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Baltrusaitis (Jurgis) > Les perspectives dépravées

Présentation

Jurgis Baltrusaitis, Les perspectives dépravées : Tome 1 : Aberrations, essai sur la légende des formes ;  Tome 2 : Anamorphoses, coll. Champs, Flammarion, Paris, 2008.

> Présentation de l'éditeur
Avec cet essai, Jurgis Baltrusaitis a ouvert un domaine nouveau de l'histoire de l'art et de l'histoire des idées. A côté d'un développement historique et d'un raisonnement logique, il y a place pour une histoire romancée et le développement de déviations erratiques. La fable de la bête dans l'homme, la fable de l'image dans la pierre, le conte de la forêt dans l'édifice gothique, le mythe du Paradis font découvrir cette seconde vue des choses intelligibles.
Le jeu de perspective auquel on adonné le nom d'anamorphose consiste à déformer l'image jusqu'à son anéantissement, de sorte qu'elle se redresse, ressuscitée, lorsqu'on la regarde d'un point de vue déterminé. Il ne s'agit pas d'une aberration où les images se substitue au gré des fantaisies et de détours de la pensée mais de la perspective proprement dite, dépravée par une application particulière de se lois propres. L'anamorphose fait son apparition dès le début du 16e siècle et perdue encore au 20e siècle. Elle possède un contenu métaphysique mais se développe aussi comme un divertissement, un jeu paradoxe.

> Sur Jurgis Baltrusaitis
Élève d'Henri Focillon, essais consacrés aux altérations visuelles qui engendrent des images irréelles, monstrueuses. Série des « perspectives dépravées » : Aberrations. Quatre essais sur la légende des formes (1957), Essai sur la légende d'un mythe. La Quête d'Isis. Introduction à l'Égyptomanie (1967) & Anamorphoses ou Thaumaturgus Opticus.
L'ouvrage peut être divisé en trois parties : la première s'intéresse à la naissance de l'anamorphose et à sa diffusion jusqu'au XVIIe siècle, en France et en Allemagne ; la deuxième suit les développements de la technique entre le XVIIIe et le XIXe siècle, en s'appuyant sur l'introduction du miroir dans le dispositif de lecture de l'anamorphose et sur les rapports avec des images analogues produites en Chine ; la troisième partie offre un aperçu des « résurgences et renouveaux » de l'anamorphose chez les artistes et les intellectuels, au xxe siècle.

> Les erreurs de la perspective
La perspective est un procédé artificiel qui permet la reconstruction de l'espace et de la réalité, elle peut engendrer la représentation d'images fausses, fantômes du monde réel. Anamorphose (apparu au XVIIe siècle) signifie une « forme qui revient », désigne une inversion de perspective : « Au lieu d'une réduction progressive à leurs limites visibles, c'est une dilatation, une projection des formes hors d'elles-mêmes, conduites en sorte qu'elles se redressent à un point de vue déterminé. » Cette technique s'affirme à la Renaissance, où elle apparaît comme un moyen géométrique permettant de modifier sensiblement l'espace, grâce à l'adoption de perspectives accélérées ou ralenties : Albrecht Dürer, les architectes Daniele Barbaro, Vignole, Lomazzo en seront les théoriciens les plus importants aux XVIe & XVIIe siècle. L'anamorphose devient genre pictural dans les pays du Nord, d'abord sous la forme des Vexierbilden (tableaux à secret) => tableaux & gravures anamorphotiques dans les collections et les Wunderkammern (cabinets de curiosités) des souverains. Les artistes, conscients du potentiel allégorique de l'anamorphose, transcrivent grâce à elle dans leurs œuvres nombre d'allusions au rapport entre le monde apparent et sa substance cachée.
L'anamorphose peut être rapprochée des Vanités, natures mortes des XVIe-XVIIIe, riches en symboles de la fugacité du temps et de la vie.
Baltrušaitis consacre un chapitre entier aux Ambassadeurs de Hans Holbein le Jeune (1533, National Gallery, Londres) et l'anamorphose du crâne, située au premier plan du tableau, comme une Vanité : lecture iconologique de l'œuvre, en rapprochant sa signification religieuse d'illustres sources philosophiques (Corneille Agrippa, Éloge de la folie d'Érasme).

> Thaumaturgus opticus (1646)
Corneille Agrippa : « Il n'y a rien de plus périlleux que de folier par raison », 1530. À travers l'exemple de l'anamorphose, Baltrusaitis montre l'existence et la permanence d'implications aberrantes, fantastiques ou magiques au sein du savoir occidental le plus rationnel.
Dans le couvent parisien des Minimes, liés à Descartes, le père Jean-François Niceron, peintre, se consacra à des recherches sur la perspective et ses dérèglements ; dans Thaumaturgus opticus (1646) il étudie la tradition géométrique et occulte de l'illusion optique, et donne à l'anamorphose le statut de science. L'anamorphose devient métaphore intellectuelle et religieuse. Dans les fresques du couvent de la Trinité-des-Monts à Rome et du cloître des Minimes, Niceron et le père Emmanuel Magnan donnèrent les premiers exemples d'anamorphoses à grande échelle dans leurs représentations de saints peints selon une perspective déformée. En exposant ainsi des œuvres qui instillent le doute dans l'esprit du spectateur, les Minimes rappelaient la vanité des apparences et la nécessité pour l'homme de recourir à la vérité théologique.

> Anamorphose catoptrique (à l'aide d'un miroir)
Procédé optique, bizarrerie, jeu savant appliqué aux images. L'anamorphose catoptrique (à l'aide d'un miroir) donne vie à des anamorphoses circulaires (Simon Vouet) ; correspondant au goût baroque pour la scénographie, les cônes ou les cylindres à miroir décorent des salles et des jardins. L'anamorphose perd son contenu métaphysique et devient pur divertissement. XIXe : la lithographie d'illustration aura recours à l'anamorphose pour des images populaires, à l'allure fantastique, grotesque. Valeur allégorique du procédé de Shakespeare à Walpole, et de Poe à Barthes.
Dans les années 1930, surréalistes et des dadaïstes la cultivent. Jean Cocteau : l'anamorphose constitue désormais un territoire de l'imaginaire, « un no man's land où la poésie et la science se rencontrent.