Un peu de théorie

Un peu de théorie

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Horoscope de l'écrivain

Présentation

La Florence du Quattrocento se délecta de la théorie des quatre fureurs platoniciennes (la prophétique, l’amoureuse, la dionysiaque, la poétique). L’inspiration poétique, la fureur des Muses, était bien un don des Dieux, qui permettait de hisser la figure du poète à un statut sacral. Cependant, l’hypothèse d’une nature divine de l’inspiration se heurtait non seulement au crédit que l’on accordait au pouvoir du travail et de l’art poétique proprement dit, mais aussi à la confiance nouvelle consentie à la « personnalité » du poète, qui rendait suspect le principe d’une grâce poétique indifférenciée. L’Art poétique de Horace disait déjà que le talent dépend essentiellement de la nature propre du poète — de son ingenium, de sa natura —, c'est-à-dire de sa griffe. Alors comment la concilier avec le furor poeticus ? Comment expliquer que le poète garde une part de décision pour diriger son inspiration vers telle ou telle prédilection créatrice ?
Les théoriciens renaissants tentèrent d’analyser les processus proprement psychologiques de cette nouvelle vision — hybride — de l’inspiration. Concrètement, comment s’infusait-elle ? Par quelles voies, quelles médiations, tels dons ou tels talents descendaient-ils en l’homme ? A la suite de Platon, Marsile Ficin identifia les démons comme agents des Muses, intermédiaires entre les puissances supérieures et les hommes, esprits aériens, chargés de transmettre les faveurs des divinités. Ficin, le démonologue, en fit les médiateurs de l’inspiration, seuls capables de rendre modulable et personnelle la fureur hiératique des Muses. Grâce aux démons, il gardait vive la provenance extrinsèque du talent, tout en donnant à l’inspiration ses caractères individuels qui varient d’un poète à l’autre.
Les démons de Ficin sont des navettes entre les dieux et les hommes. Les démons appartiennent aux planètes qui les dirigent. Ils sont de sept types, suivant le septénaire des planètes. Ceux de Saturne font les hommes mélancoliques et leur apportent la contemplation, ceux de Jupiter la puissance de gouverner, ceux de Mars la grandeur d’âme, ceux du Soleil la netteté des sens et de la pensée ; les mercuriaux inspirent le talent d’interprétation et d’éloquence, ceux de la lune favorisent les générations…
Ronsard découpa dans l’espace de la page cet Hymne de l’Autonne célébrant le démon de sa naissance :

« [Il] me donna pour partage une fureur d’esprit,
Et l’art de bien coucher ma verve par escrit.
Il me haussa le cœur, haussa la fantasie,
M’inspirant dedans l’âme un don de Poësie…

Le jour que je suis né, le Daimon qui préside
Aux Muses me servit en ce monde de guide,
M’anima d’un esprit gaillard et vigoreux,
Et me fist de science & d’honneur amoureux… »


C’est désormais par l’horoscope que les démons agissent sur les hommes. Ces « démons personnels », que la tradition chrétienne avait nommés anges gardiens, véhiculent désormais l’inspiration poétique, faite d’une inventivité débordante, bigarrée, d’une foule de figures naissant et changeant sans cesse, de mille métamorphoses. L’imaginaire démonique s’imposant, la fureur poétique de Platon s’étiolera peu à peu, à mesure que s’affermiront les hypothèses psychologiques du talent et que l’on s’orientera vers une reconnaissance de l’imagination, plutôt que de l’inspiration, comme nouveau fondement de la création littéraire.

