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La modéliste
Régine Detambel
La modéliste
Julliard

Date de parution : 1990
ISBN : 2260007791
Format : 20 X 12 cm
140 pages

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Présentation Presse

La modéliste est une jeune femme, Coline, amoureuse des tissus, des fibres et des matières. Couturière, arpette ou petite main, elle dessine, crée et coupe : son but, son souci, sa vie, c’est la robe Fantaisie qui représentera sept ans de travail… Le tissage, la couture, la broderie sont des travaux cruels et marquants. Le travail de l’aiguille n’est pas si loin d’ailleurs que celui de la plume. La brodeuse inscrit son ouvrage dans la douleur de son corps : les mains brûlées, la bouche gercée, les yeux blanchis, la peau écorchée par la machine à coudre. Tout de même, Coline a créé une robe merveilleuse. Reste à trouver qui la portera. De là, une histoire d’amour féerique entre Coline et une lycéenne, Frédérique, mannequin condamné à revêtir la robe magique. Symbole de beauté, rêve de perfection, métaphore de l’attente et du désir…


Secret de fabrication
L'Oulipo n'ont pas manqué de s'intéresser à ce roman écrit sous contrainte : tous les mots sont féminins. Pas un seul substantif masculin dissimulé sous un jupon. Ce choix fait de La Modéliste le seul ouvrage à ce jour à être bâti sur une contrainte de genre. Par ce travail sur le genre, je montre la présence du corps dans le langage et du langage dans le corps. "Si le corps est flexion, le langage aussi, écrivait Gilles Deleuze, (…) Si le langage imite les corps, ce n'est pas par l'onomatopée mais par la flexion." 

Un été de la fin des années 80, j’ai souhaité recréer, avec suffisamment de discrétion, une grande harmonie formelle. J’ai voulu écrire, sans pour autant qu'on s'en aperçoive à tout prix, un livre juste et mystérieux, c'est-à-dire adapté, dans son volume et dans ses formes, à une histoire qui le révélerait, où le sens n'écraserait pas la lettre. J’ai donc pensé à une femme et, plus encore, à la robe qu'elle aurait créée, dont je ferais mon héroïne. Pour commencer, j’ai coupé en deux le dictionnaire, ne gardant de lui que ce qu'il possède de féminin en matière de substantifs. Cette cruelle recette d'Amazone m'obligeait donc à rédiger l'ouvrage sans employer un seul mot de genre masculin. Et, de fait, au début, j’ai peiné. Il n'est pas facile de s'animer et de sentir avec une seule moitié de soi. Pourtant, le livre pourfendu progressa. Des phrases entières vinrent s'accorder et respectèrent les conditions et les lois, les masses s'organisèrent presque seules. Alors, en sauvageonne qui n'a jamais su coudre et ne conçoit pas d'autre tissu que la peau, j’ai tracé sur la robe des broderies qui m'étonnèrent. Dépouillée d'une nature entière, rejetant l'autre règne dans un lexique interdit, mon histoire trouvait dans ce sexe obligé sa source et son aboutissement. J’ai dû convoquer d'autres meubles dans les maisons, d'autres plantes, d'autres animaux domestiques et d'autres objets que ceux dont on use d'habitude. Parlé de la lune et non plus du soleil. D'amours plurielles. De la mer, pas de l'océan, du lac ou de l'étang. Le sang, inacceptable, devint la sagesse rouge qui nous fait souffrir, la levure qui nous tient debout. Le réverbère se changea en ampoule des rues. L'ascenseur en cage ferraillante. Les hommes se résumèrent à une joue rasée. Bien sûr, j’ai dû parfois tourner autour du pot et céder aux périphrases laborieuses ou poétiques quand rien, vraiment, ne venait. Il y eut donc des ellipses, des réseaux compliqués de métaphores et, même, des cryptogrammes. Mais d'autres fois, le rythme était bon et tout circulait bien.
Peu de temps après, pour clore l'expérience en restaurant l'équilibre des sexes, ou peut-être parce que j’avais peur de ressembler au discobole dont l'épaule et le bras lanceurs sont difformes, j’ai réhabilité le genre masculin, arbitrairement condamné. Et me suis donc appliquée, dans un autre ouvrage, à l'autre moitié de moi-même. Cette fois, j’ai brûlé la femme et me suis remise à fouiller mon demi-dictionnaire pour concevoir un livre entièrement masculin. Un grain de beauté, impossible à nommer, sur le front d'un garçon devint un fruit violet de fraisier ou de framboisier, un pépin, un kyste robuste, un grain de pigment, un rouge de coup de poing, un mauve de tube à dessin, un déchet d'après bain de fleuve et, même, un petit espace d'épithélium intensif.

