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Opéra sérieux
Régine Detambel
Opéra sérieux
Actes Sud

Date de parution : 2012
roman
ISBN : 978-2-330-00576-4
135 pages

14,50 €
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Dit par l'auteur
Présentation Presse Traduction Nota Bene

Parution 5 mars 2014 pour l'édition de poche (Babel n°1234 - 6,70 €)

Edition originale parue le 4 avril 2012
Sélectionné par les libraires FNAC, opération TALENTS.
Sélectionné pour le Prix de la Ville de Deauville 2013. Ce prix, organisé dans le cadre du Salon Livres & Musiques, récompense les ouvrages évoquant la musique.

Résumé
Fille du ténor préféré du compositeur Janáček, Elina Marsch, née en 1926 dans une famille juive, grandit en compagnie des maîtresses de son père, cantatrices célèbres dont elle apprend l’art de la séduction et tout un répertoire d’airs de folie et de mort avant de connaître les vicissitudes de la guerre et ses horreurs et de s’enfuir en Amérique. Roman de la voix divine qui fascine, apaise ou terrifie, Opéra sérieux fait entendre le chant même des lointaines Sirènes.

Détails
Elina Marsch est la fille du ténor préféré du compositeur Janacek. Juive née en 1926, elle connaîtra les vicissitudes de la guerre et ses horreurs, avant de s’enfuir en Amérique. Nature fragile et mystérieuse, Elina grandit en compagnie des maîtresses de son père, cantatrices célèbres dont elle apprendra l’art de la séduction et tout un répertoire d’airs de folie et de mort.
Mais plus que l’histoire d’Elina Marsch, Opéra sérieux est le roman de la voix d’Elina, d’une voix qui fascine, apaise ou terrifie. De cours de chant en premiers concerts, son jeune organe doit d’abord se plier à un rigoureux travail de discipline technique, où il puisera les plus envoûtants de ses sortilèges.
Car la jeune femme a bien une voix divine. Par le cristal de ses aigus, cette diva fera tomber à genoux les amateurs d’opéra, elle les séduira, elle les ensorcellera. Et son chant pourrait bien se révéler aussi dangereux que celui des Sirènes, signant la perte des marins malheureux qui succombaient à leur appel.
La voix humaine reste un grand mystère. Qu’est-ce que cette vapeur qui séduit ? Qu’est-ce que cette chose sexuée que nous proférons, cette pulsion de vie ou de mort que nous portons au devant de nous, vers les autres ? Comment les Sirènes tuaient-elles ? Quelles énigmes de vie ou de mort recèlent les voix, tantôt cruelles, tantôt consolatrices ?

Un peu de presse, en quelques lignes
Igor Capel, Le Canard enchaîné
"Elina Marsch peut maintenant accomplir son destin de tragédienne — et de criminelle. Ce destin, Régine Detambel l'accompagne en musicienne, elle aussi capable d'entendre, au quart de ton près, ce chant des Sirènes qui s'est insidieusement glissé dans l'oreille de son héroïne. Sans se laisser dominer ni 'empoisonner' par son personnage, elle parvient à composer, dans une forme libre et ramassée, et dans une langue tout en nuances, un puissant conte cruel… qui ferait un excellent livret d'opéra." 

Pierre Maury, Le Soir de Bruxelles
"Transposer le chant dans l'écriture s'apparente à la quadrature du cercle. Comment les mots parviendraient-ils à faire ressentir le souffle, les mouvements intimes du corps, la mélodie ? Beaucoup d'écrivains s'y sont essayés, la plupart ont échoué. La performance de Régine Detambel dans Opéra sérieux mérite l'attention soutenue grâce à laquelle on entre avec elle en communion avec Elina Marsch, de sa naissance à sa disparition en passant par la formation, la gloire et la chute. Ce qu'on appelle un destin dramatique, secoué par les événements historiques et transfiguré par la musique."

Christine Ferniot, Lire
"Ce texte est une tragédie noire où l'auteur joue avec le cristal des aigus et la chaleur des graves. Elle nous apprend à bâiller, à écouter et à entendre. Cette fable d'une intensité dramatique et d'une force poétique infinies nous dit tout de la naissance à la mort, jusqu'à l'ultime 'flaque de lumière intense' qui, pour Elina, deviendra le symbole de la folie, dans un monde blanc, sourd et silencieux."

Extrait
"Il n’est de voix divine que de femme. Et même en ce siècle de putréfaction de la métaphysique, la petite n’en est jamais privée parce que les maîtresses du ténor Marsch, toujours le chant aux lèvres, ne cessent pas de lui faire entendre la partition paradisiaque qui berce les enfants dans l’unique membrane des ventres, son toucher immatériel, son art d’effleurer, son contact plus léger qu’une tangence. Nuit et jour la maison résonne des sons minces et graciles de leur voix de tête penchée sur le petit lit, que la gosse s’empresse de convertir en l’appel fascinant du ventre de la morte, sachant bien qu’elle joue avec le feu, les petits enfants sont des risque-tout, toujours sur le fil du délicieux rasoir de se perdre dans des retrouvailles perpétuelles avec le Ventre, de s’enclore de nouveau, de se diluer, de s’abolir dans les vibrations qui viennent de la gorge comme d’une poche ardente.
De ce côté-là, impossible de trouver plus cuisant et plus accueillant à la fois que la berceuse absurde et effrayante du chant de mort d’Isolde. Le coeur de la petite se met à battre dans sa tête, elle est saisie d’une sorte de vertige, sa bouche s’entrouvre sur ses incisives encore dentelées, et en même temps une énorme tranquillité. La chambre s’obscurcit, elle est heureuse comme si elle était déjà morte. Son petit lit, la fenêtre, le coffre à poupées, le chien Zapf, elle ne les voit pas de ses yeux, c’est une voix, une voix douloureuse et très haute qui suscite en elle ces images, une voix captivante où il n’y a rien à comprendre, dont il n’y a rien à conclure.
Le temps ne passe plus. Le temps est figé. La petite s’est dessiné une montre sur le poignet. Le temps égrène des minutes de chair pure. Car la voix qui monte de ses fonds a été créée pour altérer, séduire, empoisonner, pour tuer sans laisser de traces. Elle la fait tomber à genoux avec un coup au coeur, et malgré tout pleurant de pures larmes de plaisir insensé et de joie."

Le point de vue de l'auteur
La voix humaine reste un grand mystère. Qu’est-ce que cette vapeur qui séduit ? Qu’est-ce que cette chose sexuée que nous proférons, cette pulsion de vie ou de mort que nous portons sous forme d’ondes physiques, vibratoires et tactiles, au devant de nous, vers les autres ? Comment les Sirènes tuaient-elles ?
Pascal Quignard est l’un des auteurs qui a le plus profondément traité de la voix. De plus, il est à mes yeux un lien irremplaçable entre la littérature ancienne, dont nous n’avons pas encore entendu tous les mythes, toutes les énigmes et les épaisseurs de sens, et notre époque qui semble avoir perdu le contact avec un certain obscur. Avec Boutès (Galilée, 2008), Quignard a rappelé qu’il y a une autre approche du chant des Sirènes que celle, biaisée, méfiante, rationnelle, trop rusée, trop intelligente, d’Ulysse. On sait que les navigateurs qui passaient le long d’une certaine côte bouchaient leur oreilles avec de la cire pour ne pas périr d’avoir été attirés par le chant des Sirènes. Même Orphée, le musicien, n’avait rien voulu entendre d’elles. Ulysse le premier souhaita écouter leur chant, avec les précautions qu’on sait. Seul Boutès sauta, dit Quignard.
Je ne connaissais pas Boutès. Mais aussitôt rencontré par la lecture, je n’ai eu de cesse d’écrire un livre sur la voix chantée, un autre livre sur la voix, devrais-je dire puisque La Chambre d’écho (Le Seuil, 2001) est déjà l’histoire d’une relation amoureuse devenue exclusivement téléphonique et portée donc par la voix parlée, chuchotée, « haletée », « gémie », en tout cas technologiquement déformée par la liaison téléphonique.
Opéra sérieux est donc un roman entièrement dévolu à la voix. Elina Marsch, soprano et diva, en est l’héroïne. Orpheline, ayant perdu sa mère à la naissance, elle est élevée par les maîtresses d’un père ténor, qui « ne cessent pas de lui faire entendre la partition paradisiaque qui berce les enfants dans l’unique membrane des ventres, son toucher immatériel, son art d’effleurer, son contact plus léger qu’une tangence. Nuit et jour la maison résonne des sons minces et graciles de leur voix de tête penchée sur le petit lit, que la gosse s’empresse de convertir en l’appel fascinant du ventre de la morte, sachant bien qu’elle joue avec le feu, les petits enfants sont des risque-tout, toujours sur le fil du délicieux rasoir de se perdre dans des retrouvailles perpétuelles avec le Ventre, de s’enclore de nouveau, de se diluer, de s’abolir dans les vibrations qui viennent de la gorge comme d’une poche ardente. De ce côté-là, impossible de trouver plus cuisant et plus accueillant à la fois que la berceuse absurde et effrayante du chant de mort d’Isolde. »
Car les cantatrices sont évidemment des Sirènes, et aucun Ulysse ne se rend jamais à l’opéra. En revanche, celles et ceux qui sont assis à la Scala sont tous des Boutès, fous de cette très ancienne aimantation sonore, et « totalement irréciproque », des corps ! Chez la Reine de la Nuit, comme chez les Sirènes, la voix domine la parole et la rend secondaire, la voix désintègre la signification des paroles. Et nous met en danger. Créatures du liquide amniotique maternel, les Sirènes de tous bords invitent à une régression infantile, à une dissolution dans la béatitude de notre préhistoire. Car la voix, en tant que réalité sonore, est toujours une transition, un lien, de soi à soi et de soi à l’autre, et en cela un violent activateur des investissements de l’imaginaire. La voix apparaît dans ce cri poussé par l’enfant à la naissance. Elle apparaît avec son premier souffle, le voilà physiquement séparé, entité propre. Mais en remplacement de ce cordon ombilical rompu s’inscrit tout de suite un autre type de cordon, plus immatériel, la voix. La voix devient un cordon ombilical symbolique. Chez le mélomane, l’inclusion sonore prendra le relais de l’inclusion par le ventre maternel. On peut mourir d’écouter à l’état pur !

