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Laurens (Camille) > Dans ces bras-là

Présentation

LE CARNET DE BAL DE CAMILLE LAURENS
Par Régine Detambel

L’étranger
Ce serait un livre sur les hommes, sur l’amour des hommes : objets aimés, sujets aimants, ils formeraient l’objet et le sujet du livre. Voilà ce que Camille Laurens écrit, au tout début de Dans ces bras-là. Ce roman est paru en septembre 2000, aux Editions POL, comme tous les livres de Camille Laurens. C’est le septième depuis 1991 et aujourd’hui un succès de presse et un succès de librairie. Le courrier des lecteurs est là pour le prouver. Dans ces bras-là a déjà son public, un public d’hommes qui écrivent à l’auteur : « Vous avez compris mon désir… », un public de femmes, enthousiastes, toute solidarité, qui lui disent : « Merci pour les femmes ! » Evidemment, dressant l’inventaire des hommes, de tous les hommes qui jalonnent la vie d’une femme (le père, le frère, le mari, l’enseignant, le médecin, l’éditeur, le psychiatre…), Camille Laurens a peint le portrait de femme (de toutes les femmes) le plus troublant qui ait jamais été réalisé. De ce livre entièrement consacré au sexe opposé, elle fait la plus belle définition de la femme, du désir de la femme, de ce que veut la femme. « Je savais que le thème de ce livre serait l’homme, dit Camille Laurens, je voulais étudier le rapport de dépendance, d’aliénation dans lequel je me trouve avec les hommes, le père, le mari, l’amant. J’ai travaillé sur ce rapport de dépendance qui me construit, me déconstruit, me démolit, moi, femme. J’ai procédé de manière chronologique : d’abord le père, puis les rencontres. Je veux toucher l’homme, je m’adresse aux hommes. Je leur dis que je suis en face, que je suis là, je les vois, je les regarde, ce qui implique un désir de réciprocité. Le sujet de mon livre, c’est l’altérité, la différence, le désir, la relation à l’autre comme différent de moi et donc désirable. L’altérité, c’est l’étranger ou le même. Pour moi, l’altérité, c’est la différence sexuelle, pas la différence de race, de pays ou d’opinion. L’homme, c’est mon étranger à moi. »

Tétralogie
Dans ces bras-là apparaît à tous dans l’œuvre de Camille Laurens comme un achèvement, un terme enfin atteint, et préparé en somme par les livres précédents qui lui auraient servi, chacun à sa manière, de marche et de tremplin. Pourtant, remarque l’auteur, ce dernier roman est dans la droite ligne de ce qu’elle fait habituellement. Elle aime les classements, les inventaires, les dos d’encyclopédies qui portent, en symboles chimiques du savoir universel, ces lettres mystérieusement agencées (Tome 3 : Arm-Ber, Tome 4 : Cli-Cyt…) et qui nous ont forcément tous fait rêver. Camille Laurens ne se contente pas du rêve. De 1991 à 1998, elle se lance dans l’accomplissement de sa propre encyclopédie, sa « tétralogie », dit-elle, quatre livres, quatre glossaires, quatre répertoires romanesques, qui vont d’Abri à Zygote. Index couvre le champ de A jusqu’à F, Romance conduit le lecteur de G à K, Les Travaux d’Hercule prennent le relais de L à N et L’Avenir est la conclusion de cette tétralogie puisqu’il mène enfin de O à Zygote. « Dans ce roman, je voulais parler de la fécondation, dira Camille Laurens, du germe, de l’éternel recommencement du cycle romanesque comme un cycle féminin. » Et ce ne sont pas là vaine quête alphabétique et creuses réflexions sur la lettre. Camille Laurens a conquis de haute lutte sa langue, ses tournures, son registre, son ton particulier, son allure. Elle a gagné dignement et courageusement l’élan de sa phrase, ses métaphores, son aptitude inouie à nous parler avec simplicité, Elle a payé de son sang l’univers des phrases, des images, des rythmes et des mots qu’elle s’est construit. De la nécessité de l’écriture, de ses pouvoirs curatifs, de sa puissance magique, de son pouvoir de dénouer quelques tensions du cercle infernal dans lequel la vie nous enferme, Camille Laurens peut parler en connaissance de cause : elle a perdu son enfant alors qu’elle terminait le roman intitulé Les travaux d’Hercule. Et pourtant elle a continué, elle a terminé sa tétralogie, il fallait encore écrire L’Avenir. Il restait à parcourir l’espace immense qui va de O à Z. « J’ai écrit ce dernier roman sans nécessité intérieure, mais seulement parce qu’il fallait le terminer. Je n’allais pas abandonner le projet en cours. Si je n’étais pas allée jusqu’à Z, je savais que je n’aurais plus jamais pu écrire autre chose. Je devais boucler ce projet. » Le cinquième livre, Camille Laurens l’intitulera Philippe.

