Un peu de théorie

Un peu de théorie

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Effet de l’oeuvre

Présentation

Notes éparses sur « l’effet » de l’oeuvre

« L’effet des oeuvres d’art est de susciter l’état dans lequel on crée de l’art : l’ivresse. » (Nietzsche, Fragments posthumes, OPC XIV, p. 44)

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Heidegger : « L’effet exercé par l’œuvre d’art n’est autre chose que le réveil, dans l’âme de l’amateur, de l’état du créateur. » - « être réceptif à l’art, c’est revivre l’expérience du créer » (Heidegger, Nietzsche I, p. 110)

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Fondane : « Par l’art, l’homme apparemment le moins doué de pouvoirs est amené à exercer des pouvoirs qu’il ignorait posséder et cela seulement pendant l’instant où cette activité privilégiée ôte à ses pouvoirs les obstacles qui, sans cela, eussent réclamé de l’homme un effort dont il a perdu l’initiative, mais non point le potentiel. Sans aucun doute, le créateur travaille directement sur ces obstacles, il reçoit la communication des pouvoirs de 1ère main, alors que le spectateur les reçoit uniquement du créateur ; le 1er est le siège d’un expérience immédiate, le second n’est convié qu’à revivre l’expérience du 1er. Sans doute aussi, même pour participer de seconde main à une expérience, il faut avoir en soi la possibilité, quoique larvaire, de cette expérience. Mais pour le spectateur, cette expérience est un objet fini, donné en un temps fini, qu’il consomme plutôt qu’il ne le crée et qu’il transcende (sous les espèces du plaisir) ; alors que le créateur, plongé dans l’expérience elle-même, qui n’a pas de limites, risque à tout instant d’oublier que son destin est de façonner un objet et se trouve dans le danger de s’attacher à cette expérience elle-même, pour son attrait, pour les promesses qu’elle porte. » (pp. 264-265)

Fondane : « Celui qui a écrit Hamlet n’a, sans aucun doute, pas vécu la tragédie de Hamlet et n’a pas besoin de la vivre ; mais il n’a pu l’écrire sans avoir vécu la tragédie de la solitude, de l’impuissance, des conflits moraux, du « que faire ? ». Et si nous n’avions rien su de l’homme qui a écrit Les Fleurs du Mal, nous pourrions encore affirmer, en toute certitude, que c’est là un livre « atroce » et que son auteur « avait son gouffre en lui se mouvant » Et nous-mêmes, spectateurs, lecteurs, ne comprendrions rien à Hamlet, et rien aux Fleurs du Mal, si nous n’avions frôlé, aussi peu que ce soit, dans notre vie intérieure, « le coup d’aile de la folie », « de l’imbécillité ». (p. 367)
Fondane : « Pendant que moi je suis convié à un festin d’art, dans quel royaume le créateur de ce festin est-il allé le chercher ? A-t-il, lui aussi, arraché l’art à l’art ? ou bien à tout autre chose ? Dans quels pouvoirs a-t-il été transporté, lui ? ». Dans les pouvoirs de la vie, dans cette toute-puissance de la vie subjective absolue qui excède de beaucoup les pouvoirs toujours « finis » du moi.

Fondane : « Evidemment je n’ignore pas que le créateur n’est pas que le siège d’une expérience extra-artistique ; c’est aussi un artisan qui fabrique un objet, et le façonne, le polit. Plus même son expérience a été profonde et unique et rare et malaisée, et plus il gaspillera le temps que lui réserve cette expérience, à façonner son objet. Et, de ce fait, quand nous nous penchons sur le génie, nous voyons à peine ces quelques instants rares et ineffables, alors que nous le voyons, sous la rampe, appliqué à son infini labeur d’artisan, oubliant presque, à force de soigner l’expression, que c’est une expérience qu’il se proposait de nous communiquer, et non son savoir-faire ; oubliant aussi que sa volonté de nous communiquer cette expérience l’empêche sérieusement d’en être encore le siège, l’en détourne et le maintient, en somme, dans l’accessoire. Et nous-mêmes, à force de considérer ces détails et le travail merveilleux de l’artisan (qui est dans le génie, sans être le génie), nous négligeons souvent de nous apercevoir que c’est son expérience qui nous intéresse et non les travaux par lesquels il a obtenu le parfait décalque de cette expérience. C’est là, pourtant, l’essentiel, c’est là que gît ce qui est commun au créateur et au spectateur. » (p. 264)