 

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Entretien sur les voix, la pratique de la musique, le goût de la radio, avec quelques anecdotes à propos de la genèse d'Opéra sérieux

Pourquoi cette thématique de la voix ?

Tout ce qui est lié à la voix m'intéresse énormément : que ce soit la voix naturelle ou la voix amplifiée, samplée, retravaillée par l’électronique ; les parlers, toutes les sortes de chuchoter, le fredon, la résonance, la voix de tête, de nez, de poitrine ou la voix perçue dans la vie foetale. La voix est le phénomène le plus riche du monde. Elle véhicule du psychanalytique, du musical, du poétique, de l’affectif, du politique, de l’esthétique, du littéraire, du rhétorique, du sexuel, et toute la joie du corps aussi, la joie de bien respirer, de bien articuler sa vie. Le bonheur de se vider, puisque seule l’expiration produit la voix. La voix humaine reste un grand mystère. Notre larynx est un objet éminemment sexuel. Qu’est-ce que cette vapeur qui séduit ? Qu’est-ce que cette chose sexuée que nous proférons, cette pulsion de vie ou de mort que nous portons sous forme d’ondes physiques, vibratoires et tactiles, au devant de nous, vers les autres ?

Aux premières pages du roman, vous vous saisissez du romanesque du premier cri. Pourquoi ?
Opéra sérieux commence à la naissance d’Elina Marsch, à son premier cri, qui s’élève à l’unisson du chant d’une cantatrice, sur la scène de l’opéra de Brno, de l’autre côté de la rue. Ce qu’il y a dans le premier cri me parle infiniment, c’est ce premier cri que le chant retravaillera sans cesse. Notre premier cri, c’est l’angoisse la plus originelle, on est soudain arraché au milieu aquatique dans le même étrange saut par lequel autrefois des êtres vivants sont sortis de leur milieu primitif, et sont passés dans l’air. On rejoue la scène de l’évolution. En émergeant à ce monde où il doit respirer, le nouveau-né est d’abord littéralement étouffé, suffoqué. C’est ce qu’on a appelé le trauma — il n’y en a pas d’autre —, le trauma de la naissance, qui n’est pas séparation d’avec la mère, mais aspiration en soi d’un milieu foncièrement Autre, dit Jacques Lacan, dans le Séminaire sur l’angoisse. Le traumatisme de la naissance est donc moins l’horreur d’une expulsion dans un monde inconnu, hors de la chaleur de l’univers matriciel, que l’étouffement, la suffocation, l’invasion au plus profond de l’être de ce qui lui est d’abord radicalement étranger : l’air à respirer. L’angoisse est une affaire de souffle. Et le chant aussi. C’est pourquoi j’ai voulu les lier intimement dans ce roman.

Elina Marsch est-elle une Sirène, capable de tuer ?
Les Sirènes sont ces êtres intermédiaires, qui ne sont jamais tout à fait sortis de l’eau, et jamais tout à fait brutalement emplis d’air, comme nous. Elina Marsch est en effet un genre de Sirène, pas tout à fait de ce monde. Le chant d’Elina Marsch est, à mes yeux, notre première expiration, notre premier cri, contenant tout l’effroi de venir au monde. Le chant est toujours une expiration. Le premier cri est l’expiration héroïque de cette première goulée d’air, hallucinante. Mais, malgré sa folie, le chant d'Elina Marsch est surtout l’exercice de la voix comme bonheur d’être dans l’air, comme acceptation cette fois de ce Tout-Autre. Chanter c’est oser faire de la glisse sur le Tout-Autre !

La voix est-elle notre identité ?
Oui, ma voix c’est moi. Une laryngite défigure bien plus sûrement qu’un pansement sur l’oeil. Même pour une artiste comme Orlan, dont le visage est indéfiniment défiguré, refiguré et remaniable, hybride, la voix en revanche est intouchable. Elle dit : «L’image que j’ai de moi a toujours été basée sur ma voix. J’ai une voix très spéciale, qui vibre à l’intérieur. Elle m’apporte une grande sécurité, et je ne la changerai jamais.»
C’est vrai que notre voix nous apporte la sécurité. Elle crée autour de nous une bulle, un igloo, une petite cabane. Elle figure le volume qui nous est nécessaire pour vivre.
Au fond les vrais hybrides, bien plus qu’Orlan, sont ceux qui ont réellement un corps extraordinaire et artificiel, sont les laryngectomisés. Eux ne trichent pas, leur voix vient vraiment de leur estomac, leur parole est oesophagienne : après l’intervention chirurgicale, Georges Perros ne disait plus « lire » un texte, mais « roter des pièces de Molière ». Il faut beaucoup réfléchir à cela. À cette santé et cet équilibre absolu que représente notre voix.

Chantez-vous ?
J’ai reçu une éducation musicale, depuis ma toute petite enfance. Flûte basse à la cathédrale de Metz dans une Cantate 147 inoubliable ! Puis à partir de treize ans, Conservatoire de Montpellier pour la flûte alto. Mais peu de passion et absolument pas le goût de me produire en public ! Et surtout j’étais une interprète médiocre, incapable de m’améliorer par la répétition du morceau, parce que j’inventais toujours autre chose. Je n’ai jamais réussi à NE jouer QUE ce qui était inscrit sur la partition. Le machinal m’effrayait, ce savoir mécanique me faisait fuir. Mais ce qui me reste et ce qui compte aujourd’hui, c’est que j’ai appris ces langues que sont l’harmonie, le solfège, ces syntaxes très particulières et qu’on n’oublie jamais quand on écrit. Et puis mon adolescence a été affectivement meublée et soutenue par mes cahiers de guitare. Des partitions recopiées, des paroles de chanson avec les accords correspondants écrits au-dessus des mots en rouge. Ça me parle encore aujourd’hui, quand j’écris une phrase, il m’arrive de me demander si je la chanterais plutôt en do mineur ou en mi majeur septième. Le mariage des mots et des accords était tout à fait naturel à cette époque. La phrase n’allait pas sans un mouvement des doigts de la main gauche se posant sur les cordes. La guitare m’a apporté vraiment beaucoup de réconfort. Très tard encore, vers trente ans, je possédais une dizaine de guitares, amplifiées ou non. J’avais joué sur scène au festival de rock méditerranéen organisé dans l’Hérault, un petit blues, avec mon groupe, Quidam. J’ai abondamment raconté ces expériences dans un recueil de nouvelles pour la jeunesse, aujourd’hui épuisé, qui s’intitulait Solos.
J’ai aussi été choriste, adolescente. Je me suis même produite avec les Cantarelles en concert à l’Opéra-Comédie de Montpellier, avec un répertoire de chansons plutôt folkloriques. J’en garde un souvenir à la fois embarrassé (il y avait un uniforme, une jupe longue !) et ébloui.
Le choeur est une magnifique utopie, une cité idéale, sans hiérarchie et en harmonie totale. Chaque voix n’a d’importance que portée et soulevée par les autres. Et il y a des moments très intenses, quand une note se forme, une note énorme qui vrille les tympans, et qui est composée de toutes les voix des autres. C’est l’acmé du plaisir de chanter.