Les bras de Morphée
Dans ces bras-là est un très grand livre sur l’amour, sur le corps de l’autre, sur son corps androgyne, un livre sur la nostalgie de l’homme. Avoir l’homme en moi, être dans l’homme, qu’on ne voit plus la limite, qu’il n’y ait plus de limite exige la narratrice. Pourtant, les hommes de ce roman n’ont ni poils, ni odeur, ils sont presque des hommes sans corps. « Il n’y a pas de sueur, dit Camille Laurens, mais il y a du sang et des larmes. Je voulais que ce soit un livre sur le sexe, mais sans sexe. J’avais l’impression qu’une scène érotique le particulariserait trop. Et puis, ce que dit mon roman, c’est que l’homme est le corps de la femme et la femme est le corps de l’homme. Dans le rapport sexuel, les différences s’annulent parce qu’elles sont exacerbées. » Le livre s’achève dans les bras de Morphée (ces bras-là, justement) qui sont le soleil, le silence et la mort. La mort ne pouvait pas être représentée sous les traits d’une femme. « Je préfère imaginer que ce sera un homme » dit Camille Laurens. Camille Laurens a été durablement marquée par la lecture de Jorge Luis Borges qui ne pouvait que redoubler son goût pour les livres infinis, les index et les dictionnaires. Les dictionnaires sont des livres de sable, des « obstacles à l’écriture, dit-elle, je n’écris plus, je passe, pendant des heures, d’un article à l’autre. » Et c’est ainsi peut-être que le lecteur doit lire Dans ces bras-là, en boulant d’un homme à l’autre, follement, jeté du passant au premier amour et du voyageur au fiancé, vertigineusement, à en avoir le tournis, à en perdre ses repères et son équilibre social, comme dans ces valses violentes et fortes où l’on changeait brusquement de cavalier. Il y a très longtemps, Camille Laurens a vu un film, avec Danielle Darrieux croit-elle. Cela s’appelait Carnet de bal et c’était l’histoire d’une femme qui retrouvait son vieux carnet, tout poussiéreux, portant les noms de ses cavaliers d’antan. Elle décida de les retrouver. L’un d’eux était devenu un sinistre médecin aux colonies, un autre était mort. Tout de suite, cette idée du carnet de bal deviendra le projet de base de Camille Laurens. Et l’on ne peut s’empêcher de penser à tout ce qu’il y a de donjuanesque dans une telle entreprise. Je n’ai pas compté combien il y a d’homme dans le dernier roman de Camille Laurens mais on dira, simple intuition, mille e tre !

Régine Detambel


Propos de Camille Laurens recueillis par Régine Detambel en septembre 2000

LES PETITS A-COTES DE CAMILLE LAURENS
Par Régine Detambel

Ce serait un livre sur les hommes, sur l’amour des hommes : objets aimés, sujets aimants, ils formeraient l’objet et le sujet du livre. Voilà ce que vous écrivez, au tout début de Dans ces bras-là, votre dernier roman, paru chez POL en septembre 2000, le septième livre depuis 1991, et aujourd’hui un succès de presse, un succès de librairie.
Le courrier des lecteurs est là pour le prouver. Dans ces bras-là a son public, des hommes qui m’écrivent : « Vous avez compris mon désir… », des femmes, enthousiastes, toute solidarité, qui me disent : « Merci pour les femmes ! » A ce point, c’est troublant. Evidemment, dressant l’inventaire des hommes, de tous les hommes qui jalonnent la vie d’une femme (le père, le frère, le mari, l’enseignant, le médecin, l’éditeur, le psychiatre…), je suis consciente d’avoir fait le portrait des femmes. De ce livre entièrement consacré au sexe opposé, j’ai fait une définition de la femme, du désir de la femme, de ce que veut la femme. Je savais que le thème de ce livre serait l’homme, je voulais étudier le rapport de dépendance, d’aliénation dans lequel je me trouve avec les hommes, le père, le mari, l’amant. J’ai travaillé sur ce rapport de dépendance qui me construit, me déconstruit, me démolit, moi, femme. J’ai procédé de manière chronologique : d’abord le père, puis les rencontres. Je veux toucher l’homme, je m’adresse aux hommes. Je leur dis que je suis en face, que je suis là, je les vois, je les regarde, ce qui implique un désir de réciprocité. Le sujet de mon livre, c’est l’altérité, la différence, le désir, la relation à l’autre comme différent de moi et donc désirable. L’altérité, c’est l’étranger ou le même. Pour moi, l’altérité, c’est la différence sexuelle, pas la différence de race, de pays ou d’opinion. L’homme, c’est mon étranger à moi.

