Un peu de théorie

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Je viens de livres écrits en tremblant

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Je viens de livres écrits en tremblant

Les Joyce, Mann, Proust, Conrad semblent inébranlables. Même quand le monde en guerre se désintégrait autour d’eux, ils demeuraient des êtres complets, intègres. En eux régnait la magistrale confiance du créateur souverain.
Excepté peut-être Colette (qui devint un grand écrivain à l’âge où Virginia Woolf se suicidait, car il avait fallu attendre la mort de la mère, la fin des passions qui dirigeaient sa vie, ce renouveau qu’elle nomma la Naissance du jour), les femmes écrivent en tremblant.
Virginia Woolf : « Le jour viendra-t-il où je supporterai de lire mes propres écrits imprimés sans rougir — trembler et avoir envie de disparaître ? »

Pour lutter contre cette autocritique mutilante, Woolf n’a jamais cessé de s’entraîner, comme le Gladiator de Paul Valéry. Par exemple, on voit comment elle se tonifie avec une phrase rythmée comme une salle de gym : « J’ai commencé à lire Freud hier soir ; pour élargir le cercle ; pour donner à mon cerveau un champ plus vaste ; pour le rendre objectif, pour sortir de moi-même. Ainsi vaincrai-je le rétrécissement de l’âge. Toujours s’attaquer à de nouveaux problèmes. Briser le rythme, éviter l’ankylose, etc. » Elle dit aussi, dans la même veine, et dans une formule que je médite souvent : « Ne pas s’endormir. Toujours retourner brutalement l’oreiller. »

Je crois que pour créer et en supporter les chocs, pour tenter de faire une œuvre où il y ait de la vie, il faut être soi-même bien vivante et relire souvent les livres (peu nombreux) qui racontent cette expérience-là, de vacillations incessantes.