Jean Richer mena de longues recherches sur l’ésotérisme en littérature. En 1952, dans son Verlaine, il consacrait une page au poème « Le Monstre », indiquant dans son commentaire que la créature fantastique qui y était décrite, à la fois « homard gigantesque et bouc géant » renvoyait, en réalité, à l’ascendant de Verlaine en Scorpion et au Soleil en Bélier. Quelques années plus tard, au cours d’une étude sur le Voyage aux pays des chevaux, Richer en arrivait à la conclusion que Jonathan Swift, pour avoir pu éprouver une telle sympathie pour les bons centaures, devait nécessairement être natif du Sagittaire. En effet, Swift naquit à Dublin le 30 novembre 1667.
Richer trouve dans les Contemplations un grand nombre d’images qu’il estime directement inspirées à Victor Hugo par son horoscope. Hugo était né à Besançon le 26 février 1802 à 22h30. Son ascendant, calculé par Richer, se trouve en Scorpion. Or, le nom ancien du signe du Scorpion était l’Aigle et l’œuvre graphique de Hugo fourmille d’allusions à un oiseau fantastique, une espèce d’aigle à tête de coq, bien souvent reproduit, à la plume, à l’aquarelle ou au moyen d’un pochoir…
Nietzsche a eu constamment en mémoire, et probablement sous les yeux, son horoscope de naissance. Il est marqué par l’automne. Il est né le 15 octobre 1844, peu avant dix heures, alors que le Soleil était dans la Balance : « Tenant une balance, je pesais le monde. » Richer soutient que la position de Mercure dans l’horoscope de Nietzsche est directement en relation avec la conception du personnage de Zarathoustra. La couronne du rieur, la guirlande de roses renvoient à Mercure en Balance. Zarathoustra le danseur, le léger, c’est Vénus en Vierge, en maison IX ; Zarathoustra qui bat des ailes, prêt à l’essor, complice des oiseaux, c’est l’Ascendant en Sagittaire ; Zarathoustra le prophète, c’est le Soleil en Balance ; Zarathoustra le rieur prophétique, c’est Mars en Balance.
« En ce jour parfait où tout arrive à maturité, où le raisin n’est pas seul à brunir, un rayon de soleil vient de tomber sur ma vie : j’ai regardé derrière moi, j’ai regardé devant moi et jamais je ne vis autant de bonnes choses à la fois. Ce n’est pas en vain que j’ai enterré aujourd'hui ma quarante-quatrième année, car j’avais le droit de l’enterrer, — ce qui en elle était viable a pu être sauvé, est devenu immortel. Le premier livre de La Transmutation de toutes les valeurs, Les chants de Zarathoustra, le Crépuscule des idoles — tout cela ce sont des cadeaux que m’a faits cette année, et même le dernier trimestre de cette année. Pourquoi ne serais-je pas reconnaissant à ma vie tout entière ? C’est pourquoi je me raconte ma vie à moi-même » écrit Nietzsche.
Je suis née le 7 octobre 1963 alors que le Soleil était dans la Balance. Je viens d’avoir l’âge de Nietzsche quand il se pencha sur Ecce Homo. Ma énième année est close. Le calcul de mon ascendant fait apparaître les Gémeaux.

Les Gémeaux étaient le signe natal de Federico Garcia Lorca. Il vécut en proie à son horoscope, dans une angoisse de planètes obscures. Au moins dix de ses poèmes commencent par les mots « La Lune… ». Vicente Aleixandre rapporte la transfiguration qui s’accomplissait en Lorca quand, soudain statufié par la blanche lumière, il contemplait la Lune, âgé, antique, fabuleux, mythique, comme s’il avait accédé à une communion avec le temps, les siècles, les racines les plus lointaines de la terre hispanique, à la recherche d’un savoir profond. Hécate est la lune noire qui règne sur les contrées infernales, la sorcière qui inlassablement défait les destins humains, tissant de ses doigts vieillis le linceul. On l’associe souvent au tissage sous la forme d’une araignée, artisanat constructif et toile meurtrière. Mais la figure d’Hécate comporte aussi un élément positif : elle met en scène la solitude absolue, qui seule permet, à certains moments de la vie, d’éprouver la réalité de notre être et la résonance singulière de notre expérience. Sous la souveraineté d’Hécate, dans le vide intérieur, se manifeste la parole prophétique. Car les sibylles et les pythies, qui savent le masque du futur et les passions non encore incarnées, sont entre toutes des enfants de la lune, d’une lune qui s’est faite absence afin de mieux dévoiler le jour. Toute parole visionnaire vient de notre part lunaire et s’exprime dans le cauchemar.
La Nouvelle Lune se produisit à l’aube du 19 août 1936, au moment où l’on fusilla Garcia Lorca. « La Lune était dans le ciel si froid / qu’elle dut déchirer son mont de Vénus… »
Je n’aime pas fermer les volets. Je suis donc souvent réveillée par la lueur de la lune, qui vient sur l’édredon, sur l’oreiller, près de mon coude. La rêverie lunaire est l’écriture à l’état de nébuleuse. L’air habité par la lumière vivante de la lune, ce serait le commencement de l’inconnu.
La lune est pour les enfants. Elle vient dormir contre moi comme le chat roux, quand j’étais petite. Elle va se coucher sur mon bureau. Une nuit, un halo parfait sur ma page, montra, me sembla-t-il, ce qu’il était nécessaire d’y changer. Je retins mon souffle. La lune pensait. Sa corne d’ivoire et ses bras lumineux oeuvraient pour moi. Et sous ses yeux la page crépitait doucement. Un engourdissement me saisit, bien différent du sommeil, et je sentis que, sous une autre forme, je devais aider la lune à continuer l’œuvre de la veille. Je me levai. Le souterrain vague entre le lit et mon bureau s’éclaira peu à peu, sans que j’aie besoin d’allumer la lampe de chevet. Se dégageaient de l’ombre et de la nuit les pâles figures de mon chapitre. Puis le tableau se forma, une clarté nouvelle illumina la page et fit jouer des apparitions bizarres, créations fantômes que je consignais au fur et à mesure.
Les cartomanciens accordent plus d’importance à la lame sur laquelle le chat a posé la patte. Scarlatti a pris pour thème d’une fugue les sons émis par son chat se promenant sur le clavecin. J’ai suivi les conseils d’un rayon de lune.