escalade dans l’incompréhension réciproque. Nous devons comprendre le désarroi des préadolescents et des adolescents mais lutter contre nos tentations de résignation et de rejet.

Le projet comme cadre.
Pour grandir, pour se dresser, pour se mettre debout, le bébé s’agrippe et s’appuie sur ce qu’il trouve à sa portée, si son appui se dérobe, il vacille et c’est la chute. Au collège, l’adolescent trouve un premier support sur lequel s’appuyer : les règles à observer dans la classe, dans la cour, et face à la transgression, la sanction. Ensuite il trouve des adultes en face de lui, des vis-à-vis avec lesquels se confronter, une présence qui tient et qui peut contenir.
Le défi de notre atelier est qu’il a lieu dans le collège, dans l’environnement scolaire, et que nous ne sommes pas des enseignants nous référant au règlement intérieur de l’établissement.
Avec des élèves en difficulté d’apprentissage et de comportement, souvent exclus de leur classe car trop perturbateurs, en lutte incessante contre le règlement, quelle attitude adopter ?
Plus de règles, davantage de cadre ? moins de cadre ?
Nous leur avons proposé un cadre « autrement ». Nous étions là avec eux pour faire, pour fabriquer –ce qu’on fait dans tout atelier- des histoires, et c’est cet objectif qui tenait, qui contenait nos séances. L’objectif d’arriver à produire, à créer jusqu’à éditer un recueil d’histoires pour la fête du livre d’Asnières. Rappeler cet objectif, c’était important, c’était donner du sens à sa présence durant 1h30 à l’atelier d’écriture. C’est par le biais de cet objectif que nous pouvions les faire sortir de comportements stéréotypés dans lesquels ils s’enferment facilement sans trouver de sortie possible ou honorable. Par exemple, les faire sortir d’affrontements verbaux répétitifs et stériles en leur montrant l’ennui que provoquent de tels dialogues au théâtre ou dans un feuilleton télé (cf. le harcèlement textuel p.8), et les replacer dans l’obligation de produire du sens.
Il nous fallait aussi les inviter à se décoller des sollicitations auxquelles ils répondent habituellement au quart de tour, comme un crayon qui tombe, la porte du CDI qui s’ouvre, l’entrée d’une personne dans la salle, les remarques de tel ou tel du groupe, pour les recentrer sur le travail d’invention, sur l’histoire en train de s’écrire : et la suite ? comment continuer ? comment intéresser le lecteur, l’autre ? quelle fin acceptable pouvons-nous inventer ?

Un cadre à bordures souples
Une autre difficulté avec les adolescents aujourd’hui est leur tendance au zapping : dès qu’ils s’ennuient, ils s’évadent et attrapent tout ce qui passe. Nous leur avons parfois proposé dans le cadre, la possibilité d’entrer dans un nouveau cadre : quitter le grand groupe pour un travail en petits groupes. En fait tout ce qui les surprend les aide à quitter le cercle des habitudes stériles, tout décalage par rapport aux habitudes, à la norme, après un moment d’arrêt dû à la surprise, les ouvre à d’autres possibles, d’autres attitudes, d’autres idées, d’autres images, et les replace dans un mouvement d’invention et de création.
La souplesse du cadre c’est aussi prendre en compte ce qui vient, ce qui se passe, mais sans y prêter une attention excessive. Lors des premières séances, les élèves avaient tendance à dessiner tout en participant à l’élaboration de l’histoire. Nous les avons laissé faire.
C’était le moyen qu’ils avaient trouvé de rester calme face à l’excitation mêlée d’anxiété de vivre une situation nouvelle, une situation non plus d’élève consommateur et passif, mais une situation dans laquelle ils se sentaient impliqués en temps qu’acteur de premier rang. Inquiétant d’être invité à changer de rôle, à quitter une place de spectateur pour occuper celle d’auteur. Inquiétant de constater qu’on peut réussir à créer quelque chose… cela va contre tout ce qu’ils entendent habituellement : leurs erreurs, leur échec, leur incompétence. Crayonner, dessiner pour contenir ses peurs de l’inconnu, et contenir l’anxiété de réussir quelque chose c’est déjà une première invention. De plus, ces dessins ont plusieurs fois nourri l’intrigue de l’histoire en cours.
Contenir, porter et transmettre un projet qui a du sens, dans la souplesse, telle fut notre façon de « cadrer » les séances d’écriture.

