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Foucault (Michel) > Histoire de la sexualité III. Le souci de soi

Présentation

Michel Foucault, Histoire de la sexualité, tome 3 : Le souci de soi, Gallimard, 1994.

> Présentation. La connaissance de soi chez Michel Foucault
Rompant dès 1976 avec ce qu’il appelle « l’hypothèse répressive » censée fonder le rapport que les sociétés modernes instaurent avec la sexualité, Michel Foucault introduit sa démarche autour d’une « volonté de savoir » à laquelle il fait succéder une analyse de « l’usage des plaisirs ». L’année de sa mort le troisième volume, « Le souci de soi », clôt cette Histoire de la sexualité. S’interrogeant sur les racines de la défiance à l’égard du plaisir depuis l’éclosion au XVIIe siècle d’une conception nouvelle de la sexualité prenant appui sur une technologie de pouvoir « centrée sur la vie », Michel Foucault revisite l’évolution des conceptions relatives au plaisir dans l’Antiquité grecque entre le IVe siècle avant Jésus-Christ et le ier siècle de notre ère. Insistant sur l’importance des modes de subjectivation (pratiques de soi), Foucault souligne que l’on s’intéresse, dans l’Antiquité, moins au respect de la loi stricto sensu qu’à l’attitude qui fait qu’on la respecte. L’accent est alors surtout mis sur le rapport que l’individu entretient à l’égard de soi, c’est-à-dire finalement au recours, au travers de modes de subjectivation spécifiques, à des formes d’ascèse dans l’usage des plaisirs (chrèsis aphrodision) qui s’actualiseront tout aussi bien dans une pratique de santé, dans la gestion domestique ou dans les pratiques de cour amoureuse à l’égard des garçons en particulier, dans un même rapport à la vérité.
La morale qui sous-tend un tel usage des plaisirs s’inscrit dans ce que Foucault appelle les « arts de l’existence » définis comme « des pratiques réfléchies et volontaires par lesquelles les hommes se fixent des règles de conduite, mais cherchent à se transformer eux-mêmes, à se modifier dans leur être singulier et à faire de leur vie une œuvre qui porte certaines valeurs esthétiques et répondent à certains critères de style ». En ce sens l’usage des plaisirs doit être contenu et suppose d’éviter l’excès et l’intempérance. Prendre son plaisir « comme il faut », au moment opportun (kairos) permet d’éviter de tomber dans l’immoralité qui découle chez les Grecs soit d’un excès, soit d’une position subjective de passivité. Prendre son plaisir n’est jamais se laisser aller à ses appétits comme le fait Diogène, mais se maîtriser, appréhender le besoin, lui laisser l’espace nécessaire qui lui permette de se déployer avant d’être satisfait. C’est le besoin qui doit réguler le plaisir et il ne doit être assouvi qu’après une suspension, seule à même de conjurer l’intempérance qui signerait un manque de maîtrise de soi. Cette « culture de soi » organise une pratique de l’art de l’existence qui suppose une véritable conversion à soi que l’on ne peut atteindre qu’au terme d’un travail où la pratique d’exercices permet de « se commander à soi-même », de maintenir un « empire » sur ses plaisirs. Ce n’est qu’au terme d’un combat, d’une lutte pour vaincre les virtualités excessives des aphrodisia par l’adoption d’une « attitude polémique avec soi-même » où il convient de se mesurer à soi que l’on agit comme un être rationnel. Ainsi prendre soin de soi, consiste, non seulement « à prendre la mesure de ce dont on est capable », mais à discriminer, sélectionner et contrôler les représentations, tel un « veilleur de nuit » qui se tient à l’entrée des villes, afin d’en faire un usage approprié. « Se plaire » ainsi à soi-même renvoie, selon Foucault, suivant Sénèque, à un plaisir « défini par le fait de n’être provoqué par rien qui soit indépendant de nous et qui n’échappe par conséquent à notre pouvoir : il naît de nous-même et en nous-même ». C’est le prix à payer pour atteindre à l’allégresse : « Elle foisonnera à condition d’être au-dedans de toi-même… sois heureux de ton propre fonds. Mais ce fond quel est-il ? Toi-même et la meilleure partie de toi ».