Y a-t-il une littérature du chant, dont vous vous seriez inspirée pour Opéra sérieux ?
Le texte qui m’a touchée, c’est Une mémoire démentielle, de Louis René des Forêts, dans le recueil La chambre des enfants. C’est la première fois que je lisais un texte sur la voix. Un vrai texte, je veux dire. Non pas de ces évocations qui utilisent le vocabulaire des critiques musicaux, avec des qualificatifs éculés désignant la voix : lumineuse, puissante, froide, timbre affligé d’un vibrato trop accentué, timbre sans véritable séduction, velouté, rondeur, un médium robuste, la couleur sensuelle, une ligné savamment modulée, les sons manquent d’éclat ! Non, Louis René des Forêts entre dans la tête de son enfant choriste, dans sa piété, dans la découverte extraordinaire de la ferveur, dans la spiritualisation de la pulsion, quand sa voix survole à présent de très haut le choeur, avec des mots très différents. Et il se demande comment « comment une circonstance aussi ordinaire (le chant collectif qui est de pure routine dans une maisons d’éducation chrétienne) a pu produire un effet aussi décisif ? » Cela, je l’ai vécu aussi, dans mon corps, à l’école. Expérience irremplaçable.
Pascal Quignard a beaucoup écrit sur la musique. J'avais découvert avec passion ses réflexions sur la mue masculine. Il prétend que s'il y a si peu de femmes compositeurs, c'est qu'elles naissent et meurent dans le même soprano indestructible, tandis que le garçon, lui, connaît les affres de la mue, et la perte de son aigu… Avec Boutès, Quignard a rappelé qu’il y a une autre approche du chant des Sirènes que celle, biaisée, méfiante, rationnelle, trop rusée, trop intelligente, d’Ulysse. On sait que les navigateurs qui passaient le long d’une certaine côte bouchaient leur oreilles avec de la cire pour ne pas périr d’avoir été attirés par le chant des Sirènes. Même Orphée, le musicien, n’avait rien voulu entendre d’elles. Ulysse le premier souhaita écouter leur chant, avec les précautions qu’on sait. Seul Boutès sauta, dit Quignard. Je ne connaissais pas Boutès. Mais aussitôt rencontré par la lecture, je n’ai eu de cesse d’écrire un livre sur la voix chantée, un autre livre sur la voix, devrais-je dire puisque La Chambre d’écho (Le Seuil, 2001) est déjà l’histoire d’une relation amoureuse devenue exclusivement téléphonique et portée donc par la voix parlée, voire chuchotée, « haletée », « gémie », en tout cas technologiquement déformée par la liaison téléphonique.
Car les cantatrices sont évidemment des Sirènes, et aucun Ulysse ne se rend jamais à l’opéra. En revanche, celles et ceux qui sont assis à la Scala sont tous des Boutès, fous de cette très ancienne aimantation sonore, et « totalement irréciproque », des corps ! Chez la Reine de la Nuit, comme chez les Sirènes, la voix domine la parole et la rend secondaire, la voix désintègre la signification des paroles. Et nous met en danger. Créatures du liquide amniotique maternel, les Sirènes de tous bords invitent à une régression infantile, à une dissolution dans la béatitude de notre préhistoire. Car la voix, en tant que réalité sonore, est toujours une transition, un lien, de soi à soi et de soi à l’autre, et en cela un violent activateur des investissements de l’imaginaire. La voix apparaît dans ce cri poussé par l’enfant à la naissance. Elle apparaît avec son premier souffle, le voilà physiquement séparé, entité propre. Mais en remplacement de ce cordon ombilical rompu s’inscrit tout de suite un autre type de cordon, plus immatériel, la voix. La voix devient un cordon ombilical symbolique. Chez le mélomane, l’inclusion sonore prendra le relais de l’inclusion par le ventre maternel.

Quel(s) opéra(s) écoutez-vous ?
Je n’aime pas les rossignols, ni les voix ornées. En fait, ma diva, dans Opéra sérieux, est une espèce d’hybride des quelques grands personnages de la scène lyrique qui m’accompagnent. Yma Sumac, dont j’avais entendu le nom pour la première fois adolescente dans une chanson de Françoise Hardy, et puis Marian Anderson, une contralto. Et puis la Malibran. J’ai été fascinée par l’histoire de l’éducation de Maria Malibran, formée par son père. La Malibran était un mezzo-soprano, avec une voix étonnante de puissance et de flexibilité. Elle était née en 1808, fille aînée du célèbre ténor espagnol Manuel García, créateur du rôle d’Almaviva, dans le Barbier de Séville de Rossini. Elle débuta sur scène à l'âge de six ans, puis étudia le chant avec son père, qui lui imposa un entraînement impitoyable. Terrorisée, elle atteint, dit la légende, à la perfection, mais traumatisée par les tortures paternelles elle considérera toujours sa propre voix comme un ennemi à soumettre. C’est un peu que j’ai repris dans Opéra sérieux. La voix d’Elina Marsch lui échappe. Elle lui est très extérieure, très étrangère. De quoi alimenter sa folie. Faire travailler quelqu’un, soumettre sa voix, c’est du biopouvoir, de la biopolitique. Dans Opéra sérieux, j’écris que Elina Marsch n’est pas le seul filon d’or sur le marché. Elle sympathise avec des fillettes dont les parents surveillent jalousement la gorge, en espérant qu’elles deviendront un jour des divas, veillant à la croissance de leur larynx, sans cesse visité, comme à leurs seins, et beaucoup plus qu’à leurs seins. Le larynx est l’organe sexuel qui donne au chant toute sa personnalité, une petite concavité imbibée d’hormones attisées, à qui il faut éviter tout forçage et toute distension, exactement comme un hymen. Les petites choristes se sont plus souvent rendues chez le laryngologue que chez le gynécologue. On a même accusé de viol un professeur qui faisait chanter trop aigu. La soeur aînée du ténor Marsch, installée à Bristol, est féministe. Elle affirme que, dans moins de trente ans, la race des divas se sera éteinte, les femmes auront enfin eu la force de refuser l’exploitation des cartilages de leur gorge comme objets sexuels.
Chez les hommes, j’aime les voix extrêmes, basse ou falsettiste. La voie avait été ouverte, dès la fin 1940, par Alfred Deller, qui, le premier, avait remis à l'honneur l'art délicat du falsetto. En n'utilisant que partiellement les possibilités des cordes vocales, cette technique de chant parvient à obtenir, au prix d'un volume sonore réduit et d'une moindre richesse de timbre, un aigu d'une pureté irréelle et des vocalises d'une légèreté divine. Grâce à Deller va émerger une première génération de falsettistes – pour lesquels les notes élevées n'appartiennent pas au registre habituel de leur organe – et de contre-ténors – leur voix naturelle est celle d'un ténor léger –, spécialités communément regroupées sous l'appellation de haute-contre.

De qui d'autre vous êtes-vous inspirée pour le personnage d’Elina Marsch ?
Elina Marsch, née en 1926, est une cantatrice hybride, formée de bribes de la vie des cantatrices nées autour des années 1920, et que j’admire. Renata Tebaldi, Teresa Stich-Randall, Joan Sutherland, Christa Ludwig, Régine Crispin, Marilyn Horne, Victoria de Los Angeles…
Dans les voix travaillées de l’opéra, mes préférées sont les excentriques, celles qui se détournent de leur but, qui évitent le bel canto. Par exemple celle de Cathy Berberian, qui s’est attaquée, avec son compagnon compositeur Luciano Berio, à l'utilisation académique de la voix, pour explorer le domaine des cris et des chuchotements, explorer toutes les possibilités de la voix humaine, toute l'étendue des capacités expressives de la voix : bruits, onomatopées, claquements de la langue sur le palais, claquements des lèvres, voix parlée, Sprechgesang, voix chuchotée, cris, rires, résonances diverses de la cavité buccale... Je recommande l’écoute de Stripsody, de Cathy Berberian. La partition ressemble à une bande dessinée. Et l’album The many voices of Cathy Berberian. Dans MagnifiCathy, elle interprète des chansons des Beatles. J’aime toute particulièrement sa reprise de A ticket to ride de McCartney et Lennon.
Berberian tire profit de l'intégralité des sons que la voix peut produire, libérant un matériau d'une richesse et d'une sonorité étonnantes, où le cri, le rire et les interjections se combinent en un nouveau langage d'une grande puissance dramatique. Elle recourt aussi bien à des mots inventés qu'à des éclats de mots, inventant le parlando susurré alterné avec des gémissements lointains, le tout semblant émaner d'une voix désincarnée. Un prodigieux foisonnement sonore avec cependant des éléments traditionnels : trilles, trémolos, ornements, et aussi des imitations d’instrument : glissandos, sforzandos à l'intérieur d'un son, auxquels Berio lui fait ajouter des effets plus inattendus : tapements de main sur la bouche, claquements de langue ou de bouche. Sans compter la palette des rires. Ce théâtre parlé-chanté m’a beaucoup inspirée pour Opéra sérieux. Mêle si Elina Marsch chante surtout des airs communs (excepté Schönberg), elle vient tout de même, dans ma tête, de lieux beaucoup plus excentriques et contemporains !
Dans la tradition du bel canto, j’aime beaucoup Teresa Stich Randall, une soprano mozartienne, la coqueluche de Arturo Toscanini. J’admire vraiment la froideur désincarnée de son chant, une voix totalement épurée, presque abstraite. Ni colorations, ni nuances, translucide, pas d’émotion ni vibrato, c’est la voix la plus humaine que je connaisse, lavée de la saleté affective, comme disait Alice, l’héroïne de Son corps extrême ! Elle a chanté Pamina, la fille de la Reine de la Nuit, dans la Flûte enchantée, son air le plus célèbre est Ach, ich fühl’s, es ist verschwunden, littéralement Ah je le sens, elle est évanouie, à jamais évanouie la joie de l’amour. C’est un air de tristesse et de chagrin. Pamina croit que Tamino ne veut plus lui parler. En vérité il a fait voeu de silence. La voix contre le silence obstiné de l’autre. Parler à quelqu’un qui ne répond pas. Chanter vers ce qui ne répond pas. C’est ce qu’il y a de plus beau !