Nous pouvons dire que ce fut parfois tendu du fait de nos exigences de comportement, et de respect de la parole de l’autre mais que ces préadolescents et adolescents nous ont touchés par leur gentillesse profonde (qu’ils ne montrent pas toujours) et leur profonde humanité au-delà des phrases provocatrices qu’ils ne pouvaient s’empêcher de faire mais auxquelles, sauf quand elles étaient "graves", il fallait passer outre car s’y arrêter aurait bloqué toute possibilité de mettre au jour la créativité dont ils se croyaient incapables.
Sélectionnés pour leurs difficultés scolaires et de comportement, ils ont témoigné avec nous de capacités d’invention. Nous espérons que leur perte d’estime de soi et leurs conduites d’échec pour certains, vont se modifier du fait de leur surprise de réussir là où ils se croyaient "nuls". Ils ont même pu jouer avec leurs peurs pour en faire des récits qui ont suscité notre étonnement, notre plaisir et le leur.

SCENARIO POUR UNE SERIE TELE : CHOCOSHIT
Les flics s’approchent d’une R5 rouge abandonnée depuis quelques jours le long d’un trottoir.
Les portières ne sont pas fermées, le coffre est entrouvert. Ils y trouvent le cadavre d’une jeune fille, morte depuis trois jours.
Ses vêtements ne sont pas déchirés et elle ne semble pas avoir été violée. On remarque juste une trace marron sur sa lèvre supérieure.
Les flics fouillent le véhicule et découvrent un carton sous la place du conducteur : c’est une invitation pour une fête organisée par les chocolats Léonidas.

A la Police Judiciaire, on confirme que la fille n’a pas été violée et on analyse la trace sur la lèvre, c’est du chocolat !
L’autopsie révèle la cause de sa mort : overdose de shit.
On alerte alors la brigade des stups qui signale qu’elle avait déjà mis sur écoute les téléphones des chocolats Léonidas, car on soupçonne quelqu’un d’introduire du shit dans certains chocolats triangulaires.

Quelques personnes ont téléphoné pour savoir le lieu de la fête (certainement le conducteur qui s’est renseigné du fait qu’il avait perdu son invitation) mais on n’a pas fait attention, car la demande était banale et on n’a pas relevé le numéro du poste qui appelait.
Qui est derrière ce trafic ?
On suppose que la fille gourmande de ces chocolats en a trop absorbé et que le conducteur affolé l’a mise dans le coffre et a pris la fuite.
On reprend alors les films pris par la caméra de surveillance de la rue où était garée la voiture que le conducteur a quittée précipitamment, mais on ne peut l’identifier car il était déguisé en Père Noël.
Renseignements pris, la fête organisée par Léonidas regroupe une quarantaine de Pères Noël qui vont animer les magasins de chocolat à l’occasion des fêtes.
Les policiers décident d’aller à cette fête mais pour ne pas se faire repérer, ils se déguisent tous en Pères Noël.
Comment retrouver le coupable ?

Cinq policiers peuvent rentrer à la fête car ils ont recopié le carton d’invitation. Le coupable les repère à une série d’indices : ils marchent lentement, écartent les jambes et se balancent le torse. En plus ils communiquent par le regard, se font des clins d’œil alors que les autres Pères Noël ne se connaissent pas entre eux.
On peut aussi voir chez l’un des flics une bosse au niveau de sa ceinture : c’est son arme !
Au mur il y a un grand écran plat qui passe des pubs Léonidas. Mais un policier a réussi à s’introduire dans la pièce de l’ordinateur qui balance les images, et il fait passer une photo de la fille qu’il a trouvée lors d’une perquisition à son domicile.
Pendant ce temps les policiers se mettent aux quatre coins de la pièce et observent les réactions des Pères Noël. L’un d’eux paraît stressé à la vue de cette photo.

Les flics vont vers lui. L’un d’eux garde la sortie.
Le bandit devient rouge, il transpire, il tremble, il essaie de partir avec des petits pas. Il se fait bloquer.
« Vous êtes en état d’arrestation. Rien ne pourra changer notre décision. Tout ce que vous dites pourra être retenu contre vous. Vous êtes arrêté pour le meurtre de la jeune Jennifer »
Le bandit dit que c’est son patron Giovanni qui lui a commandé de faire des tests d’overdose, pour voir combien de chocolats triangulaires il fallait pour être défoncé.