> Extraits
 Prendre soin de soi-même est une injonction qu’on retrouve dans de nombreuses doctrines philosophiques. Chez les philosophes grecs, et surtout chez Epictète, l’homme doit avant tout veiller à lui-même. Dans un long article intitulé «La culture de soi», Michel Foucault rappelle que le «souci de soi» est un «privilège-devoir, un don-obligation qui nous assure la liberté en nous astreignant à nous prendre nous-même comme objet de toute notre application.»

Michel Foucault, «La culture de soi», in Histoire de la sexualité III. Le souci de soi, Gallimard, collection «Tel», 1984, pp. 67-70.

"Mais que les philosophes recommandent de se soucier de soi ne veut pas dire que ce zèle soit réservé à ceux qui choisissent une vie semblable à la leur ; ou qu’une pareille attitude ne soit indispensable que pendant le temps qu’on passe auprès d’eux. C’est un principe valable pour tous, tout le temps et pendant toute la vie. Apulée le fait remarquer : on peut, sans honte ni déshonneur, ignorer les règles qui permettent de peindre et de jouer de la cithare ; mais savoir «perfectionner sa propre âme à l’aide de la raison» est une règle «également nécessaire pour tous les hommes». Le cas de Pline peut servir d’exemple concret : éloigné de toute appartenance doctrinale stricte, menant la carrière régulière des honneurs, préoccupé de ses activités d’avocat et de ses travaux littéraires, il n’est en aucune façon en instance de rupture avec le monde. Et pourtant il ne cesse pas de manifester tout au long de sa vie le soin qu’il entend prendre de lui-même comme de l’objet le plus important, peut-être, dont il aurait à s’occuper. Tout jeune encore, lorsqu’il est envoyé en Syrie avec des fonctions militaires, son premier soin est de se rendre auprès d’Euphrate non seulement pour suivre son enseignement mais pour entrer peu à peu dans sa familiarité, «se faire aimer de lui» et bénéficier des admonestations d’un maître qui sait combattre les défauts sans s’attaquer aux individus1. Et lorsque plus tard, à Rome, il lui arrive d’aller prendre du repos dans sa villa de Laurentes, c’est pour pouvoir s’occuper de lui-même ; «en s’adonnant à la lecture, à la composition, au soin de la santé», et en faisant conversation «avec lui-même et avec ses propres écrits».
Il n’y a donc pas d’âge pour s’occuper de soi. «Il n’est jamais trop tôt, ni trop tard pour s’occuper de son âme», disait déjà Epicure : «Celui qui dit que le temps de philosopher n’est pas encore venu ou qu’il est passé est semblable à celui qui dit que le temps du bonheur n’est pas encore venu ou qu’il n’est plus. De sorte que, ont à philosopher et le jeune et le vieux, celui-ci pour que, vieillissant, il soit jeune en biens par la gratitude de ce qui a été, celui-là pour que, jeune, il soit en même temps un ancien par son absence de crainte de l’avenir.» Apprendre à vivre toute sa vie, c’était un aphorisme que cite Sénèque et qui invite à transformer l’existence en une sorte d’exercice permanent ; et même s’il est bon de commencer tôt, il est important de ne se relâcher jamais. Ceux auxquels Sénèque ou Plutarque proposent leurs conseils, ce ne sont plus en effet des adolescents avides ou timides que le Socrate de Platon ou celui de Xénophon incitait à s’occuper d’eux-mêmes. Ce sont des hommes. Serenus, auquel est adressée la consultation du De tranquillitate (outre le De constantia et peut-être le De Otio), est un jeune parent protégé de Sénèque : mais rien de semblable à un garçon en cours d’étude ; c’est, à l’époque du De tranquillitate, un provincial qui vient d’arriver à Rome, et qui hésite encore à la fois sur sa carrière et son mode de vie ; mais il a derrière lui déjà un certain itinéraire philosophique : son embarras touche essentiellement à la manière de le mener à terme. Quant à Lucilius, il n’avait, semble-t-il, que quelques années de moins que Sénèque. Il est procurateur en Sicile lorsqu’ils échangent, à partir de 62, la correspondance serrée où Sénèque lui expose les principes et les pratiques de sa sagesse, lui raconte ses propres faiblesse et ses combats encore inachevés, et lui demande même parfois son aide. Il ne rougit pas d’ailleurs de lui dire qu’à plus de soixante ans, il est allé lui-même suivre l’enseignement de Metronax. Les correspondants auxquels Plutarque adresse des traités qui ne sont pas simplement des considérations générales sur les vertus et les défauts, sur le bonheur de l’âme ou les infortunes de la vie, mais des conseils de conduite et souvent en fonction de situations bien déterminées, sont eux aussi des hommes.
Cet acharnement des adultes à s’occuper de leur âme, leur zèle d’écoliers vieillis à aller trouver les philosophes pour qu’ils leur apprennent le chemin du bonheur, agaçait Lucien, et bien d’autres avec lui. Il se moque d’Hermotime qu’on voit marmonner dans la rue les leçons qu’il ne doit pas oublier ; il est bien âgé pourtant : depuis vingt ans déjà, il a décidé de ne plus confondre sa vie avec celle des malheureux humains, et il estime encore à vingt bonnes années le temps dont il a besoin pour parvenir à la félicité. Or (il l’indique lui-même un peu plus loin), il a commencé à philosopher à quarante ans. C’est donc les quarante dernières années de sa vie qu’il aura finalement consacrées à veiller sur lui-même, sous la direction d’un maître. Et son interlocuteur Lycinus, pour s’amuser, feint de découvrir que pour lui aussi, le moment est venu d’apprendre la philosophie, puisqu’il vient justement d’avoir quarante ans : «Sers-moi de béquille», dit-il à Hermotime, et «conduis-moi par la main». Comme le dit I. Hadot à propos de Sénèque, toute cette activité de direction de conscience est de l’ordre de l’éducation des adultes — de l’Erwachsenerziehung."