Extrait
"Lorsqu’elle dessinait pour une revue de mode et, plus tard, quand elle créa ses propres lignes vestimentaires (tenues sportives, sahariennes, même des bottes cavalières à tige peinte), Coline étudiait les allures, la gestuelle, la distribution des masses musculaires et leur physionomie sur une poupée géante, écrue, pisseuse et délavée, toute de matière plastique, qui n’avait ni bouche ni oreille et semblait peu faite pour la marche. Par contre, elle était honnêtement articulée et se prêtait de bonne grâce à toutes sortes d’acrobaties figées.
C’est cette écorchée que Coline pose sur la table.
Elle l’époussette, l’assouplit. Puis elle lui propose, en manière de reconnaissance, les quelques attitudes qu’elle avait coutume alors de lui faire prendre : mains jointes en prière sommaire, une jambe tendue l’autre pliée, l’épaule contre la joue… Enfin, elle saisit l’étoupe acrylique de la chevelure et couche la tête pour faire battre la brosse ciliée des paupières.
— Elle est pour toi la Robe Fantaisie, tu la voudrais ?
Elle pince trois épingles entre ses lèvres, de sorte qu’elles rentrent bizarrement comme celles d’une vieille femme sans incisives. La robe s’enfile aisément. La poupée, mains sur la tête, la laisse glisser jusqu’à sa poitrine figurée. Ensuite l’ouverture se réduit. Coline doit tirer sur la soie avec des précautions de sage-femme, estimer la pesée nécessaire, la poussée. Ses lèvres serrent encore plus les épingles qui les marquent d’une traînée exsangue. Une fois passée la taille, la robe se déroule, presque se dévide d’elle-même. Elle atteint la cheville.
Coline rectifie une ondulation trop oblique, supprime une pince exagérément évasée. Elle recule, elle prend ses aises pour voir…"



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Paule Constant, Revue des Deux Mondes, septembre 1990

La Robe Fantaisie, toile d’araignée
Rien n’est plus beau et plus cruel que ce travail de l’aiguille et de la plume que la brodeuse inscrit dans la douleur de son corps, jusqu’à ce que devenant – les mains brûlées, la bouche gercée, les yeux blanchis, la peau écorchée – la mémoire parfaite des gestes et des beautés de la jeune fille, bref la Robe Fantaisie de son amour, la robe magique brûle et ne soit, comme à la fin des contes ou des rêves, qu’un petit tas de cendres…



Pierre-Robert Leclercq, Le Magazine Littéraire, septembre 1990

Une broderie exemplaire
Avec une écriture à la fois souple et de cette rigueur qui fait les perfections, Régine Detambel a le talent, à partir d’un fait peu ordinaire, de fixer les images de la vie de tous les jours et de tout le monde…



Bernard Comment, L’Impartial, 5 octobre 1990
Une étrange robe d’amour
Le tout est mené avec une grande maîtrise, dans un défilé visionnaire où chaque phrase compte, où chaque mot trouve sa nécessité…



Jean Debernard, Midi Libre, 22 octobre 1990

Haute couture
Et puis cet amour des mots, cette gourmandise à les dénicher, à faire se rencontrer ceux qui ne s’étaient jamais vus, cette volonté de les frotter l’un à l’autre pour qu’il en jaillisse, silex du style, une étincelle fulgurante…



Michèle Gazier, Télérama, 15 au 21 décembre 1990
La Modéliste
Il y a quelque chose de féerique dans ce court récit, le troisième publié de Régine Detambel. Il était une fois une jeune femme et son amour des tissus, des fibres et des matières…