LE HARCELEMENT TEXTUEL
Comment s’est déroulée cette première rencontre ?
Nous étions arrivés en avance et attendions les élèves dans la pièce du CDI.
Il se trouve qu’ils sont entrés avec une infirmière et le professeur de sciences. Il leur était demandé de chercher sur internet les conséquences de la drogue. Nous nous sommes installés à deux tables séparées et avons pris en notes les phrases qui s’échangeaient, que nous avons mises bout à bout pendant l’interclasse.
Après que nous nous soyons présentés les uns les autres par nos prénoms écrits ensuite sur un chevalet posé devant soi, j’ai (JPK) annoncé que nous avions un texte à leur lire qui a été le suivant :

- Votre sac à vos pieds
- Il est ouvert l’ordinateur, Madame ?
- Vous avez juste à cliquer
- Sur quoi ils veulent chercher
- Sur la drogue
- C’est quoi le mot de passe, Madame ?
- C’est Voltaire le mot de passe
- Ça ne marche pas
- Voltaire
- Madame, il ne veut pas
- Il manque une lettre : le E à la fin
- C’est bon maintenant c’est OK
- Vous voulez aller sur Internet, il est allé sur administrateur
- Vous devez trouver des conséquences
- On peut pas imprimer ?
- Ça sert à rien
- On peut pas imprimer les chiffres des conséquences des méfaits de la drogue
- Quelle drogue ?
- On en est au global
- C’est écrit en russe
- Vous mettez Web page francophone
- Des trucs intéressants, regarde
- Je vous avais aussi dit…
- Ils parlent des voitures qui brûlent
- C’est pas votre sujet les voitures qui brûlent
- Mettez : drogue, effet, statistique, j’sais pas moi !
- Yunus reste dans ton coin
- La France brûle
- Comment tu fais pour avoir ça ?
- Là j’ai trouvé un truc mais j’arrive pas
- Y a juste un dessin
- Je mets quoi ? je mets les conséquences ?
- La France brûle
- Y en a qui sont morts
- La drogue ? Les émeutes ?
- Fermez la petite croix
- Le nombre de gens décédés
- Faut mettre un mot : statistiques
- Décès
- Le nombre de gens décédés, j’sais pas moi
- Y a pas statistique
- T’as trouvé, Reda, des trucs ?
- Décès avec un accent grave
- C’est écrit avec un accent
- L’ordinateur il parle quand même avec un accent
- Il prend quand même sans accent
- (Klein) J’suis nul, j’aurais pas mis un accent grave ! Pourtant le décès c’est grave…
- Ça va pas c’est dans le monde diplomatique
- Faut revenir à Google
- Drogue décès
- Mais non c’est les contraceptifs
- Moi j’mettrais drogue santé
- Tiens voilà
- Regardez le résumé déjà
- Vous avez trouvé ?
- La drogue existe depuis 1971
- Le premier truc c’est un truc de médecine
- Madame venez voir
- Ta demande est pas reçue, reviens sur Google
- Pas besoin de mettre les trois w
- Il faudra revenir
- Je l’ai écrit : drogue et ses conséquences et c’est ramadan qu’est venu !
- On se retrouve mardi prochain 11 heures à midi je crois
- Vous essaierez d’y penser
- Il y a des ordinateurs dans la salle ?
- Mais ils sont pas branchés
- Madame la maîtresse a dit
- Vous quittez proprement
- (à J.-P. Klein) Monsieur, c’est à vous le journal ? Je peux regarder ?
- Mais bien sûr
- (intervention d’un professeur) Il faut dire : s’il vous plaît ! Je suis vieux jeu…
- Vous pouvez venir les heures de creux
- A la récré
- Est-ce que je peux aller sur Paraschool ?
- Ça marche Paraschool
- Ya comme un sifflement

Les élèves ont mis un petit temps à reconnaître leurs paroles et ont été surpris du résultat. Nous leur avons signifié que cela ne constituait pas un texte abouti mais une piste de travail qui devrait ménager des surprises et de l’imprévu : par exemple chercher une documentation sur les méfaits de la drogue tout en étant parasité par les infos : « La France brûle » de telle sorte qu’on ne sache plus à quoi rattacher le nombre de morts…
Nous avons travaillé ensuite sur le trajet que font les élèves de leur domicile jusqu’à l’école : certains le font à pied en cinq minutes, d’autres en bus en une heure et demie. Nous avions demandé à Sylviane Oudre de nous préparer des agrandissements du plan d’Asnières et de Clichy, chacun pouvait ainsi repérer son trajet et le montrer au groupe.
Deux élèves disent qu’ils ont l’habitude de faire ensemble un bout de chemin et de s’arrêter devant une R5 abandonnée dont ils actionnent quotidiennement le klaxon. Ils précisent qu’une caméra de surveillance surplombe cette rue.