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La notion de «souci de soi» développée notamment par la philosophie stoïcienne n’est pas un individualisme. Le soin de soi ne néglige jamais l’Autre. Il est au contraire une application sociale de que nous appelons aujourd’hui le care, stimulant jeu d’échanges et d’obligations réciproques. Michel Foucault montre ici comment le jeu entre le soin de soi et l’aide de l’autre apporte aux relations une coloration nouvelle.

Michel Foucault, «La culture de soi», in Histoire de la sexualité III. Le souci de soi, Gallimard, collection «Tel», 1984, pp. 70-75.

"Il faut comprendre que cette application à soi ne requiert pas simplement une attitude générale, une attention diffuse. Le terme d’epimeleia ne désigne pas simplement une préoccupation, mais tout un ensemble d’occupations ; c’est d’epimeleia qu’on parle pour désigner les activités du maître de maison1, les tâches du prince qui veille sur ses sujets2, les soins qu’on doit apporter à un malade ou à un blessé3, ou encore les devoirs qu’on rend aux dieux ou aux morts4. À l’égard de soi-même également l’epimeleia implique un labeur.
Il y faut du temps. Et c’est un des grands problèmes de cette culture de soi que de fixer, dans la journée ou dans la vie, la part qu’il convient de lui consacrer. On a recours à bien des formules diverses. On peut, le soir ou le matin, réserver quelques moments au recueillement, à l’examen, de ce qu’on a à faire, à la mémorisation de certains principes utiles, à l’examen de la journée écoulée ; l’examen matinal et vespéral des pythagoriciens se retrouve, avec sans doute des contenus différents, chez les stoïciens ; Sénèque5, Epictète6, Marc Aurèle7 font référence à ces moments qu’on doit consacrer à se tourner vers soi-même. On peut aussi interrompre de temps en temps ses activités ordinaires et faire une de ces retraites que Musonius, parmi tant d’autres, recommandait vivement8 : elles permettent d’être en tête à tête avec soi-même, de recueillir son passé, de placer sous ses yeux l’ensemble de la vie écoulée, de se familiariser, par la lecture, avec les préceptes et les exemples dont on veut s’inspirer, et de retrouver, grâce à une vie dépouillée, les principes essentiels d’une conduite rationnelle. Il est possible encore, au milieu ou au terme de sa carrière, de se décharger de ses diverses activités, et profitant de ce déclin de l’âge où les désirs sont apaisés de se consacrer entièrement, comme Sénèque dans le travail philosophique, ou Spurrina dans le calme d’une existence agréable9, à la possession de soi-même.
Ce temps n’est pas vide : il est peuplé d’exercices, de tâches pratiques, d’activités diverses. S’occuper de soi n’est pas une sinécure. Il y a les soins du corps, les régimes de santé, les exercices physiques sans excès, la satisfaction aussi mesurée que possible des besoins. Il y a les méditations, les lectures, les notes qu’on prend sur les livres ou sur les conversations entendues, et qu’on relit par la suite, la remémoration des vérités qu’on sait déjà mais qu’il faut s’approprier mieux encore. Marc Aurèle donne ainsi l’exemple d’ «anachorèse en soi-même» : c’est un long travail de réactivation