Corps écrit

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Mann (Thomas) > La mort à Venise
Victoire de Dionysos sur Apollon

Présentation

Thomas Mann, La mort à Venise, suivi de Tristan et Le chemin du cimetière, traduit de l'allemand par Félix Bertaux, Charles Sigwalt et Axel Nesme, Notices et notes d'Armand Nivelle, Fayard, 1971.  

> Présentation de l'éditeur
C'est peut-être dans ses nouvelles que l'écrivain allemand Thomas Mann (1875-1955) a mis le meilleur de sa verve ironique et de sa sensibilité, de son émotion discrète qui se drape volontiers de sarcasme.
La mort à Venise est le récit de la passion fatale qui saisit un écrivain d'âge mûr à l'apparition d'un adolescent d'une extraordinaire beauté.
Dans Tristan, le dilemme qui s'offre à l'héroïne est de tenter de vivre en étouffant ses dons d'artiste ou de "mourir de musique".
La fin de Lobgott Piepsam dans Le chemin du cimetière prouve que la vie est dure aux faibles, mais que la mort vaut mieux que la débâcle d'une constante lâcheté.

> Extrait
"Heures étranges ! Étrange et fécond accouplement de l’esprit avec un corps ! Lorsque Aschenbach serra son papier et partit de la plage, il se sentit épuisé, brisé, et il lui semblait entendre l’accusation de sa conscience comme après une débauche.
Ce fut le lendemain matin qu’au moment de quitter l’hôtel il aperçut du perron Tadzio, déjà en route vers la mer, tout seul, s’approchant brusquement du barrage. Le désir, la simple idée de profiter de l’occasion pour faire facilement et gaiement connaissance avec celui qui, à son insu, lui avait causé tant d’exaltation et d’émoi, de lui adresser la parole, de se délecter de sa réponse et de son regard, s’offrait tout naturellement et s’imposait. Le beau Tadzio s’en allait en flâneur ; on pouvait le rejoindre, et Aschenbach pressa le pas. Il l’atteint sur le chemin de planches, en arrière des cabines, veut lui poser la main sur la tête ou sur l’épaule et il a sur les lèvres un mot banal, une formule de politesse en français ; à ce moment il sent que son coeur, peut-être en partie à cause de la marche accélérée, bat comme un marteau, et que presque hors d’haleine il ne pourra parler que d’une voix oppressée et tremblante ; il hésite, cherche à se dominer et, tout à coup, craignant d’avoir trop longtemps suivi de si près le bel adolescent, craignant d’éveiller son attention, redoutant son regard interrogateur quand il se retournera, il prend son dernier élan, s’arrête court, renonçant à son dessein, et passe tête baissée, à grands pas."