Voici le dialogue avec le groupe qui s’instaure alors, placé sous le signe de ce que Christian Poslaniec appelle le « Harcèlement textuel », bombardement de questions pour obtenir des précisions ,

-Le point de départ pourrait être : Qu’est-ce qu’il y a dans le coffre de cette voiture ?
-Un cadavre
-De qui ?
-Une fille
-De quoi est-elle morte ?
-D’un viol
-Comment va-t-on découvrir qui est l’auteur ?
-Il est parti en oubliant sa carte de visite
-Trop facile. Autre proposition ?
-Sa carte de crédit
-Trop facile
-Une invitation
-A quoi ?
-A une réunion
-De qui ?
-De Pères Noël
-Pour quoi ?
-Pour regrouper ceux qui vont animer un magasin pour les fêtes de fin d’année
-Quel magasin ?
-Les chocolats Léonidas
-Et la caméra de surveillance
-Il a été filmé mais on n’a pas pu le reconnaître, il était déguisé en Père Noël
-Comment alors la police va-t-elle le coincer ?
-Il a téléphoné à Léonidas pour savoir où avait lieu la fête car il avait perdu l’invitation
-Il n’y a pas de raison que la police repère ce téléphone
-Si car les lignes de Léonidas sont sur écoute
-Pourquoi ?
-Il y a un trafic de shit dans les chocolats triangulaires
-(Plusieurs élèves) L’histoire pourrait s’appeler Chocoshit. D’ailleurs la fille n’a pas été violée, elle est morte d’une overdose. Elle avait sur la lèvre une marque brune et on a découvert que c’était du chocolat, etc.

A la deuxième séance, les élèves ont mimé la démarche qui permet de reconnaître les flics en civil, pour pouvoir mieux décrire cette démarche dans l’histoire.

Les élèves fonctionnent parfois en zapping avec fuite de l’attention. Nous commençons toujours par une amorce : lecture de l’état de la production distribuée tapée à chacun, questions restées en suspens.
Pendant la récréation nécessaire –il fallait que les élèves sortent et se détendent physiquement-, nous tapons à l’ordinateur le résultat de la première partie de la séance pour le leur distribuer à leur retour, et relancer la seconde partie de la séance.
J’ai (JPK) dû un moment ceinturer une élève qui était dans la bagarre avec un autre. « J’étouffe », se plaint-elle quand je la maintiens. Très bien, ai-je répondu puis je l’ai relâchée et j’ai demandé au groupe de respirer fort pour l’aider à revenir au calme… Dans cette respiration commune le groupe s’est reconstitué et l’attention est restée forte durant un moment.
Dès la première séance, deux élèves se sont injuriés en boucle. Non pas en termes raciaux ou religieux (qui n’ont jamais apparu ni dans les échanges ni dans les productions) mais parce que l’un était d’Asnières, l’autre de Clichy.
J’y ai répondu non pas au nom de la discipline mais en relation avec notre commande, leur démontrant que leur échange était nul théâtralement car répétitif, sans progression et sans surprise, ce qui ennuierait certainement le spectateur éventuel. La surprise pourrait naître par exemple d’une phrase comme : "Tu es de Clichy, mais c’est génial ! » Le spectateur se demanderait alors pourquoi ce changement et ce qu’il cacherait, ce que le premier essaierait d’obtenir de l’autre.
Nous avons tenu à ce que ceux qui avaient été exclus de notre groupe car jugés trop perturbants par les autres intervenants viennent quand même à notre atelier qui s’est toujours déroulé avec intérêt.
A remarquer le lapsus constant des élèves disant : « Madame ! Madame ! » à Jean-Pierre Klein, tellement habitués de s’adresser ainsi à leurs professeurs qui sont pour la majorité des femmes.
Parfois nous avons eu la tentation du dompteur pour ramener à l’exercice, mais nous sommes contentés de leur faire remarquer que leur fuite risquait d’avoir pour conséquence de faire la preuve qu’ils n’y arrivaient pas, alors que c’était faux.
C’est en effet toujours dans les termes de la proposition de l’atelier et de l’obtention de résultat que nous avons parlé et non de rappel à l’ordre scolaire.


SEANCE ARTS PLASTIQUES : TRAVAIL SUR LA LETTRE (SIGNE GRAPHIQUE)
A- Première proposition
I- Choisir une lettre de l’alphabet
II- Découper plusieurs exemplaires de cette lettre dans un journal : majuscule, minuscule, couleur, noir et blanc, typographies variées…
III- Disposer ces lettres sur une feuille A4, choisir leur emplacement et coller.
IV- Colorier (feutres, crayons couleur, fusain) certaines zones de la feuille sans jamais recouvrir totalement une lettre
V- Observer sa production, éventuellement dire ce qu’on en ressent.