Quelles voix préférez-vous ?
Sans doute la voix parlée. La fabrication actuelle des voix chantées a été saisie par le sport, le chant est un sport de compétition. Aux voix muscularisés des athlètes quasi olympiques de la scène s’oppose la puissance vitale de la voix parlée, discrète dans ses prestations, déroutante dans ses succès, soucieuse de ne rien offrir de trop voyant.
Sur la scène de l’opéra, les voix sont devenues martiales, victimes d’un entraînement sportif fondé sur la souffrance et sur des exercices souvent localisés à des groupes musculaires précis, et opérant par séries et comptages, à la manière d’une chaîne de montage, abdominaux, diaphragme, etc. À l’inverse de l’art chinois de « nourrir sa vie », qui préserve la santé et exalte les énergies, en évitant soigneusement la dépense immodérée et l’exténuation physique, l’entraînement du corps en Occident oblige les athlètes (vocaux comme sportifs) à se développer d’une façon absolument contraire à l’entretien de la vitalité. C’est que ce sport-là empêche le sujet de s’oublier peu à peu en redevenant pure activité spontanée, en confondant son naturel à la grande Nature.
Le sport occidental comme l’opéra occidental est toujours un forçage. Il y a bien plus de calme dans une belle voix parlée.
J’ai un rapport très fort à la radio. Depuis que j’ai vingt ans, c’est-à-dire depuis bientôt trente ans, j’ai écouté France Culture quasiment toute la journée. Ce n’est pas tellement le contenu, c’est que ces voix me nourrissaient. Et pas n’importe quelles voix. Mais des voix capables de dire quelque chose avec une singularité particulière, bien différentes, ces voix, des sirops sans sucre qu’on entend sur les autres radios. Des voix qui pensent en parlant, des voix intelligentes, dans lesquelles est passée l’énergie du chercheur. J’aime tout ce qu’il y a dans ces voix et dont j’avais fait personnellement l’expérience, en passant de l’autre côté du micro, avant 2000, quand j’étais productrice de ma petite émission sur France Culture, la Comédie des mots.
L’écoute de la radio (d’une certaine radio créative) s’apparente à l’acousmatique de Pierre Schaeffer, c’est une écoute invisible. Il paraît que Pythagore a imaginé un dispositif original d'écoute attentive, en se plaçant derrière un rideau pour enseigner à ses disciples, dans le noir, et dans le silence le plus rigoureux. Cela développait ainsi la technique de concentration de ses disciples. C’est l’effet que me faisait France Culture, quand j’avais vingt ans. C’est bon de ne pas voir les visages. La suppression des supports donnés par la vue pour identifier les sources sonores est parfois essentielle. Nous découvrons que beaucoup de ce que nous croyions entendre n'était en réalité que vu, et expliqué, par le contexte. L’écoute en aveugle révèle des choses nouvelles. Et puis écouter une voix à la radio met en garde contre le jugement hâtif porté sur autrui, en se fondant uniquement sur l’appréhension extérieure de son corps. Sans doute, en tous temps, faut-il se garder de (mal) juger le corps de l’autre ou de tenter d’en déduire quoi que ce soit à propos de son intériorité. La voix en dit énormément sur l’intériorité, bien plus que le corps !

Lire à voix haute, est-ce si différent de chanter ?
Le lien entre la voix et le littéraire, quand il passe par la lecture à voix haute est vraiment à travailler.
En 1958, le chapitre IX, « Les Sirènes », d'Ulysse de James Joyce, avait inspiré à Berio une pièce électroacoustique : entièrement composée à partir d'éléments provenant de la voix de Cathy Berberian. Thema, Omaggio a Joyce résulte d'une élaboration sonore extrêmement complexe. Les premières étapes de ce travail ont consisté en de simples lectures du texte, soit dans sa version anglaise originale, soit dans ses traductions française et italienne. Puis, par des lectures à plusieurs voix plus ou moins désynchronisées, les différentes langues ont été réunies dans un contrepoint vocal générant de multiples correspondances musicales.
Mais j’adore aussi la lecture simple à voix haute, celle qui soigne. La lecture à voix haute, qu’on soit seul ou en public, est une évasion nécessaire pour acquérir une vie intérieure à la fois intense et secrète, et surtout hautement réparatrice. Quand la maladie ou la grande vieillesse fait de votre corps un corps-machine qui ne fonctionne plus et vous plonge dans le noir, la lecture à voix haute réinsuffle dans cette machine défaillante du souffle, du désir et du sens. Jusqu’au bout en tout cas, tant que la douleur peut être tenue en respect, cette littérature du souffle vous relie à la communauté des très grands vivants, alors qu’on est réduit par la biomédecine à un corps suspect et brutalement exclu du monde par des expériences intimes, comme le vieillissement ou la solitude, qui isolent et terrifient.
De toute façon, tout écrivain chante, on chante toujours quand on pense, des mouvements involontaires du larynx accompagnent toujours la pensée.
Au commencement étaient les pleureuses : balancements du corps, manoeuvres articulatoires des gémissements. Au commencement étaient les poèmes confiés à la mémoire musculaire des lèvres, des palais, des gorges, des diaphragmes. Les rhapsodes, dans leurs improvisations, à la fois attendues et créatrices, les endeuillés, les enfants, tous se balançaient. On se balançait, les mouvements du corps soutenant les tours de la langue. C’est ce rythme musculaire, mémoire des fibres contractiles, qui est le support des longs poèmes de l’épopée. Cette sensation d’aisance, de parfaite liberté donnée par les souples mouvements de muscles entraînés, exalte, augmente les forces de l’être tout entier. Le prophète et le rhapsode éprouvent des jouissances buccales quand les mots leur emplissent la bouche. Plaisir musculaire de la diction, mais aussi tactile et gustatif.
Et même quand le flot des paroles cesse de jaillir, quand le poète s’assied, quand après avoir tourné longtemps autour des mots, qu’il les confie à l’écriture, il parle encore, d’une parole intérieure, qui n’est pas simplement mentale. Il articule ses mots, les souffle, parfois si faiblement qu’on n’entend aucun son, ne voie qu’un léger frémissement des lèvres, d’ascension de la saillie du larynx.
Dans Son corps extrême, j’étudie la manière dont le langage se noue au corps, dont le langage, par la mise en jeu de l’inspiration/expiration, devient une activité physique intense : « Quand on ne peut pas marcher, parler c’est comme une promenade en forêt, on en est pareillement essoufflée. » Je crois en effet que lire et marcher sont des manières différentes de raconter une histoire. Pour le lecteur, les verbes d’action creusent des cratères d’impact dans la page et s’enchaînent comme des pas, faisant jaillir des étincelles de sens et des courbatures en même temps. On lit et on fait en lisant l’expérience de faits physiques. On lit à la fois des gestes et du passé simple, du sang et des virgules, de la grammaire et du cuir. La lecture essouffle physiquement, comme une vraie randonnée qu’on vivrait en conscience, tout éveil, le lecteur étant celui qui a un compas dans l’oeil, capable d’estimer les distances, l’espace, le volume, l’intensité, la pression, la vitesse et la chaleur des choses. Le lecteur, physique et physicien à la fois, devant la performance d’écriture. Un écrivain qui sait montrer est toujours un physicien. Et le lecteur qui vit dans son corps le mouvement, l’intensité, le poids et la chaleur des choses ne lit pas avec ses pupilles. De même qu’on n’assiste pas, avec les yeux, à une chorégraphie.

