Formes brèves

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Les enfants se défont par l'oreille
Régine Detambel
Les enfants se défont par l'oreille
Fata Morgana

Date de parution : 2006
ISBN : 2-85194-669-2
Format : 14 X 22 cm
43 pages

9 €
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Dit par l'auteur
Présentation Presse

Les Enfants se défont par l'oreille est publié par les éditions Fata Morgana. Il était paru d'abord dans le n° 104 de la revue Po&sie, dirigée par Michel Deguy.

L'avis de l'éditeur
C’est la galerie de ces huit ancêtres cacochymes que nous livre avec une ingénuité feinte Régine Detambel. Il y a, derrière, toute la cruauté d’une jeunesse qui sait sa force et fait de l’irrévérence une fontaine où la renouveler sans cesse. En filigrane se tisse le récit d’une expérience essentielle et troublante : le jeune narrateur et sa petite cousine, sous le regard tantôt complice et tantôt désapprobateur desdites têtes blanches se découvrent, complexes et sexués. Les mots sont pesés et la mécanique parfaite.

Extrait
"Un proverbe dit à peu près que tout ce qui est bon vient de moi, ce qui est mauvais me vient de mes ancêtres. J’estime qu’on peut le prendre au pied de la lettre.
Beaucoup tâchent d’aimer leur famille, s’efforcent de la vénérer, avec opiniâtreté et parfois de remarquables percées vers l’abnégation. Je prétends que c’est impossible et même aussi mauvais que du vieux pain avec de la graisse rance. Ces gens-là, les amoureux de leur arbre généalogique, les chasseurs de stèles, les collectionneurs d’ancêtres, n’ont jamais eu la malchance, comme le jeune garçon que j’étais, de posséder encore, de connaître et de garder longtemps leurs huit arrière-grands-parents, tous les huit capables de parler, bien qu’affligés, à des degrés divers, des maux qui viennent de l’épaisseur de la sagesse dans le sang, de la friabilité des os, de la fragilité des tripes et qui donnaient à tous les hommes l’air d’infirmes qui se sont habillés tout seuls, à toutes les femmes, ou presque, un œil bleu braqué et le goût des piqûres stimulantes.
Morts, ils auraient reçu autant qu’ils recevaient de la vie quand je les ai connus. Eva était ma cousine et, comme s’ils avaient été un petit talon de cartes sales et collantes à l’aide de quoi on peut tenter des combinaisons infinies, nous nous distribuions, elle et moi, les huit mêmes arrière-grands-parents.

Éva avait trois ans de plus que moi, des coudes de fillette qui étaient comme une arête dans un long gosier, des cheveux de caoutchouc noir, brillants, et sous la robe, à la fois amical et sombre, l’un, l’hiatus divin qu’elle appelait son charnier et qu’elle bouchait parfois avec la main pour m’empêcher de voir."




« Les enfants se défont par l’oreille », in Voyages au pays du réel : Victor Segalen, Régine Detambel, Lee Seong-Bok, par Ronald Klapka. Lettre de la Magdelaine, 21 juillet 2006

"Dans quel étrange pays nous entraine Régine Detambel ? celui bien réel du vieillard qui défait les amours d’enfance ; et celui-ci est multiplié par huit : quatre arrière grand-mères : Athéna, Olympe, Diane, Hélisenne, et quatre arrières grand-pères : Donatien, Joachim, Louis et Franz-Gustav.
Et à chaque fois que le narrateur, un jeune garçon esquisse un geste tendre vis-à-vis de sa cousine Eva qui partage donc le même talon de figures aïeules, l’une d’elles survient, maxime en bouche, du genre « Sac percé ne peut tenir la graine » et autres « Dans les petits pots sont les fines épices »
Aussi, le narrateur devenu grand, chaque fois qu’une femme l’a fait rayonner, redoute plus que tout cette voix pleine de "joviale brutalité, et de volupté souveraine, nonchalante, dégustatrice, ancestrale" et lui demande de garder silence.
Le livre, paru chez Fata Morgana, outre Lacan déjà cité plus haut et le paradis enfantin où Baudelaire de Dieu, il s’en passe de vertes, ne manquera d’évoquer chez le lecteur la réminiscence des heures d’or et la découverte cruelle de leur fragilité, à la merci du ressentiment de ceux qui ne les vivent plus.
Régine Detambel procède à sa manière, ultra-sensible, avec infiniment d’humour, d’amour des mots, je crains de ne plus entendre congratulations ni joujou de la même façon, et à mon tour je craindrai la survenue d’un Opapa et le bruit de succion de ses pantoufles ainsi que la sentence :
Trop parler nuit, trop gratter cuit.
Comme pour Pandemonium (Gallimard), j’ai éprouvé le sentiment du raffinement oulipien et subi l’effroi de l’inquiétante étrangeté de ces vieillards menaçants empêcheurs d’aimer en rond.
Les dessins de Colette Deblé, ne sont pas des illustrations et donnent eux aussi à penser." (Ronald Klapka)