B- Deuxième proposition
I- Sur une feuille de Canson, dessiner dans une partie de la surface disponible, une lettre de son choix.
La prolonger, l’agrandir, la développer avec les crayons, feutres et fusains
II- A partir de cette lettre « déployée », se laisser voyager vers autre chose, ce qui apparaît derrière ce travail plastique, ce que ce travail donne à imaginer : objet, animal, personnage, forme inconnue…et poursuivre le travail plastique.
III- Disposer les feuilles sur une table comme pour une exposition, négocier ensemble la disposition des feuilles. Observer sans commenter le travail des autres.
IV- Temps individuel avec Laure pour chaque auteur d’une production : à partir de cette 2ème production, réfléchir à un thème, à un sujet, pour la prochaine histoire que nous créerons à l’atelier. Pendant ce temps les autres rangent le matériel.

R. a fait autour de ses lettres, avec plusieurs couleurs ce qu’il pensait être un « gribouillage », et qu’il présentait d’un air un peu provoquant ; on lui a parlé du travail du plasticien américain Jackson Pollock. Il a été surpris de ce rapprochement.
J. a priori brouillé avec les arts plastiques a produit quelque chose qui lui a beaucoup plu, et qui l’a surpris.
C. assez dépréciatif par rapport à son travail, a aussi produit dans le premier exercice quelque chose de très intéressant, on le lui a fait apprécier en le faisant reculer pour qu’il voie sa feuille de loin.
A. était très calme, comme les autres fois ; il a beaucoup imaginé et verbalisé à partir de sa 2ème production.

A la fin de l’atelier, il est proposé à chacun d’imaginer une histoire inspirée par son dessin, ou un thème d’histoire, pour la séance suivante. C’est à partir de l’idée de C. que l’histoire suivante a été créée. Le déclencheur de l’histoire était cette phrase : « Ramenez l’argent au bar ».

Parmi les autres propositions :
Un footballeur (un goal) blessé lors d’un match, puis opéré, se remet et reprend l’entraînement pour devenir meilleur encore, le succès lui est promis.
Quelqu’un tente d’accoster sur une île mais son bateau est pris dans une tempête, il aborde sur une autre île. Il passe la nuit dans une caverne où il découvre des inscriptions sur le rocher, il reconstitue une carte et découvre le trésor fabuleux d’un ancien pirate disparu. Il construira un bateau pour reprendre la mer avec son trésor.


LA MYSTERIEUSE LETTRE
LES PERSONNAGES :
- Christian Coste, brun à lunettes, yeux bleus, intello : à Noël il se commande six encyclopédies.
Il aime les pigeons, il leur donne à mange, et il élève des pigeons voyageurs. Il est barman.

- Céline Coste:
Rousse avec des tâches de rousseur, elle garde des enfants à la journée. Elle est spécialiste de recettes orientales, couscous et tagines.

L’HISTOIRE
Céline ouvre sa boîte aux lettres et trouve une lettre anonyme avec des mots découpés dans les journaux qui dit : « Ramenez l’argent au bar ». Elle attend son mari.
Christian rentre, voit la lettre, il a la respiration coupée ; Céline dit : « J’appelle la police ! Non ! Fais pas ça ! »
Pourquoi ?
Christian a emprunté de l’argent à une bande d’américains. Il ne l’a pas dit à Céline car il avait peur qu’elle réagisse mal. Il a emprunté 20 000 euros pour s’acheter des faux papiers, il a changé de vie et d’identité pour pas se faire reconnaître et se faire tailler en morceaux, car il
a appartenu à une bande ; il s’appelait alors Johnny et en était l’intello, ayant une formation d’ingénieur, pour tracer les plans, les noter, calculer la charge d’explosifs à utiliser etc.
Il est maintenant barman et a une vie rangée avec Céline.

Au bar, un client est entré, a commandé un whisky et l’a reconnu :
Bonjour Johnny !
Mais non, moi c’est Christian !
Vous ressemblez beaucoup à mon ami Johnny !
Mais ce n’est pas possible !
Je suis pourtant sûr que tu es Johnny !
Main non, puisque je vous dis que je m’appelle Christian !

En effet, Johnny n’a pas changé son physique, il s’est juste coupé la barbe et les cheveux qu’il avait longs.

