Un peu de théorie

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La création littéraire et le rêve éveillé

Présentation

SOMMEILS PARADOXAUX

Phrases sorties du songe. Ces phrases ont été formées en moi en songe, m’y semblant parfaitement belles et significatives. Il me sembla chaque fois que j’avais trouvé comme la pierre philosophale de la poésie. Il fallait que je la ramène au jour. La difficulté consistant alors à effectuer deux opérations à la fois : 1) me réveiller ; 2) ne pas perdre une phrase en route. Exactement comme un sauveteur. (Francis Ponge)

Le rêve, qui propose à chacun l’ouverture de trappes intérieures, un voyage dans l’épaisseur des choses, une invasion de qualité, et que les Surréalistes désignaient comme « la voie royale vers l’inconscient », sur la trace de Freud, a été définie par Breton comme « la seule Muse qu’il nous soit donné de connaître. »
En 1908, Sigmund Freud publiait La création littéraire et le rêve éveillé. Il désirait ardemment d'où le créateur littéraire (qu’il nomme du reste « personnalité à part) tire ses thèmes et comment il réussit à nous secouer d’émotions dont nous ne nous serions pas crus capables. Le créateur lui-même, lorsque nous l'interrogeons, ne sait pas nous répondre de façon satisfaisante, se plaint Freud. L’intelligence n’y est pour rien dans le travail créateur. Alors, un jeu d’enfant ? Mais il est moins facile d'observer le travail de la fantaisie chez les hommes que le jeu chez les enfants, car l'adulte, par contre, a honte de ses fantasmes et les dissimule aux autres. Alors ses rêves ? Mais sommes-nous vraiment autorisés à comparer le poète au « rêveur en plein jour » et ses créations à des rêves diurnes ? « Une première distinction s'impose, dit Freud, nous devrons séparer les auteurs qui, tels les anciens poètes épiques et tragiques, reçoivent leurs thèmes tout faits de ceux qui semblent les créer spontanément. Tenons-nous-en à ces derniers. » Dans ses fictions, c'est-à-dire dans ce que Freud incline à considérer comme ses rêves diurnes personnels, nous éprouvons un très grand plaisir dû sans doute à la convergence de plusieurs sources de jouissance. Comment parvient-il à ce résultat ? C'est là son secret propre, que consiste essentiellement l'ars poetica. Mais nous pouvons, d’après Freud, deviner deux des moyens qu'emploie cette technique : le créateur d'art atténue le caractère du rêve diurne égoïste au moyen de changements et de voiles et il nous séduit par un bénéfice de plaisir purement formel, c'est-à-dire par un bénéfice de plaisir esthétique qu'il nous offre dans la représentation de ses fantasmes. On appelle prime de séduction, ou plaisir préliminaire, un pareil bénéfice de plaisir qui nous est offert afin de permettre la libération d'une jouissance supérieure émanant de sources psychiques bien plus profondes. Je crois que tout plaisir esthétique produit en nous par le créateur présente ce caractère de plaisir préliminaire, mais que la véritable jouissance de l’œuvre littéraire provient de ce que notre âme se trouve par elle soulagée de certaines tensions. Peut-être même le fait que le créateur nous met à même de jouir désormais de nos propres fantasmes sans scrupule ni honte contribue-t-il pour une large part à ce résultat ?