des principes généraux, et des arguments rationnels qui persuadent de ne se laisser irriter ni contre les autres, ni contre les accidents, ni contre des choses10. Il y a aussi les entretiens avec un confident, avec des amis, avec un guide ou directeur ; à quoi s’ajoute la correspondance dans laquelle on expose l’état de son âme, on sollicite des conseils, on en donne à qui en a besoin — ce qui d’ailleurs constitue un exercice bénéfique pour celui-là même qui s’appelle le précepteur, car il les réactualise ainsi pour lui-même11 : autour du soin de soi-même, toute une activité de parole et d’écriture s’est développée, où sont liés le travail de soi sur soi et la communication avec autrui.
On touche là l’un des points les plus importants de cette activités consacrée à soi-même : elle constitue, non pas un exercice de la solitude, mais une véritable pratique sociale. (…)
Le souci de soi — ou le soin que l’on prend du souci que les autres doivent avoir d’eux-mêmes — apparaît alors comme une intensification des relations sociales. Sénèque adresse une consolation à sa mère, au moment où il est lui-même en exil, pour l’aider à supporter aujourd’hui ce malheur, et plus tard peut-être des infortunes plus grandes. Le Serenus auquel il adresse la longue consultation sur la tranquillité de l’âme est un jeune parent de province qu’il a sous sa protection. Sa correspondance avec Lucilius approfondit, entre deux hommes qui n’ont pas une grande différence d’âge, une relation préexistante et elle tend à faire peu à peu de ce guidage spirituel une expérience commune dont chacun peut tirer profit pour lui-même. Dans la lettre trente-quatre, Sénèque, qui peut dire à Lucilius : «Je te revendique, tu es mon ouvrage», ajoute aussitôt : «J’exhorte quelqu’un qui est déjà rondement parti et qui m’exhorte à son tour» ; et dès la lettre suivante, il évoque la récompense de la parfaite amitié où chacun des deux sera pour l’autre le secours permanent dont il sera question dans la lettre cent neuf : «L’habileté du lutteur s’entretient dans l’exercice de la lutte ; un accompagnateur stimule le jeu des musiciens. Le sage a besoin pareillement de tenir ses vertus en haleine : ainsi, stimulant lui-même, il reçoit encore d’un autre sage du stimulant12.» Le soin de soi apparaît donc intrinsèquement lié à un «service d’âme» qui comporte la possibilité d’un jeu d’échanges avec l’autre et d’un système d’obligations réciproques."


> Mes notes fébriles et désordonnées

 Le principe de souci de soi a acquis une portée assez générale. Le précepte qu’il faut s’occuper de soi de soi-même est un impératif circulant à travers bon nombre de doctrines. Il a pris la forme d’une attitude, d’une manière de se comporter, il a imprégné des façons de vivre, il s’est développé en pratiques et en recettes qu’on enseigne, a donc constitué une pratique sociale, a donné lieu à un certain mode de connaissance et à l’élaboration d’un savoir = lent développement de l’art de vivre sous le signe du souci de soi.

Épictète : le souci de soi est un privilège-devoir, un don-obligation, qui nous assure la liberté en nous astreignant à nous prendre nous-mêmes comme objet de toute notre application.

