Un peu de théorie

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A quoi sert de citer ?

Présentation

A quoi sert de citer ?

Le sens de la citation dépend du champ des forces en présence, mais implique toujours une pluralité de sens, une constellation, un complexe de successions mais aussi de coexistences. La substance de la citation, par-delà les accidents du sens et du phénomène, est une puissance, une dynamique, que l’étymologie confirme. Citare, en latin, c’est mettre en mouvement, faire passer du repos à l’action. Faire venir à soi, appeler, puis exciter, provoquer. Dans le vocabulaire de la corrida, on cite le taureau. Toute citation est un leurre et une force motrice, son sens est dans l’accident ou dans le choc. Puissance phénoménale, pouvoir mobilisateur. Un beau vers, une phrase bien venue ne sont pas comme un objet d’art ou un tableau, un sentiment, où entrent à la fois la vanité du propriétaire, l’amour-propre du connaisseur et le désir de faire partager mon admiration et mon plaisir. Non, la citation se coule dans la machinerie du texte, son fonctionnement a pour fonction l’engendrement, elle est source et réserve inépuisable d’énergie.
Montaigne cite, mais il est furieux de citer. Montaigne copie, puisant comme les Danaïdes, remplissant et versant sans cesse. Mais il est las que les Essais semblent un amas hétéroclite de citations. A quoi sert de citer ? « Nous sçavons dire : ‘Cicero dit ainsi ; voilà les meurs de Platon ; ce sont les mots mesmes d’Aristote’. Mais nous, que disons-nous nous mesmes, que jugeons-nous ? que faisons-nous ? Autant en diroit bien un perroquet. » Montaigne nie que la citation (ou l’allégation, qui en est la version la moins virulente, simple paraphrase traduite du grec ou du latin) ait un rôle d’engendrement. Il ne fait que « effleurer et pincer, par la teste ou par les pieds tantost un autheur tantost un autre ; nullement pour former [ses] opinions ; ouy pour les assister pieç’a former, seconder et servir. »