Dans ces bras-là apparaît à tous dans votre œuvre comme un achèvement, un terme enfin atteint, et préparé en somme par les livres précédents qui lui auraient servi, chacun à sa manière, de marche et de tremplin.
Pourtant, ce livre est dans la droite ligne de ce que je fais habituellement. J’aime les classements, les inventaires. De 1991 à 1998, je me suis lancée dans ma « tétralogie », quatre livres, quatre glossaires ou répertoires romanesques, qui vont d’Abri à Zygote. Index couvre le champ de A jusqu’à F, Romance conduit le lecteur de G à K, Les Travaux d’Hercule prennent le relais de L à N et L’Avenir est la conclusion de cette tétralogie puisqu’il mène de O à Zygote. Dans ce roman, je voulais parler de la fécondation, du germe, de l’éternel recommencement du cycle romanesque comme un cycle féminin. J’ai perdu un enfant alors que je terminais le roman intitulé Les travaux d’Hercule. Et pourtant j’ai continué, j’ai terminé ma tétralogie. J’ai écrit L’Avenir sans nécessité intérieure, mais seulement parce qu’il fallait le terminer. Je n’allais pas abandonner le projet en cours. Si je n’étais pas allée jusqu’à Z, je savais que je n’aurais plus jamais pu écrire autre chose. Je devais boucler ce projet.

Quand on a toujours de telles perspectives, de si grands projets à mener, peut-être ne reste-t-il pas beaucoup de place pour des petits à-côtés ?
En effet. D’abord je suis fidèle à mon éditeur. J’ai tout publié chez POL, tous mes romans, mais aussi Quelques-uns, qui est un essai, un recueil de textes sur mon amour des mots, ceux qui nous aident à vivre. Ce sont des réflexions, des citations. Sinon, je suis toujours absorbée par le texte en cours. J’ai du mal avec la forme brève, je préfère une forme plus large. J’ai du mal quand cela n’entre pas dans un projet de longue haleine. C’est pourquoi j’ai très peu écrit en dehors du livre en cours : un texte pour la revue Théodore Balmoral, un pour la Licorne, la revue de l’Université de Poitiers, une nouvelle pour le catalogue de l’exposition « Le Temps, vite », organisée en janvier 2000 par le Centre Georges Pompidou…

Si vous deviez trouver un autre mot pour « petit à-côté », quel serait-il ?
Ce serait chute. Au sens cinématographique du terme, comme les chutes de pellicule. Je ne garde pas. Je jette mes brouillons. Les chutes sont faites pour être jetées.

Malgré tout, nous avons fini par le trouver, ce petit à-côté ! Il est vrai qu’il n’est pas si loin de Dans ces bras-là , quand la narratrice dit :Avoir l’homme en moi, être dans l’homme, qu’on ne voit plus la limite, qu’il n’y ait plus de limite.
Dans ces bras-là , il n’y a pas de sueur, mais il y a du sang et des larmes. Je voulais que ce soit un livre sur le sexe, mais sans sexe. J’avais l’impression qu’une scène érotique le particulariserait trop. Et puis, ce que dit mon roman, c’est que l’homme est le corps de la femme et la femme est le corps de l’homme. Dans le rapport sexuel, les différences s’annulent parce qu’elles sont exacerbées. Ce texte que vous appelez un petit à-côté, je l’ai écrit pour le spectacle intitulé Jardins, dans le cadre de « Corps et Graphie », au Chai du Terral, à Saint-Jean de Védas, en mai 2000. C’était dans une chorégraphie de Luis Ayat. J’ai continué à parler de la femme et de l’homme, du rapport de dépendance, d’aliénation… Et tout recommence !

Propos de Camille Laurens recueillis par Régine Detambel