Corps écrit

Corps écrit

Imprimer la fiche
Merleau-Ponty (Maurice) > La prose du monde
Merleau-Ponty (Maurice) > La prose du monde

Présentation

Maurice Merleau-Ponty, La prose du monde, Gallimard, 1992. 

Autrui confirme, garantit et le lien à l'Être et la différence.

> Résumé
Ce texte est une sorte de tentative d'institution d'une nouvelle forme de rationalité philosophique.
Inachevé (abandonné en un sens en 1951), La prose du monde devait être un ouvrage équivalent à Qu'est-ce que la littérature ? de Sartre mais d'une ambition bien plus grande dans la mesure où au volet consacré directement aux problèmes du langage devaient s'ajouter des analyses littéraires bien plus amples confinant avec la sociologie et la religion. L'interruption d'un tel projet mérite toute notre attention : quels changements radicaux ont pu distraire un philosophe en pleine maturité, de l'exécution de ce programme déjà bien entamé ? La réponse vient de la déhiscence d'une conception de l'intersubjectivité au sein même de l'accomplissement de ce projet, conception qui finit par exiger une réforme bien plus radicale des catégories philosophiques mises en jeu.

La Prose du monde tente de cerner ce qu'est la connaissance d'autrui. « Autrui ne se présente jamais de face. » Il n'est pas dans les choses, il n'est pas figé dans son corps, pourtant il n'est pas moi. N'étant pas devant moi il est « de mon côté, à mon côté, derrière moi », mais autre aussi, dont je sens qu'il me sent, me décentre, me destitue, sans parade efficace de ma part. L'expérience d'autrui est celle d'une multiplication des sujets percevants, de leur interpénétration, la fin sentie du solipsisme transcendantal.
Notre expérience primordiale de l'Être est une généralité première du sentir par le corps avant la conscience : nous trouvons autrui comme nous trouvons non pas notre je, notre esprit, mais notre corps. Autrui est du côté de notre corps ; c'est à partir de cette généralité du sentir qu'autrui se glisse dans ma perception.
Autrui devient le garde-fou qui protège de la possible illusion perceptive, sauvegarde le moi de n'être qu'un songe, arrime à mon corps. Autrui confirme, garantit et le lien à l'Être et la différence.
"La parole expressive, cet « acte unique », ce « pouvoir inouï », est la manifestation de cette co-implication des sujets. Qu'est cette parole ? La parole dit toujours plus que ce qu'elle dit mot par mot ; elle s'anticipe en l'autre ; elle crée de l'universel, qui n'est pas le discours du genre humain, mais l'assemblage de langages fragmentaires. Il ne s'agit pas là de dialogue, mais d'une intrication des uns dans les autres. « Ils se font autres en disant ce qu'ils ont de plus propre. » Dès lors qu'on ose « franchir ces ponts de neige » que sont les paroles expressives, une universalité reconnue, articulée devient la réplique et le renouvellement de la généralité du sentir. « La sursignification de la parole » instaure un sens parmi les hommes, tout autre qu'un algorithme, irréductible à une configuration achevée.
Qu'effectue donc la parole ? Un double mouvement. D'un côté, elle entraîne dans l'autre non par un face-à-face réconciliateur, mais de biais, par la séduction que crée un style. « Elle réalise l'impossible accord de deux totalités rivales. » D'un autre côté, par l'incursion de l'autre en moi, par la parole, « ma propriété fondamentale de me sentir a trouvé son témoin nécessaire »" (Guy Petitdemange)

Voir Altérité, Altruisme