Vous établissez un rapport artistique entre inspiration et expiration.
Aux premières aurores du monde, les Muses étaient trois : Mnémè, la mémoire, Médété, la pratique et Aoidé, le chant. Elles engendrèrent les Sirènes, qui leur sont opposées, maîtrisant les arts de la voix, c'est-à-dire la plainte mélodieuse de l’expiration, tandis qu’elles, les Muses, règnent sur l’inspiration, qui emplit, mais ne sonne pas. L’inspiration est la phase du silence dans la voix humaine. Le cri ne s’expulse que dans la colonne d’air. L’inspiration est l’ouverture du corps dans le silence des cordes. L’inspiration est toujours sans voix.
Un prochain roman chez Actes Sud devrait traiter de cette question de l’inspiration. Pour un romancier ou un artiste aujourd’hui, qu’est-ce que l’inspiration créatrice ?

 

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L'Art-Vue, par Bernard Teulon Nouailles, avril 2012.
Opéra sérieux
"Le dernier roman de Régine Detambel, paru aux Editions Actes Sud, se présente, derrière la biographie imaginaire d’une cantatrice de l’après-guerre au succès foudroyant, comme un petit éloge de la voix. Découpé en douze parties elles-mêmes subdivisées en courts chapitres, nous sommes conviés à passer du cri initial au silence final d’une existence dramatiquement vocale. C’est en effet le récit d’une formation qui nous est proposé, avec quelques vicissitudes intimes ou historiques, et une énorme surprise en guise de dénouement. L’écrivain a détaillé, avec la minutie qu’on lui connaît, la découverte d’un monde à dominante musicale (le père de la cantatrice est un ténor célèbre), les résonances qu’il peut avoir sur le corps et l’esprit d’une éternelle enfant, l’essor du génie vocal qui ne peut confiner que dans l’extravagance ou la folie. Régine Detambel sait comme personne conjuguer une histoire singulière à l’environnement qui la baigne et qui est constitué de multiples petits détails la rendant crédible aux yeux du lecteur. Au demeurant, ce petit récit de vie est plein de morceaux de bravoure dont l’auteure d’Opéra sérieux (par opposition à Opéra-Bouffe, on suppose) a le secret et dont la naissance de l’héroïne n’est que la première étape, époustouflante et haletante. C’est qu’il n’est pas de voix, ni de vie sans la présence du souffle, et Dieu sait s’il inspire notre plus grand écrivain régional, qui sera évidemment présente à la Comédie du livre".
© Bernard Teulon-Nouailles

 



MyBoox, par Noémie Sudre, 4 avril 2012.
Régine Detambel : la musique en héritage
Dans son nouveau roman, Opéra sérieux (Actes sud), Régine Detambel interroge le mystère de la voix à travers le destin d’une jeune diva hantée par la musique et la mort de sa mère à sa naissance.
- L’auteur en un clin d’œil
: Régine Detambel est kinésithérapeute de formation et écrit depuis plus de vingt ans.
- Pourquoi on aime
: Elina Marsch, l’héroïne d'Opéra sérieux, le dernier roman de Régine Detambel, naît à la minute où résonne la dernière note d’un concerto dans lequel triomphe son père, ténor préféré du compositeur Janacek. Sur cette phrase musicale et le cri du nouveau-né sa mère expire. La petite Elina sera marquée à vie, comme au fer rouge, du sceau de la musique et du deuil de cette jeune soprano qu’elle n’a jamais connue. Plus elle grandit plus le son qui l’a accueillie dans ce monde – cette "musique à écouter avec les os" - germe en elle, la façonne, l’exalte, la trouble, l’affecte littéralement et préside à sa vocation. Elina poursuit son apprentissage aux Etats-Unis où sa famille s’est exilée pendant la Seconde Guerre Mondiale et devient une grande diva admirée de tous.
Après Son corps extrême, Régine Detambel poursuit son exploration des expressions et des évolutions du corps à travers la question de la voix. S’il présente des points, des majuscules et des virgules, son texte semble pourtant dit dans un souffle, et se place à l’origine des sons, au creux du bruissement de l’orchestre qui s’accorde. Cet opéra qu’elle nous joue est "sérieux" parce qu’il pèse, parce qu’il sort autant des cordes vocales que des tripes et du cerveau. Régine Detambel se réclame de la tradition romanesque proustienne théorisée dans La Recherche avec la sonate de Vinteuil : le son est une chose matérielle qui provoque des sensations et évoque des souvenirs – au même titre que la fameuse petite madeleine. L’auteur creuse aussi le sillon des théories de Pascal Quignard sur la voix et les expressions corporelles et cet Opéra sérieux allonge la liste des romans sur la musique parmi lesquels Moderato Cantabile de Marguerite Duras, La Contrebasse de Patrick Süskind et Les variations Goldberg de Nancy Huston.
- Le regard critique : Le style de Régine Detambel est érudit et poétique : il peut autant séduire que dérouter les lecteurs débutants. Il faut s’abandonner à cette écriture. Si réalisme il y a dans ce texte, il est plus à chercher du côté du mimétisme - les phrases sont autant de mélodies et d’impressions – que dans le récit même.
- La page à corner
: "Une heure de concert vaut une vie entière dans le ventre d’un tambour nègre. Le brassage, le vannage du corps, le tannage de la chair et des viscères par les millions de mouvements d’ondes, lents ou rapides, que les parois de la salle se renvoient les unes les autres, dans de grands élans de trampoline, expliquent assez bien, en plus du plaisir d’ordre purement musical, cet état d’exaltation, d’extase, d’écrasement, d’égarement, où se trouve toujours Elina à la fin d’un concert. Elle titube dans l’allée centrale, avec la crainte de tomber. La musique la rend folle mais en même temps elle la tient, elle la porte, en l’assurant que le deuil n’est qu’une propédeutique au plaisir et qu’il faudrait perdre cent fois sa mère pour pouvoir se délecter sans fin des douceurs de la tristesse". (p. 28)
© Noémie Sudre

 



Le Canard enchaîné, par Igor Capel, 4 avril 2012.
Voix de détresse
Dans Opéra sérieux (Actes Sud), Régine Detambel nous raconte l'histoire d'une petite fille cruelle devenue une redoutable diva.
"Il neige sur Brno, ce 18 décembre 1926, quand trois grands cris soudain percent la nuit. A l'opéra, une cantatrice vient d'expirer sur scène, tandis qu'à l'hôpital, non loin de là, une de ses consoeurs meurt en accouchant, les hurlements du nouveau-né couvrant aussitôt son dernier râle. Trois cris, comme les trois coups avant le lever de rideau, qui font de la vie d'Elina Marsch un destin — une affaire de pacte amoureux avec la voix qui se transforme en jeu dangereux avec la mort. 
Car cette Elina n'est pas seulement la fille d'une cantatrice morte en couches, son père est 'le ténor préféré de Janacek' (il chantait le soir du drame), et c'est avec lui, et ses nombreuses maîtresses (ces 'divas maquillées'), qu'elle va grandir, dans le souvenir de sa funeste naissance. Et donc s'initier, malgré elle, au culte de la voix, en mémorisant tout ce qui se chante autour d'elle (Madame Butterfly et Tosca, notamment, deux femmes qui se suicident sur scène), ce qui a d'abord pour effet de la rendre mutique.
Une nouvelle liaison paternelle aide néanmoins ce 'petit monstre taciturne' à se libérer, et à 'accueillir les oiseaux' qui chantent dans sa tête. Elle assiste aux représentations du grand ténor, erre dans les sous-sols de l'opéra, elle s'aménage un recoin secret dans leur maison, où elle se cache en ruminant de noirs desseins, puis prend des cours de chant (un exercice parmi d'autres : vocaliser devant une bougie sans que la flamme vacille). Encore quelques migraines, quelques mystérieuses disparitions d'enfants autour d'elle, puis l'arrivée de ses premières règles, et la voici sur le point d'emprunter la voie royale, quand commencent les persécutions contre les Juifs. La famille Marsch émigre aux Etats-Unis.
Ce qui se joue alors, dans cet arrachement, c'est la 'mue' d'Elina. Elle a les dons, la culture (elle a compris que les livrets d'opéra étaient des 'recettes de cruauté'), elle sait qu''une prima donna doit produire sept succès par an et sept scandales', mais elle n'a pas de corps. Elle ne connaît pas son larynx, qui est 'l'organe sexuel du chant', et ne mesure donc pas les pouvoirs de la voix féminine, dont les hommes font commerce. Avant d'entrer dans le choeur des Sirènes (ces oiseaux à tête de femme qui attirent les naufragés pour les dévorer) et 'tuer sans laisser de traces', Elina a encore beaucoup à apprendre.
Outre la langue de l'Oncle Sam, qui 'oblige à s'exprimer avec une sorte d'affectation joviale', et les secrets de son sexe, elle doit apprendre à placer ses aigus avec la grande wagnérienne Kirsten Flagstad pour atteindre cette 'voix de cristal' sans laquelle on ne fait pas carrière. Elle va surtout devoir tourner la page de son encombrant père, qui, rongé de jalousie devant les dons de sa fille, en perd peu à peu les siens, avant de succomber, puisqu'il est 'impossible d'être deux' à vouloir incarner incarner sous le même toit 'la voix absolue'. Elina Marsch peut maintenant accomplir son destin de tragédienne — et de criminelle.
Ce destin, Régine Detambel l'accompagne en musicienne, elle aussi capable d'entendre, au quart de ton près, ce chant des Sirènes qui s'est insidieusement glissé dans l'oreille de son héroïne. Sans se laisser dominer ni 'empoisonner' par son personnage, elle parvient à composer, dans une forme libre et ramassée, et dans une langue tout en nuances, un puissant conte cruel… qui ferait un excellent livret d'opéra." 
© Igor Capel