Pline : s’adonner à la lecture, à la composition, au soin de la santé, en faisant conversation avec soi-même et avec ses propres écrits.

Il n’y a pas d’âge pour s’occuper de soi.

Sénèque : apprendre à vivre toute sa vie, transformer l’existence en une sorte d’exercice permanent. Commencer tôt et ne se relâcher jamais.
Culture de soi réclame du temps. Fixer dans la journée ou dans la vie la part qu’il convient de lui consacrer.

Examen matinal et vespéral = moment qu’on doit consacrer à se retourner vers soi-même. Faire retraite en tête-à-tête avec soi-même, recueillir son passé, placer sous ses yeux l’ensemble de la vie écoulée, se familiariser avec lecture, préceptes, exemples dont on veut s’inspirer = principe essentiel d’une conduite rationnelle grâce à une vie dépouillée. Se consacrer à la possession de soi-même dans le calme d’une existence agréable.

Ce temps n’est pas vide, il est peuplé d’exercices, de tâches pratiques, d’activités diverses. S’occuper de soi n’est pas une sinécure : soins du corps, régimes de santé, exercices physiques, satisfaction aussi mesurée que possible des besoins + méditation + lecture + notes sur les livres lus et conversations entendues et qu’on relira, remémoration des vérités qu’on sait déjà mais qu’il faut s’approprier mieux encore.

Marc-Aurèle, Pensées = anachorèse en soi-même = long travail de réactivation des arguments rationnels et principes généraux qui persuadent de se laisser irriter ni contre les autres, ni contre les accidents, ni contre les choses.
Care : le souci de soi + le soin qu’on prend du souci que les autres doivent avoir d’eux-mêmes.
Sénèque lettres à Lucilius : «l’habileté du lutteur s’entretient par l’exercice de la lutte, un accompagnateur stimule le jeu des musiciens. Le sage a besoin pareillement de tenir ses vertus en haleine : ainsi, stimulant lui-même, il reçoit encore d’un autre sage du stimulant.»
Le soin de soi apparaît donc intrinsèquement lié à un service d’âme qui comporte possibilité d’un jeu d’échange avec l’autre et d’un système d’obligation réciproque.

Métaphores médicales utilisées pour désigner opérations nécessaires aux soins de l’âme : ouvrir un abcès, amputer, évacuer les superfluités, donner des médications prescrire des potions amères, calmantes ou tonifiantes. Se former et se soigner sont des activités solidaires.
Épictète : prend les élèves pour des malades, ne sont pas des écoliers mais des malades dont il faut arrêter le flux des humeurs pour calmer l’esprit.
Sénèque : attention portée à la santé régime malaises et troubles qui circulent entre corps et âme.

EXAMENS ET EXERCICES CODIFIES
A/ PROCEDURES D’EPREUVES
Faire avancer dans l’acquisition d’une vertu et mesurer le point auquel on est parvenu. Progressif. La finalité de ces épreuves ≠ renoncement pour lui-même mais est de rendre capable de se passer du superflu en constituant sur soi une souveraineté qui ne dépende aucunement de leur présence ou absence. Les épreuves auxquelles on se soumet ne sont pas des stades successifs dans la privation ; elles sont une manière de mesurer et de confirmer l’indépendance dont on est capable à l’égard de tout ce qui n’est pas indispensable et essentiel. Elle ramène pour un temps au socle des besoins élémentaires, faisant apparaître aussi dans les faits à la fois tout ce qui est superflu et la possibilité de s’en passer. Plutarque (Démon de Socrate) commençait par s’ouvrir l’appétit par la pratique intensive de quelque sport, on se plaçait ensuite devant des tables chargées des mets les plus succulents, puis, après les avoir contemplés, on les laissait aux serviteurs & on se contentait soi-même de la nourriture des esclaves.
Les exercices d’abstinence étaient communs aux épicuriens et aux stoïciens, mais cet entraînement n’avait pas le même sens pour les uns et pour les autres.