Le lendemain et le surlendemain il y a d’autres lettres anonymes dans la boîte aux lettres.
Un jour Céline décide de suivre son mari car il part avec une valise à la main. Elle le voit entrer dans un vieil immeuble abandonné et bizarre. Elle s’introduit dans l’immeuble et voit à travers une porte entrebâillée Christian donner la mallette à un mec américain de la mafia, genre homme d’affaire avec costume noir et lunettes. Il ouvre la mallette qui contient des billets de banque. Céline en est surprise, elle fait du bruit. Les deux hommes se rendent compte qu’elle est là ; elle s’enfuit, ils commencent à la courser.

Céline court tout droit, elle entre dans un magasin de vêtements et se précipite dans une cabine d’essayage. Elle se débrouille, elle change de vêtements, elle enfile des vêtements laissés dans la cabine, puis met la capuche du blouson sur sa tête. Elle arrache les codes barres des habits et sort de la boutique par l’issue de secours.
Les deux hommes sont entrés dans le magasin, ils la cherchent, puis ressortent dans la rue. Céline est dans la ruelle derrière, elle passe la tête pour voir si la voie est libre. Un coup de vent rabat sa capuche et laisse s’échapper ses cheveux roux : l’homme de la mafia est là, il la reconnaît ! Mais Céline court et entre dans le métro.
Elle arrive chez elle et enlève les vêtements du magasin, puis appelle la police parce qu’elle s’est fait courser et qu’elle a très peur. Quelque temps après son mari arrive à son tour, il voit les vêtements posés sur le lit et cherche Céline. Il s’empare d’un couteau et essaye de la tuer car elle en sait trop ! La police arrive heureusement à temps pour empêcher Christian de l’assassiner.


LES PEURS
"C’est de ta peur que j’ai peur" Shakespeare Roméo et Juliette

Avant de commencer la séance, lecture de l’histoire écrite par Alexandre pendant les vacances de Noël et tapée sur l’ordinateur de son père. Nous ne pouvons la reproduire car nous n’en avons pas de copie électronique.

Lecture d’extraits de I remember (Je me souviens) de Joe Brainard . Nous prévenons les élèves que nous allons leur demander de raconter de souvenirs de peur :
« Je me souviens d’avoir imaginé comment je serai quand je serai vieux »
« Je me souviens d’avoir imaginé mon grand-père tout nu (berk !) »
« Je me souviens d’une fois quand j’étais très petit et que ma mère s’était mis dans les cheveux des pinces de métal pour faire des crans. Je dis que j’en voulais aussi, alors elle m’en a mis. Et puis, les oubliant, je sortis jouer. Je ne sais plus ce qui se passa, mais ce dont je me souviens très bien c’est de mon retour précipité dans la maison et de l’humiliation ressentie »
« Je me souviens (très vaguement) de ma mère racontant l’histoire d’une vieille dame de l’autre côté de la rue qui était morte et des gens installés dans son appartement après elle qui se sont plaint de ne pas réussir à se débarrasser de « l’odeur ».

Un élève demande à dire son histoire, et nous avons juste le temps de lire un dernier souvenir de Brainard : « Je me souviens du petit sursaut juste avant le sommeil. Comme une chute. »

- Moi quand j’étais petit, il y avait un monsieur qui habitait tout seul. Il est mort, il est resté cinq jours mort chez lui. Après il s’est gonflé, gonflé, gonflé, gonflé. Il s’est explosé.
Ça puait, les gens sentaient l’odeur, ils ont appelé les pompiers et défoncé la porte. On a vu du sang sortir de son nez et de sa bouche avec des trucs noirs ; après j’ai fait de cauchemars.
C’était le ramadan. Je lui avais apporté à manger. Je toque ma porte. Il m’a pas ouvert.
Ça fait chaud, ça !
Chaque fois que je passe devant chez lui, je le vois comme je te vois, je vois sa tête.

- Une fois, je descends dans ma cave aller chercher la poussette. J’ai pas peur, mon frère. Il y avait une poubelle vide pour mettre les déchets de la cave.
Je vois une moquette avec une bosse, comme quand on veut faire croire qu’on est au lit et qu’on fait un camouflage.
J’entends des bruits. « Y a quelqu’un ? » Je tire la poubelle : il se lève vers moi.
Il dit en arabe : « Reste, reste, je vais rien faire, le dis à personne ». C’était un mec bien habillé, en train de dormir, avec un portable, une caméra photo.
Quand, après, je descendais à ma cave, je prenais une barre de fer et j’ai rangé la moquette.

