Formes brèves

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La ligne âpre
Régine Detambel
La ligne âpre
Christian Bourgois Editeur

Date de parution : 1998
ISBN : 2-267-01461-7
Format : 14 x 20,5 cm
140 pages

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Dit par l'auteur
Présentation Presse

Les os du corps humain forment ici la matière de vingt-cinq textes courts.
« L’omoplate est une Amérique latine découpée dans un parchemin. De ce portulan huilé par le tabac et taché par les embruns, on prend possession d’une seule main. Si les grains de beauté ont piqueté la peau qui la couvre, elle est la carte, raidie par le temps, d’une route des épices. L’os est si mince, au centre des terres, qu’il semble avoir été spécialement préparé pour recevoir le dessin ou l’écriture. Il est d’une finesse de vélin. Si l’on emploie souvent, par jeu ou par nécessité, le dos courbé d’un ami pour écritoire, c’est sans doute que les omoplates appellent les actes solennels, les mandements, les quittances qui furent autrefois rédigés sur des peaux. Ainsi l’omoplate qui sert de secrétaire est-elle souvent un palimpseste… »

Extrait
L’image même du miroir
Le calcanéum a une gueule d’empeigne et un aspect de pomme de terre germée. S’il est désagréable et à ce point laid, c’est qu’il forme le talon et qu’il est donc ainsi sacrifié, comme dans les jeux de tapis vert. Il est ce qui reste des cartes après la bonne distribution. Il est ce qui ne vaut plus grand-chose, la fin, la croûte, ce qui ne peut pas se vendre cher parce qu’il présente mal, comme le talon de jambon, par exemple, qui ne se découpera plus qu’en dés ou en cubes, impropre désormais à la découpe propre et fine d’une tranche nette.
Le calcanéum est un fond, un reste, la base aléatoire, coupée à la va-vite, taillée sans souci de beauté, mais de solidité seulement, de massivité, et destinée à recevoir et à donner forme au corps qui le surplombe. Le talon est le fort, le dévoué, le premier étage de l’empilement, celui qui doit impérativement mettre les autres en valeur. Il est la fondation scrupuleusement coulée mais mal ébavurée.
Au cirque, il serait le porteur, celui qui se charge du poids des autres, celui qui n’a ni grâce ni souplesse parce que la force doit occuper chacune de ses lignes. Dans son effort haletant, son équilibre vertigineux, ne perdant jamais la terre de vue, il est seul en contact avec le sol et délivrera de la gravité l’acrobate qui lui grimpe sur l’épaule et lui marche sur la tête.
Le calcanéum est une sculpture compacte parce qu’elle s’est effondrée sur le tour. De sa permanente palpation de la terre, il tire sans doute la force, comme tous les géants, mais on ne peut pas ignorer la friabilité de pierre gelée de la peau qui l’entoure, sa raideur de ponce et de poudre d’émeri, et sa rudesse de terrain nu. De la terre, dans son désir d’imitation, la chair du talon a pris les teintes d’argiles, elle a les défauts, la dureté, la propension à se couvrir de cals, de durillons, de cailloux. Elles s’échangent, la chair dure et la terre volante, les graviers qui entrent dans la chaussure.
Ces couches pigmentées, safran, marron, brunettes et successives de peaux mortes qui assimilent le talon à un tubercule terreux semblent vouloir imiter l’os marron et sanglant qui est au dedans, comme si, antipodistes amoureux de symétrie, nous marchions sur l’image même du miroir qui nous montre marchant.


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Pierre Lepape, Le Monde, 2 octobre 1998
La vitalité des classiques
"Régine Detambel fait de vingt-cinq os un bijou. D’observation, de sensibilité, de finesse et d’art d’écrire… "

Michèle Gazier, Télérama, 8 octobre 1998

Blasons
"Parce qu’elle est écrivain et femme de culture, Régine Detambel se plaît à revisiter ces formes anciennes de poésie appelées " blasons " où l’on célébrait les parties du corps en chantant leurs beautés, leurs vertus, leur sublime fragilité…"

Le Quotidien du médecin, 27 octobre 1998
Une mise à nu du squelette
"En vingt-cinq textes brefs, Régine Detambel dissèque le squelette, et, en s’en tenant à ses fonctions premières, en redessine une nouvelle géographie littéraire…"

Claudine Galéa, La Marseillaise, 7 novembre 1999
Patience et âpreté : l’art de Régine Detambel
"C’est admirable d’invention et de réalité. Chaque os, ou chaque texte, est un bijou en soi. La langue est l’exact précipité d’émotions et d’intelligence qui traduit non seulement la forme mais la mémoire affective et sensorielle dont nous sommes constitués, nous, les êtres humains…"

Michel Chillot, AMMPPU 
A Kansas City (Missouri), les étudiants admis en médecine après quatre années d’université reçoivent, en cadeau de bienvenue, un fort volume intitulé On Doctoring. Anthologie de textes littéraires consacrés à la maladie, au soin, à la vie et à la mort, elle contient des textes de la Bible, mais aussi de Jorge Luis Borges, Franz Kafka, William Carlos Williams, Anton Tchekhov, Margaret Atwood, Kurt Vonnegut Jr, Pablo Neruda, Conan Doyle et de médecins écrivains contemporains connus et respectés hors de France, tels Abraham Verghese et Jack Coulehan. On offre ce livre aux étudiants, explique le médecin responsable de l’enseignement, « parce qu’ils en apprendront plus sur le soin dans la littérature que dans les livres de pathologie ­ où l’on n’apprend que la médecine ».
Précipitez vous sur le dernier livre de Régine Detambel, La ligne âpre. L'auteur, kinésithérapeute de formation, réussit un très beau livre, un exercice de style sur une contrainte : consacrer chaque chapitre à un os du corps humain. Chaque texte est une vraie réussite. Le fait d'être médecin permet d'apprécier à sa juste valeur tout le talent de Régine Detambel qui donne une histoire et une vie propre à ces pièces du squelette : "le radius fait de la main une marionnette à tige", "la clavicule est un fragment de mot, éclatant et possible, une lettre de soie et d'os", "le calcanéum a une gueule d'empeigne et un aspect de pomme de terre germée", "le sacrum est un grand papillon crépusculaire qu'un changement d'ère a surpris, ou bien une dense goutte de résine, et dont on regarde maintenant, incluses, aplaties, résorbées dans un minéral vitrifié, les ailes complètes"…
Après l'avoir lu, vous ne palperez plus les reliefs osseux de la même façon en examinant un patient.