Un peu de théorie

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Un petit spasme d’écriture

Présentation

Un petit spasme d’écriture

Le doute qui fait du travail de l’écrivain une œuvre discontinue n’a rien à voir avec l’horloge abrupte qui suspend brutalement, avec un à-coup qui doit se ressentir jusque dans le cœur, l’activité d’écriture des participants. Ici, à l’atelier, le temps est, fatalement, minuté. Disons que, dans une séance d’environ trois heures, l’atelier écrit moins d’une heure. Qu’est-ce qu’une heure d’écriture quand on sait que les pages les plus ingrates à composer sont souvent les premières ?
Et puis, au fil des semaines, ces histoires qu’on ne peut jamais mener à terme à cause du coup de sifflet finissent par composer un petit catalogue d’incipits, comme un livre de maximes sans portée, une suite d’arguments qui ne tiennent pas encore debout, une galerie de portraits inachevés, un groupement de chapitres aux thèmes disparates, une suite décousue de lambeaux de textes colorés et contrastants, un patchwork infini.
D’où l’irritation que suscite, chez certains participants, ce livre décousu, au « caractère un peu ruiniforme », qu’il accroît chaque semaine d’un nouveau fragment.
Une séance d’atelier accorde tout juste le temps d’un petit spasme d’écriture. Mais cette convulsion-là, pour douloureuse qu’elle soit, n’est pas une mauvaise chose. Le fragment écrit durant la demi-heure impartie a soulevé «l’espoir d’une forme avant tout ivre d’autarcie absolue ». Et l’atelier permet de lutter contre cette espèce de tyrannie de l’œuvre monumentale, de la cathédrale, du roman comme tenant et comme aboutissant. L’atelier est une technique du fragment, et chacun sait que «le fragment, comme petite œuvre d’art, doit être complètement séparé du monde environnant et complet en soi, tel un hérisson».
Une fois composé le hérisson, l’heure sonne, et l’on pourrait imaginer que les idées qui ont bouillonné là regagnent sagement le lit de l’imaginaire. Mais l’imagination est sans frein. Je regarde les participants quitter l’atelier en cherchant leurs clés de voiture où elles ne sont pas, en fumant longuement, nez en l’air, titubant sur le trottoir. Je sais qu’il y a dans leur tête un vrai paquebot qui court sur son erre, quelque chose de lourd, d’intense, d’impossible à arrêter, à quoi ils vont penser encore des heures, avant de retourner dans le monde réel. Combien m’ont dit s’être perdus en voiture, avoir pris, la semaine dernière, le mauvais chemin, être partis à contre-sens ? Et je comprenais qu’ils continuaient de filer la métaphore de l’écriture et de me parler du texte qu’ils auraient bien aimé finir, si l’heure n’était pas venue. Ils savent pourtant qu’on n’achève rien en trois heures, ni même en un jour.