 



La Gazette de Montpellier, par Valérie Hernandez, 4 avril 2012.
Vie et mort d'une diva : Ecrivaine montpelliéraine, Régine Detambel publie Opéra sérieux, un livre virtuose sur la voix à travers le destin d'une diva imaginaire, Elina Marsch
"'En surface il neige âprement mais sous sa ligne de flottaison la ville est musicale par la grâce de ses égouts…' Cela commence par une longue phrase où l'on reconnaît bien le goût des vocalises de la Montpelliéraine Régine Detambel. Son dernier roman, Opéra sérieux, démarre par le cri d'un bébé 'contenant tout l'effroi de venir au monde' qui deviendra diva, l'une de ces idoles fragiles aux bras blancs, tout en poumons et en tissus luxueux.
Née en 1926. Pour ce nouveau titre, Régine Detambel a inventé une chanteuse, un mythe : Elina Marsch, née en 1926. Une 'cantatrice hybride, formée des bribes de la vie des cantatrices nées autour des années 1920, et que j'admire : Renata Tebaldi, Teresa Stich Randall, Joan Sutherland, Christa Ludwig, Régine Crespin, Marilyn Horne, Victoria de Los Angeles…'. On la savait flûtiste et guitariste, Régine Detambel livre un court texte époustouflant sur les ravages du bel canto à travers la vie de l'imaginaire Elina Marsch, 'fille du ténor préféré du compositeur Janacek'. C'est l'aveu, jamais autant exprimé dans une oeuvre pourtant très abondante, d'une grande fascination pour la musique qui 'entraîne un désir des choses inexistantes'.
Solitude d'une enfant qui 'grandit entre le spectre de la défunte [sa mère] et un père aimant qui collectionne les maîtresses, toutes cantatrices'. Fuite de la famille juive pendant la guerre en Amérique, puis retour à Zürich. Gloire foudroyante puis mort étrange.
Cette vapeur qui séduit. Dans ce livre sur le pouvoir de la voix ('qu'est-ce que cette vapeur qui séduit ?'), le don est à double tranchant. La diva est bien cette sirène coupable de 'cette très ancienne aimantation sonore, totalement irréciproque, des corps !'. Mais la voix n'est pas seulement ce 'bonheur d'être dans l'air', elle est indissociable du drame et de l'angoisse. 'Madame Butterfly a commencé par un contre-ré qui est la note la plus aiguë que Puccini ait jamais écrite pour une soprano. Cette note s'est frayé un chemin dans le cerveau de la petite et il est vraisemblable qu'elle est en train de le ravager.' Elina Marsch vivra et mourra par la voix."
© Valérie Hernandez

 



Entretien avec Christophe Bourseiller, Matinales de France Musique, 18 avril 2012.
Opéra sérieux
Visionner l'entretien ici.
Ecouter l'émission ici.

 



Le Soir de Bruxelles, par Pierre Maury, 20 avril 2012.

Une voix tragique
"Transposer le chant dans l'écriture s'apparente à la quadrature du cercle. Comment les mots parviendraient-ils à faire ressentir le souffle, les mouvements intimes du corps, la mélodie ? Beaucoup d'écrivains s'y sont essayés, la plupart ont échoué. La performance de Régine Detambel dans Opéra sérieux mérite l'attention soutenue grâce à laquelle on entre avec elle en communion avec Elina Marsch, de sa naissance à sa disparition en passant par la formation, la gloire et la chute. Ce qu'on appelle un destin dramatique, secoué par les événements historiques et transfiguré par la musique. 
Quand naît Elina, son père, ténor, triomphe dans une oeuvre de Janacek et sa mère, soprano, meurt. Le bébé crie au moment où le compositeur embrasse le chanteur et où la parturiente émet un dernier souffle presque silencieux. Ouverture tragique, le 18 décembre 1926, d'un opéra qui durera toute une vie. Au cours de celle-ci, le nom juif de la famille obligera le ténor à quitter l'Europe pour les Etats-Unis et une possible nouvelle carrière, aux bras d'une autre femme, puis encore d'une autre. Car le ténor Marsch est un séducteur.
Pendant ce temps, la voix d'Elina, prometteuse mais fragile encore, soumise à l'exercice et à la discipline, s'envole progressivement vers des sommets en même temps que son corps se transforme. La petite fille devient femme, vibre à d'autres sensations que la musique — mais ne jouit qu'en bâillant, comme si seul le passage de l'air plutôt que le frottement des chairs pouvait l'amener à l'extase.
La femme se confond avec le chant. La romancière écrit d'ailleurs : 'Il n'est de voix divine que de femme.' Le ténor aura été oublié depuis longtemps qu'Elina nous transpercera encore le coeur, comme elle fait vibrer ce livre singulier. La note est tenue du début à la fin, ne variant que d'intensité comme une bougie qu'on allume et qui, un jour, s'éteindra."
© Pierre Maury
Voir également ici le blog (malgache) de Pierre Maury.

 



Entretien avec Augustin Trapenard, France Culture, 21 avril 2012.
Le Carnet d'or, une émission d'Augustin Trapenard, avec Jean Rouaud et Denis Soula
Ecouter l'émission ici.

 



Lire, par Christine Ferniot, mai 2012.
Un air irrésistible
Cet éloge de la voix décrit le destin tragique d'une cantatrice au talent exceptionnel.
"Elina est née en 1926, à l'instant même où sa mère poussait un dernier cri. Le hurlement maternel s'est joint à celui, plus intense encore, de l'enfant arraché au ventre protecteur. Puis ce fut le silence. Elina est fille d'une diva et d'un ténor. Elle a des oiseaux dans la tête qui finiront par la rendre folle. Bientôt, les présences féminines se succèdent autour de son berceau: les maîtresses de son père sont toutes des cantatrices au répertoire complémentaire et infini. Elina grandit forcément dans la musique, apprend le chant, l'usage du souffle, l'agilité vocale et les harmoniques. Elle connaît les coulisses de tous les théâtres où son père se produit, envisage ses premiers concerts, travaille et travaille encore ce muscle, cet organe, ce timbre exceptionnel qui devient toute sa vie. Berlin, Zurich, New York, l'existence d'Elina n'est qu'une succession de villes, de répétitions, de silences avant de pouvoir chanter à son tour, car l'apprentissage est long pour aller du talent vers le génie. Enfin, à vingt-cinq ans, Elina possède une voix exceptionnelle: "On a l'impression que ses cordes vocales ont des lèvres, elles articulent toutes seules à une vitesse phénoménale", écrit Régine Detambel.
Fascinée par le corps, les muscles, les organes, la peau, la romancière ne cesse d'y revenir et son éloge presque funèbre de la voix est une nouvelle étape de sa recherche littéraire. L'an dernier, Son corps extrême évoquait la renaissance d'une femme brisée après un accident. Opéra sérieux plonge dans les mystères du souffle, le premier et le dernier, celui de la jouissance ou de la terreur. Elle pare son héroïne de vêtements somptueux, de masques de théâtre, l'entraîne dans les passions les plus étranges avant d'accompagner sa chute. Ce texte est une tragédie noire où l'auteur joue avec le cristal des aigus et la chaleur des graves. Elle nous apprend à bâiller, à écouter et à entendre. Cette fable d'une intensité dramatique et d'une force poétique infinies nous dit tout de la naissance à la mort, jusqu'à l'ultime "flaque de lumière intense" qui, pour Elina, deviendra le symbole de la folie, dans un monde blanc, sourd et silencieux."
© Christine Ferniot
Voir également cet article sur le site de L'Express, sous le titre de La tragédie noire de Régine Detambel.

 



Figaro Magazine, par Paulin Césari, 4 mai 2012.
La vie au chant
« C’est l’histoire d’une sirène possédée par son chant. Elina Marsch est une enfant de la balle, fille d’un ténor et d’une soprano. Nourrie de ces histoires folles qui peuplent les livrets d’opéra, embrasée par le chant qui la ravit au monde, elle deviendra à son tour une diva adulée consumant ses auditeurs. Cette passion extatique ouvre en l’âme d’étranges blessures, car ‘la jouissance du monde tel qu’il est devient alors impossible’. L’héroïne devra donc en payer le prix.
Régine Detambel poursuit son exploration non pas du corps, mais de la chair, ce tas d’os et de viande que le verbe, c’est-à-dire ici, la voix, anime parfois à ses risques et à nos périls. La séduisante écriture de l’auteur touche autant que le chant de sa sirène et il faut s’attacher au mât afin de ne pas succomber aux envoûtantes sorcelleries engendrées par ce choeur de femmes. »
© Paulin Césari

 



La Quinzaine littéraire, par Natacha Andriamirado, 1/15 mai 2012.