- Un soir, j’étais restée chez ma tante. J’ai été chercher un truc. Y avait personne dans la rue. J’ouvre la porte, j’entends quelqu’un qui monte, je referme la porte, il monte tout doucement, il s’arrête. Je remonte en courant chez la voisine, je toque, elle sort, elle me dit : « Qu’est-ce qu’il y a ? » Je lui raconte ? Elle me raccompagne en bas.
C’était un clochard avec un bâton, il était bourré.

- Une fois, on était le soir dans la rue, il faisait nuit en hiver, il était 6 heures.
On avait un laser, on s’ennuyait, on était à côté d’un bar, on était trois.
Il y avait des gens au bar, ils étaient bourrés, ils chantaient. On les a visés avec le laser dans l’œil.
Après il y a un noir, il marche vite sur le trottoir, on était cachés derrière une voiture.
D’un coup, il nous a regardés, il a fermé les poches de son manteau, on a couru, il nous a coursés, il a sifflé.
On a essayé de rentrer dans une voiture au feu rouge pour se sauver mais la dame a accéléré.
On a couru, on l’a lâché. On est rentrés chez nous.
Un autre jour je l’ai vu, il était assis par terre, il avait un drap bizarre en dessous de lui. Il s’est levé, il allait courir, il s’est rassis. Il ressemblait à un clochard.
Je croyais qu’il voulait nous prendre de l’argent. Je n’ai jamais su ce qu’il voulait.

- Moi et X (un autre élève du groupe) on avait fini à deux heures. X est parti acheter un classeur, une flûte, un cahier de musique à Monoprix. Il lui restait de la monnaie. On s’est acheté à manger à Franprix.
Partis dans le parc, un monsieur nous a demandé à manger, il a attrapé X de force, il l’a fait tomber. Moi j’ai poussé le monsieur il est tombé, après on a couru, le monsieur a attrapé une bouteille de bière, il l’a jetée sur ma jambe, ça a saigné. On est partis en courant, il nous a laissés.

- Y a un chat qui m’a coursé. Il avait de grandes dents. Il s’appelait Mimi. J’étais chez moi.
En fait, il voulait des caresses…

- J’avais 5 ans. J’étais parti acheter une sucette à la boulangerie, ma mère me surveillait par la fenêtre, ça s’est bien passé en allant.
Au retour, je me suis fait écraser le pied par une voiture : J’étais en train de courir, ma mère m’a vu, elle a crié.
On voyait l’intérieur du pied : des trucs blancs. Tout tournait autour de moi. J’ai d’abord pas senti la douleur.
Il y avait la police, les pompiers. Le conducteur avait conscience de ce qu’il avait fait.
J’ai bien failli mourir.
J’ai été à l’hôpital. Ça faisait trop mal. La dame a pris un coton avec une pince bleue, elle a mis un produit jaune sur la blessure.
On m’a fait un plâtre. Je l’ai gardé deux mois.

- Moi et X, on été entrés dans une clinique abandonnée. On est montés jusqu’au deuxième. X était en train de faire ses besoins, il pissait, quoi. On a entendu un bruit de métal comme une chaîne de vélo qu’on traînait par terre. A l’angle, on voit quelqu’un avec une chaîne à la main. X est sorti par une fenêtre ouverte, j’ai pété une autre avec un extincteur.
X m’attendait sur un minitoit. Les keufs ont commencé à arriver. On courait près des voitures. Les flics ont essayé de nous attraper par les pieds. On s’est échappés.
On est revenu un autre jour. Les flics avaient eu les clés de la clinique. Ils ont arrêté les sept dealers et les trois gars bourrés.
Maintenant ils ont mis des briques pour boucher les fenêtres et les portes. Quand on passe devant on a plein de souvenirs.

HISTOIRES D’R
Proposition :
Chaque participant écrit sur un papier un mot commençant par la lettre « R » ; les papiers sont rassemblés et lus, ils constituent une liste de mots : rouge, revolver, Reda, ramadan, roue, roman, romans. Inventer une histoire en utilisant tous les mots de la liste, en se mettant par groupes de 3 avec un animateur.

En voici une :

Reda lisait tranquillement son roman durant la période du ramadan. Puis il décida de sortir pour aller chercher une roue pour son scooter. Sur le chemin il y avait un carton sur le trottoir. Par curiosité il shoota dedans et un revolver glissa de la boîte, un revolver comme ceux décrits dans les romans policiers qu’il avait l’habitude de lire. Il le prit dans sa main pour le contempler. La balle partit sans qu’il s’en rende compte. Elle alla se loger dans l’épaule d’un passant en faisant une grosse tâche rouge sur sa chemise blanche.