Épicure : montrer comment dans cette satisfaction des besoins les plus élémentaires, on pouvait trouver un plaisir plus plein, plus pur que dans les voluptés prises à tout ce qui est superflu et l’épreuve servait à marquer le seuil à partir duquel la privation pouvait faire souffrir. Épicure pourtant très sobre ne prenait certains jours qu’une ration diminuée pour voir de combien son plaisir se trouvait amputé. ≠ pour les stoïciens il s’agissait surtout de se préparer aux privations éventuelles, en découvrant combien finalement il était facile de se passer de tout ce à quoi l’habitude, l’éducation, l’opinion nous a attachés. Dans ces épreuves réductrices, il voulait montrer que l’indispensable, nous pouvons toujours l’avoir à notre disposition & qu’il faut se garder de toute appréhension à la pensée des privations possibles, s’entrainer avant l’action comme le soldat.

Sénèque : petits «stages de pauvreté fictive» à faire tous les mois et au cours desquels, en se plaçant volontairement pendant 3 ou 4 j «aux confins de la misère», on fait l’expérience du grabat, du vetement grossier, du pain de dernière qualité : non pas «jeu mais épreuve». On ne se prive pas un moment pour mieux goûter les raffinements futurs mais pour se convaincre que la pire infortune ne privera pas de l’indispensable, et qu’on pourra supporter toujours ce qu’on est capable d’endurer quelquefois. On se familiarise avec le minimum.
Sénèque : faut-il ou non participer aux festivités ? C’est faire preuve de retenue que de s’en abstenir et de rompre avec l’attitude générale. Mais c’est agir avec une force morale plus grande encore que de ne pas s’isoler. Le mieux est, sans se confondre avec la foule, de faire les mêmes choses, mais d’une autre manière. Et cette «autre manière», c’est celle à laquelle on se forme à l’avance par des exercices volontaires, des stages d’abstinence et des cures de pauvreté ; ceux-ci permettent de célébrer comme tout le monde la fête mais sans tomber dans la luxure. Grâce à eux on peut garder une âme détachée au milieu de l’abondance = «riche on se sentira plus tranquille quand on aura combien il est peu pénible d’être pauvre.»

B/ EXAMEN DE CONSCIENCE
L’examen du matin : sert à envisager les tâches et obligations de la journée pour y être suffisamment préparé.

L’examen du soir : consacré à la mémorisation de la journée passée. Cf. Sextius dans De ira de Sénèque = centrée sur bilan d’un progrès à la fin de la journée = «De quel défaut t’es-tu guéri ? Quel vice as-tu combattu ? En quoi es-tu devenue meilleure ?»
Quoi de plus beau que cette habitude de faire l’enquête de toute sa journée ? Pour mieux dormir. Prendre les mesures d’une activité accomplie pour en réactiver les principes et en corriger à l’avenir l’application. Spectulator sui ≠ sentence de culpabilité.
Relever des actions comme discuter trop vivement avec des ignorants que de toute façon on ne peut convaincre, ou vexer par des reproches quelqu’un qu’on aurait voulu faire progresser. L’enjeu de l’examen ≠ découvrir culpabilité mais pouvoir mémoriser pour les avoir ultérieurement présentes à l’esprit les règles de conduite qui permettent de les atteindre par le choix de moyens convenables. La faute n’est pas réactivée par l’examen pour châtiment mais pour renforcer, à partir d’un constat d’échec, l’équipement rationnel qui assure une conduite sage.

C/ TRAVAIL DE LA PENSEE SUR ELLE-MEME
Vis à vis de soi-même adopter posture d’un veilleur de nuit. Une vie sans examen ne mérite pas d’être vécue. Éviter d’accepter la 1ère idée venue. Discrimination de ce qui vient à l’esprit. Veiller en permanence sur les représentations.

D/ dans les activités, il convient de garder l’esprit que la fin principale qu’on doit se proposer est à chercher en soi-même dans le rapport de soi à soi. Ne pas se disperser dans la curiosité oiseuse des agitations quotidiennes et de la vie des autres. Fortune ne possède pas les longs bras que lui attribue l’opinion. Elle n’a de prise sur personne excepté sur ceux qui s’attachent à elle = faisons le bond qui nous rejettera loin d’elle. Potestas sui. Plaisir qu’on prend à soi-même.