Le chant des sirènes
« Il y a bien des personnages dans ce livre, porteurs de prénoms, de fonctions particulières, divas ou ténors, de vies déroutées par l’Histoire, mais à force d’écoute et de rythme permanents, un personnage hors du commun capte l’attention : la VOIX. La voix comme ‘vapeur qui séduit, chose sexuée proférée par chacun de nous, pulsion de vie ou de mort’ tournée vers les autres.
Née d’une mère diva, morte en couches et d’un père qui était le ténor préféré du compositeur tchèque Janacek, Elina Marsch grandit au son des coulisses de l’Opéra et des voix des cantatrices qui, ‘toujours le chant aux lèvres’, se succèdent dans le lit paternel. L’enfance est solitaire, et se vit dans l’écoute permanente des œuvres et de l’exaltation des passions exprimées par des airs de folie et de mort. Puis, à force de côtoyer des musiques qui entraînent ‘un désir des choses inexistantes’, la petite finit par contracter le virus : elle commence à chanter ‘sans la surcharge d’aucun savoir ni d’aucun souci de plaire‘ et son père, dont le monde se réduit à la forme d’une oreille, lui montre enfin de l’intérêt. Car sa fille, dont la voix était jusqu’à présent ‘empâtée et toujours feutrée d’une pellicule de mucus’, possède finalement un don. Tu seras une diva, ma fille.
L’apprentissage du métier est enclenché. Les cours de chant se succèdent et la jeune Elina, qui ‘n’est pas le seul filon d’or sur le marché’, côtoie des jeunes filles dont le larynx, ‘organe sexuel qui donne au chant toute sa personnalité’ se surveille comme un hymen. Menant à mal le corps pour mener à bien une carrière, la voix d’Elina finit par atteindre la divinité. Elle fascine les auditoires et s’épanouit alors au rythme de la scène, malgré les bouleversements de l’Histoire.
Mais à la fascination se substitue très vite une inquiétude. Le roman, classique de prime abord, laisse soudain filtrer une sorte de conte cruel insoupçonné de nous jusque-là : alors que des morts inexpliquées commencent à s’introduire dans les différentes parties du livre — présenté comme un livret d’opéra —, le tourment finit par nous gagner. Mais qui est véritablement Elina ? Dans le fond, sa voix sublime, forte de sa perfection, n’est-elle pas dénuée d’humanité ? A quelle espèce de perte nous conduit donc ce chant des sirènes ? Et c’est au rythme haletant d’une écriture qui ne s’égosille pas dans le souci du détail que nous tentons, tant bien que mal, de répondre à nos incertitudes. Lorsque la fin arrive, gagnés peu à peu par l’exaltation de tous ces sentiments, un désir nous gagne : réentendre de nouveau la voix d’Elina pour tenter de percer à jour ce qu’elle est véritablement… Un ‘Opéra sérieux’, de toute évidence. »
© Natacha Andriamirado

 



Page des libraires, par Emmanuelle George, Librairie Gwalarn, Lannion, avril/mai 2012.
Le chant d'une sirène
« Court et intense, le nouveau roman de Régine Detambel chante l’opéra et le mystère fascinant de la voix humaine à travers le récit du destin singulier d’une cantatrice.
En 1926, Elina Marsch pousse son premier cri au soir de la première d’un opéra où l’on salue l’immense talent de son père, ténor de renom. Sa mère, diva soprano meurt brutalement en la mettant au monde au moment même où sur scène le rideau tombe. Orpheline fragile et enfant mystérieuse, Elina grandit dans un milieu artistique. Grâce à son père et ses nombreuses maîtresses, elles aussi cantatrices célèbres, elle découvre la musique et l’opéra. Le talent en héritage, elle possède une voix exceptionnelle qui ne demande qu’à s’épanouir. De Zurich à New York, enfant, adolescente puis jeune femme, Elina suit assidûment ses cours de chant et donne ses premiers concerts. Sa voix est divine et fascine, son art la porte, mais en elle subsistent bien des ténèbres. Entre plaisir et désespoir, pour elle comme pour son auditoire, son art s’avère à la fois source de vie et de mort. Dans une langue retenue et incisive, Régine Detambel conte ici un drame fascinant et glaçant. En quelques pages et situations très évocatrices, elle nous invite à sonder les mystères de la voix, du chant, du souffle, comme autant d’expressions de notre identité et de notre corps. »
© Emmanuelle George

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Notes bibliographiques, par A.C. et L.D., mai 2012.

Opéra sérieux
« Elina naît en 1926 sur l’ultime expiration de sa mère, soprano célèbre. Ténor favori de Janacek, son père la ballade en Europe puis, fuyant les persécutions nazies, en Amérique. Naturellement bercée par le répertoire lyrique mais durement formée par l’implacable discipline du chant, Elina devient une cantatrice d’exception. L’auditoire est subjugué par cette voix singulière, sensuelle, ensorcelante, qui reflète son angoisse, son inaptitude à la vie et traduit son effroi face à un quotidien transcendé par l’imagination et les souvenirs.
On retrouve dans ce roman, divisé en courts chapitres, l’intérêt de l’auteur pour les performances anatomiques (Son corps extrême, NB septembre 2011). Elle inscrit son personnage pathétique dans une époque troublée et, par une démonstration appliquée elle décrypte le mystère de la voix, analyse celle de son héroïne tragique, alliage de grâce originelle et d’apprentissage et aussi exorcisme de traumatismes irréversibles. De nombreuses références musicales illustrent sa recherche. Mélodieuse et précise, l’écriture savante et sensible accompagne les réflexions de la romancière sur la mémoire du corps, dit la douleur de l’interprétation et trace le portrait d’une femme obsédée par la disparition.
© A.C. et L.D.

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La Gazette de Nîmes, par Michel Boissard, 3 mai 2012.
De la musique avant toute chose
"Le premier roman de Régine Detambel (1963), kinésithérapeute de formation, s'intitulait significativement L'Amputation (1990). Vingt ans après, comme en écho à l'attention portée aux victoires et défaillances du corps, il y eut ce superbe opus, Son corps extrême (2011), dont la thématique — la reconstruction physique d'une accidentée au travers du dialogue avec une victime homologue — fait émerger la place de la voix dans l'existence des êtres, maintenant approfondie dans un conte tragique, Opéra sérieux (par opposition à opéra-bouffe ?). Qu'elle dise ou se taise, parle ou chante — Cocteau en atteste avec une pièce éponyme créée en 1930 — La Voix humaine matérialise impressions vécues et sensations éprouvées dans le temps. Régine Detambel est proustienne jusqu'au bout de la plume. Elina Marsch émet son premier vagissement quand résonne la dernière note d'un opéra poussée par son père, un prestigieux ténor affectionné du compositeur tchèque Leos Janacek (1854-1928). Toute l'existence de l'orpheline — sa mère, une jeune cantatrice, meurt en couches — sera comme surdéterminée par la musique. 'De la musique avant toute chose…' (Verlaine). Si elle est absente au monde — une forme d'autisme social — Elina est transcendée par le son. Entourée par les successives maîtresses de son père, elles aussi chanteuses, l'enfant, puis la jeune fille, enfin la jeune femme, connaît à la fin de chaque concert 'un état d'exaltation, d'extase, d'écrasement, d'égarement (…) la musique la rend folle, en même temps elle la tient, la porte'. La voix cristalline qu'elle souffle fera d'elle une Diva, semblable à l'une de ces Sirènes qui éteignaient la raison d'Ulysse. Avant qu'elle-même ne se fasse 'une place au soleil du silence…'."
© Michel Boissard

 



L'Alsace.fr, juin 2012.
Lire
"C’est rêche, et pourtant si doux ; c’est un art de l’ellipse qui sonde le personnage jusqu’au plus profond de ses actes. Il faut s’offrir le plaisir de lire et de relire la première phrase (une page) de ce roman virtuose pour plonger au cœur du personnage. Une femme juive née en 1926, au moment où s’éteignait sa mère, fille du ténor préféré du compositeur Janacek, élevée par son père et les maîtresses successives de celui-ci, dans un monde qui ne palpite que pour le chant. Des êtres qui peuplent les livrets d’opéra, des mythologies, elle sait tout, mais que sait-elle de la vie et du monstre nazi qui la contraint à l’exil ? Que sait-elle de l’amour et de la séduction, de la noirceur et de la folie des hommes, elle qui est devenue une diva à la voix d’or, elle qui va osciller entre élan de vie et pulsion de mort ? On vit avec elle, on tremble pour elle : quand elle nous échappe, on referme le livre, sans voix."

