Essais

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L’écrivaillon ou l’enfance de l’écriture
Régine Detambel
L’écrivaillon ou l’enfance de l’écriture
Gallimard / « Haute Enfance »

Date de parution : 1997
ISBN : 207074874X
Format : 11,8 x 18,5 cm
168 pages

12,96 €
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Dit par l'auteur
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Du côté de l'auteur

Le luxe et la chance de l'écrivaillon résident dans son peu d'épaisseur, presque son absence. Comme le moussaillon ou le novice, il ne fait pas le poids, il est seulement quelqu'un qui se met à écrire. L'enfance de l'écriture. À l'abri de sa petite taille et de sa jeunesse, il explore les territoires du livre, il s'initie à la description, il entame une collection de citations, et surtout, il apprend, il imite, il regarde, il rêve ses premières histoires, il a peur de ses lignes, il craint qu'on puisse l'y reconnaître. Éternel débutant, il commence des romans qu'il n'achèvera jamais.
Comme tous les créateurs, l'écrivaillon souffre de ce qu'il invente. Un temps pour l'angoisse, un temps pour l'écriture, un temps pour l'angoisse de l'écriture, peut-être la page se découpe-t-elle ainsi, du jour où l'on découvre la fureur incorrigible d'exister dans un livre.

L'écrivaillon est le livre de chevet de nombreux participants aux ateliers d'écriture. Il m'a permis de communiquer mon expérience adolescente, ma frayeur devant ma propre écriture, peu à peu apprivoisée. L'écrivaillon dit comment un atelier d’écriture est une expérimentation des formes et des forces littéraires. Il rappelle que la langue de l’écrivain est un matériau résistant. Il enseigne donc que l’écriture n’est pas la transcription ou la traduction de l’histoire qu’on a dans la tête, mais que le texte se modèle comme une sculpture à la fois plastique et rebelle… On n’écrit pas avec des idées, on écrit avec des mots !
Ecrire
 est
 sans
 doute
 nécessaire
 à
 certaines
 périodes
 de
 la
 vie.
 Quand
 la
 vie
 blesse,
 quand
 les
 mots
 blessent,
 ne
 pas
 rester
 passif,
 mais
 être
 acteur.
 L'écriture de soi permet
 d’être
 actif,
 d’exprimer
 sa
 colère
 active,
 de
 faire
 d’un
 mauvais
 moment
 une
 chose
 féconde,
 qui
 donne
 de
 l’énergie.
 Quand
 on
 a
 appris 
à 
lire 
et 
à 
écrire
 le
 plus
 profond
 de
 soi, 
on 
a 
un 
outil
en
 main.

 De
 plus,
 écrire 
est 
toujours
 indispensable
 à
 un
 lecteur. 
Ecrire 
forme 
un
 lecteur
 à
 la
 lecture.
 Tant
 qu’il 
n’a 
pas 
fait 
lui‐même
 l’expérience
 de 
l’écriture 
de 
fiction, 
le
 lecteur
 croit
 généralement
 à
 l’inspiration,
 au
 don,
 au
 gratuit.
 Et
 soudain
 là
 il
 va
 découvrir
 les
 ratures,
 les
 corrections,
 les
 rajouts,
 les
 suppressions,
 les
 permutations,
 les
 
 déplacements
 dans
 la
 phrase.
 Il
 va
 enfin
 comprendre
 à
 quoi
 sert 
la
 grammaire,
 comment
 elle 
véhicule 
la 
logique et les gestes du corps. 
Du 
coup 
il 
a 
une 
autre 
idée
 du
 monde,
 de
 lui‐même
 et
 de
 ses
 capacités.
 Et
 surtout
 de
 sa
 propre
 action,
 de
 sa 
propre 
pesée 
sur 
son 
avenir. 
Sans 
compter 
que 
le 
duende 
peut 
le 
toucher 
un
 jour,
 au
 détour
 d’une
 phrase
 et
 lui
 faire
 comprendre
 combien
 l’écriture
 est
 physique,
 combien 
elle 
touche 
les 
sens, 
combien 
elle 
touche 
à 
la
 douleur 
et 
à 
la
 mort.
 Il
 comprend
 et
 expérimente
 qu’avant
 d’être
 une
 institution,
 un
 patrimoine,
 une
 source
 de
 plaisir
 ou
 un
 sujet
 d’examen,
 l’art
 quel
 qu’il
 soit
 est
 d’abord
 une
 activité,
 une
 action
 consommant
 de
 l’énergie,
 une
 activité
 affrontée
 à
 des
 matériaux
 physiques
 et
 nécessitant
 un
 savoir‐faire
 qui
 s’apprend.
 La
 poïétique
 lui 
révèle 
alors 
le 
côté 
concret 
de 
la 
littérature.


 L'écrivaillon rappelle 
une 
autre 
fonction
 de
 la
littérature
 (si 
l’on 
admet
 toutefois
 qu’elle
 peut
 être
 fonctionnelle 
!) 
:
 donner
 du
 plaisir,
 sublimer
 en
 s’évadant
 par
 le 
haut, 
rassurer, 
épanouir,
 échanger, 
symboliser,
 etc., 
certes, 
mais 
il
 y
 a
 aussi 
la
 fonction
 de
 suppléance.
 Enfant,
 on
 voulait
 être
 explorateur,
 médecin,
 spationaute,
 sculpteur 
et 
photographe
 et 
puis 
on 
n’a 
pas 
eu 
le 
temps 
et 
on 
est
 ce 
qu’on
 est, 
pas
forcément
 des 
ratés 
d’ailleurs 
! 
Parce 
qu’il 
y 
a 
tout 
l’élan
 vital
 dans
 une 
image 
littéraire, 
la 
littérature 
sera 
là, 
tout 
au 
long 
de
 notre 
existence,
 pour 
donner 
vie 
à 
nos 
occasions
manquées
 ! 

Créer est au commencement d’une vie nouvelle, créer est ce commencement lui-même, événement générateur et généreux, vital et vivifiant, permettant de vivre plus intensément. Créer permet au créateur de vivre au-delà de ce que la vie a la possibilité de le faire vivre. Créer lui donne aussi d’éprouver plus de choses que ce que la vie a la possibilité de lui faire éprouver. Les créateurs réussissent momentanément à faire face à la douleur causée par le désespoir, la peur ou la perte, en décidant de donner vie à quelque chose qui n’existait pas auparavant — quelque chose qui sans eux n’aurait pu avoir lieu.




Chantal Thomas, La Forteresse de phrases. Sur l'œuvre romanesque de Régine Detambel, Revue Critique n°618, Minuit, 1998.



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