10 PIEGES DE L’INTERVENTION D’ECRIVAINS EN MILIEU SCOLAIRE
Le premier est de chercher à faire s'exprimer les enfants et adolescents sur leurs expériences familiales trop intimes. La création ne doit pas être confondue avec une relation de la vie de l'élève qui ne nous regarde pas.

Le deuxième est du même ordre mais il s’applique à l’écrivain qui ne doit rien savoir sur les difficultés de l'enfant et de sa famille, ce qui risque d'induire un parallélisme approximatif entre sa production et ce qu'il vit par ailleurs. Il doit être naïf et ne s’intéresser qu’à la création sans préjugé sur l’élève.

Le troisième est le modèle scolaire de l'apprentissage d'une matière. L'intervention de l'écrivain n'est pas un cours de plus et ce n’est qu’au passage qu’il donnera des éléments sur les fautes de syntaxe ou de conjugaison.

Le quatrième est le modèle télévisé. La création ne doit pas reprendre en récit, en dessin, en improvisation, les personnages stéréotypés des films, des feuilletons, des dessins animés que connaît l'enfant ou l’adolescent. Ces héros sont trop typés pour pouvoir inventer autre chose que leur définition figée. L'enfant ou l’adolescent ne doit pas se réduire à copier ces formes connues, il en serait trop prisonnier et son imagination en serait paralysée.

Le cinquième est du même genre : favoriser l'histrionisme de certains qui sont habitués de faire leur "numéro" de façon répétitive dans un personnage caricatural qui leur vaut habituellement les applaudissements de leur entourage et les enferme dans un succès facile. Montrer que ces répétitions ne sont ni fécondes ni intéressantes du point de vue de la création.

Le sixième est la complaisance. Applaudir exagérément et se contenter de peu est péjorer la création et encourager les facilités et les leurres. Un minimum d'exigences est nécessaire quant aux résultats, compte tenu de ce qu’on perçoit des capacités des élèves.

Le septième est la confiance aveugle dans la créativité spontanée de l'élève. Ne faisons pas comme s'il était automatiquement capable d'inventer par exemple des solutions aux intrigues qu’il a mises en place : si celles-ci sont nulles, ne pas les accepter. L'écrivain doit en outre faire toucher du doigt comment on passe de la phrase banale aux exigences de l’écriture.

Le huitième est au contraire de demander trop à l'élève. Il n'est par exemple pas question de le faire écrire, ce qui favoriserait les meilleurs et mettrait le plupart des autres en difficulté. La dictée à l'intervenant est en revanche possible.

Le neuvième consiste en la crainte des inventions horrifiques qui n'ont pas à être arrangées (ni suscitées bien sûr de façon manipulatoire perverse). Il n'est pas question de provoquer à tout prix des happy ends, les peurs et les violences peuvent habiter les histoires sans risque puisque l'espace du symbolique est bien délimité, sans retombée dans la réalité. La fiction remplit la fonction de protection contre l'irruption éventuellement terrifiante et violente du réel.

Le dixième est de se présenter comme modèle. L’écrivain parle trop de ses procédés personnels d’écriture et de la façon dont il résoudrait lui-même les histoires alors qu’il doit aider les élèves à trouver leur propre manière. Il doit être discret et respectueux tout en restant exigeant.

Au total refuser les trop grandes facilités et à la fois ne pas mettre l’élève en trop grande difficulté, essayer de retenir son attention fuyante sans aller trop dans son sens… L’écrivain doit susciter la création d'abord par des exercices avec contraintes légères bien pensées portant sur la forme et sur le contenu. Il ne s'effacera pas mais montrera comment l’élève peut créer une oeuvre à partir de ses propres idées. Il l’aidera par exemple à parfaire ses expressions spontanées. L'écrivain doit accompagner la création et non imposer la sienne... L’enfant ou l’adolescent a moins à être placé en position de consommateur que de créateur. Le but est de l’aider à être auteur dans la création afin d’être un peu moins objet, passif dans sa vie, par rapport à ses difficultés venues de lui-même et de son environnement : violences, troubles, angoisses, conditions d’existence, traumas, etc.
L’élève est invité à se rendre compte de ses capacités, ce dont il doute généralement. Il doit s’apercevoir qu’il peut réussir dans le domaine de la narration et de l’invention alors qu’il se vit et est vécu comme voué à l’échec.
C’est alors que l’on fera œuvre véritablement pédagogique.