 



Et toujours des blogs enthousiastes : Biblioblog, Lire & Merveilles

 

 

Traduction espagnole, Sd. edicions (Barcelone)

Ópera seria (Sd•edicions, 2014)
144 páginas
Idiomas : Español
ISBN: 8494179160 ISBN-13: 9788494179167


Ópera seria es un elogio a la voz, una pequeña novela de gran intensidad en la que Régine Detambel dedica su escritura al misterio de la voz humana. Es la vigésima obra de la ouilipista.

La novela nos habla de Elina Marsch, una joven cantante de talento excepcional y trágico destino. Hija de un tenor y una soprano, dio su primer grito en 1926, la noche de ópera en la que mientras su padre triunfaba- era el tenor favorito del compositor checo Leoš Janácek-, su madre fallecía en el transcurso del parto.

Elina, una muchacha frágil y de naturaleza misteriosa, crece entre el espectro de la madre fallecida y un padre excesivamente seductor que se dedica a coleccionar amantes, todas cantantes.

Con el estallido de la Segunda Guerra Mundial, padre e hija, huyen de la persecución nazi y se refugian en Estados Unidos; allí Elina, completa la formación de su voz sometida a una férrea disciplina, hasta convertirse en una diva admirada por todos. Su voz es fascinante, hermosa y aterradora; su canto, como el de las sirenas, altera y seduce, un veneno para matar sin dejar rastro.

Una novela de escritura rica en matices, de gran intensidad dramática y fuerza poética que nos habla del miedo, el amor, la vida o la muerte como un aria de ópera.


Régine Detambel es una escritora francesa, nacida en 1963. Es autora desde 1990 de una extensa y vanguardista obra literaria, en la que ha cultivado todos los géneros: novela, texto breve próximo a la prosa poética, ensayo y hasta novela juvenil.

Entusiasta de todo lo relacionado con la anatomía, Detambel ha establecido el cuerpo como centro de su obra literaria. Es miembro del movimiento oulipista (Oulip: Ouvroir de Littérature Potentielle/ Taller de literatura potencial) creado por Raymond Queneau y del que han formado parte autores y artistas como George Perec o Marcel Duchamp.

Caballero de las Artes y las Letras, Régine Detambel fue ganadora del premio Anna de Noailles (otorgado por la Academia Francesa) y en 2011 recibió el Magdeleine Cluzel a toda su trayectoria literaria. Sus textos han sido traducidos a una docena de idiomas.

Tras un largo período sin publicar sus libros en España, Sd·edicions rescata una de las últimas obras de Régine Detambel para su colección La Caja de Laca.

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LE PETIT QUESTIONNAIRE DES LIBRAIRES FNAC
 
1) Qui êtes-vous ?
Je suis quelqu’un qui écrit, c’est-à-dire que je m’intéresse à la manière dont s’enchevêtrent dans la fiction une pensée et une émotion. Et je crois que ce que l’écrivain fait pour notre sensibilité a une importance énorme !

Quel est le thème central de ce livre ?

La voix est la reine de ce roman. La voix est le phénomène le plus riche du monde. Elle véhicule du psychanalytique, du musical, du poétique, de l’affectif, du politique, de l’esthétique, du littéraire, du rhétorique, du sexuel, et toute la joie du corps aussi, la joie de bien respirer, de bien articuler sa vie.

Si vous deviez mettre en avant une phrase de ce livre, laquelle choisiriez-vous ?
« Car la voix qui monte de ses fonds a été créée pour altérer, séduire, empoisonner, pour tuer sans laisser de traces. Elle la fait tomber à genoux avec un coup au coeur, et malgré tout pleurant de pures larmes de plaisir insensé et de joie. »

Si ce livre était une musique, quelle serait-elle ?

Ce serait un air chanté par Teresa Stich Randall, une soprano mozartienne, la coqueluche d’Arturo Toscanini. J’admire vraiment la froideur désincarnée de son chant, une voix totalement épurée, presque abstraite. Ni colorations, ni nuances, translucide, pas d’émotion ni vibrato, c’est la voix la plus humaine que je connaisse, lavée de la saleté affective, comme disait Alice, l’héroïne de mon précédent roman, Son corps extrême !

Qu'aimeriez-vous partager avec les lecteurs en priorité ?
Au-delà de ce roman sur le chant, j’aimerais leur faire partager mon goût pour la lecture simple à voix haute, celle qui soigne. La lecture à voix haute, qu’on soit seul ou en public, est une évasion nécessaire pour acquérir une vie intérieure à la fois intense et secrète, et surtout hautement réparatrice. Quand la maladie ou la grande vieillesse fait de votre corps un corps-machine qui ne fonctionne plus et vous plonge dans le noir, la lecture à voix haute réinsuffle dans cette machine défaillante du souffle, du désir et du sens.

 



"LA VIVISECTION DES SIRENES"

Revue Approches. Questions sur l'homme, questions sur Dieu. Revue trimestrielle du Centre Documentation Recherches.
Directeur : Guy Samama.
n° 150. Les voix. 2. Concours d'éloquence, 2012.
Un très beau recueil d'articles de Guy Samama, Vincent Delecroix, Daniel Maximin… Ma propre contribution est intitulée "La vivisection des Sirènes" et porte sur la séduction de la voix acousmatique, cette voix dont on ne peut voir la source, et qui fait toute l'originalité d'une radio comme France Culture…

Résumé
La voix acousmatique, cette voix dont on ne peut voir la source, fait toute la séduction de la radio. Mais de nouvelles habitudes médiatiques, telles que la transcription d’entretiens ou l’enregistrement vidéo des émissions de radio culturelles, risquent de mettre en péril la voix des Sirènes, ce troublant entre-deux, à l’intersection insaisissable de la parole et du corps.

Extrait
"Les animaux fabuleux disparaissent quand on commence à les disséquer. Pour cette raison, le dragon, la sirène et la licorne n’ont pas passé le seuil des Universités.
À son tour, la fabuleuse énigme de la radio est en train de disparaître. Il semble qu’on veuille en finir avec les propriétés acousmatiques de la voix.
Car ce qui fait la radio, c’est la voix acousmatique, cette voix dont on ne peut voir la source, dont l’origine n’est pas identifiée et qu’on ne peut pas situer. Cette voix qui restitue dans toute son étrangeté l’enseignement ancien — et peut-être légendaire — d’un Pythagore dissimulé derrière un rideau noir pour parler à ses disciples sidérés, tandis que la ruse même de la scène transforme le philosophe en pur esprit. Mais le magicien ne peut ensorceler que s’il reste une voix dont la source est cachée. Le magicien d’Oz, une fois le voile levé, n’est qu’un vieillard impuissant et ridicule.
La voix de la mère est la voix acousmatique par définition. La mère de toutes les voix acousmatiques est précisément la voix de la mère, cette voix dont l’enfant ne peut pas voir la source, qui est sa prison, sa lumière. Mais ce vieux mystère ne semble plus goûté. France Culture Papiers, en croyant pouvoir se passer du grain de la voix, fait la démonstration du rôle de repoussoir que tenait l’écrit en général pour le philosophe grec classique, quand les langues étaient faites pour être parlées et mémorisées dans le grand labyrinthe des arts de mémoire, l’écriture ne servant que de supplément mort à la parole, de résidu, de reste... L’écriture n’était alors que la représentation de la parole, sa retranscription servile. Tandis que la parole était reine.
France Culture Papiers, je continuerai à le lire, même si j’ai trouvé certains de ces écrits considérablement vides, simples coquilles, et leur lecture laborieuse, sans le support dynamique de la voix qui les proférait. Il leur manque tout bonnement l’humidité et la chaleur de la salive. Manque de corps. Ça n’est pas porté par la voix, mais ça n’est pas non plus de l’écriture pure, stable et forte. On n’écrit pas comme on vocifère. Un écrivain perd beaucoup à retranscrire ses causeries.
J’aime tant les radios qui ne savent pas chanter. J’aime les voix nues, crues. Je me concentre sur la voix plutôt que sur le message : quand la voix n’est plus couverte par le sens, elle apparaît. Si nous parlons dans le but de dire quelque chose, alors la voix est précisément ce qui ne peut pas être dit. Mais la voix propose d’autre voies d’accès à son être : l’accent, l’intonation, le timbre, la modulation, le rythme, l’inflexion, l’accent, ad cantum, ce quelque chose qui rapproche la voix parlée du chant. Hildegarde de Bingen affirmait que la musique est divine, que Dieu est le principe musical par excellence, tandis que la voix nue appartient au Diable.
Le Diable est le Diable parce qu’il ne peut pas chanter."