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Quand les écrivaines doutent : de Virginia Woolf à Annie Ernaux
Quand les écrivaines doutent : de Virginia Woolf à Annie Ernaux
Pourquoi certaines femmes artistes ne parviennent pas à aimer leurs propres œuvres, ni à croire en la vie qu’elles leur confèrent ?

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Dit par l'auteur
Présentation

Cette communication présente quelques figures d'écrivaines perturbées par la violence de la création artistique. Des femmes en crise sur trois fronts : le chaos intérieur de la création, le front social et le front privé.

Rilke disait que « les œuvres d’art sont toujours le résultat d’un danger couru, d’une expérience conduite jusqu’au bout, jusqu’où personne ne peut aller plus loin. »
Car pour créer et supporter les chocs en retour de l'oeuvre en train de se faire, pour faire une œuvre où il y ait de la vie, il faut être soi-même bien vivant.
Or parmi les femmes artistes du début du XXe siècle, on compte peu de grandes vivantes. La plupart d'entre elles doutent, elles ne parviennent pas à être « bien vivantes », elles ne parviennent pas non plus à aimer leurs propres œuvres, ni à croire en la vie qu’elles leur confèrent.

Virginia Woolf, Unica Zürn, la compagne de Hans Bellmer, Sylvia Plath, la jeune poète américaine, Simone Weil, l’ascète philosophe, qui mourra la même année que Camille Claudel, toutes ont expérimenté les traits de la dépression et de la folie, comme rançon de ce doute destructeur, quand les Joyce, Mann, Proust, Conrad semblent inébranlables. Même lorsque le monde en guerre se désintégrait autour d’eux, ils demeuraient des êtres complets, intègres. En eux régnait la magistrale confiance du créateur souverain. Excepté peut-être Colette (qui devint un grand écrivain à l’âge où Virginia Woolf se suicidait, car il avait fallu attendre la mort de la mère, la fin des passions qui dirigeaient sa vie, ce renouveau qu’elle nomma la Naissance du jour), les femmes écrivent en tremblant.

Virginia Woolf : « Le jour viendra-t-il où je supporterai de lire mes propres écrits imprimés sans rougir — trembler et avoir envie de disparaître ? »
Pour lutter contre cette autocritique mutilante, Woolf n’a jamais cessé de s’entraîner, comme le Gladiator de Paul Valéry. Par exemple, on voit comment elle se tonifie avec une phrase rythmée comme une salle de gym : « J’ai commencé à lire Freud hier soir ; pour élargir le cercle ; pour donner à mon cerveau un champ plus vaste ; pour le rendre objectif, pour sortir de moi-même. Ainsi vaincrai-je le rétrécissement de l’âge. Toujours s’attaquer à de nouveaux problèmes. Briser le rythme, éviter l’ankylose, etc. ».
Elle dit aussi, dans la même veine, et dans une formule que je médite souvent : « Ne pas s’endormir. Toujours retourner brutalement l’oreiller. »
Je crois que pour être une femme qui crée et en supporter les chocs, pour tenter de faire une œuvre où il y ait de la vie, il faut être soi-même bien vivante et relire souvent les livres (peu nombreux) qui racontent cette expérience-là, de vacillations incessantes.


Cette communication a été prononcée à la Bibliothèque Francophone Multimédia de Limoges, lors du Colloque Camille Claudel, le 12 septembre 2009.