Formes brèves

Formes brèves

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Graveurs d'enfance
Régine Detambel
Graveurs d'enfance
Christian Bourgois Editeur / « Folio », n° 3637

Date de parution : 2002
1ère éd. Christian Bourgois Editeur, 1993
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Dit par l'auteur
Présentation Presse Nota Bene

L'avis de l'éditeur
Le crayon noir, la boîte de crayons de couleur, le stylo à bille quatre-couleurs, le taille-crayon en aluminium, la gomme bicolore, le porte-mine à canon rentrant, le compas chromé brillant… Régine Detambel inventorie cinquante objets de la trousse et du cartable de nos souvenirs d’enfance. Des outils qui deviennent les intercesseurs d’une mémoire et qu'il s'agit de décrire en approchant suffisamment les matières, les formes, et la façon dont on s'appropriait ces objets. C’est soi-même qu’on explore avec ces outils liés à la formation, et soi-même dans l’apprentissage. C’est cette image de soi que gravent, matériellement, ces objets si précis dans le souvenir, qui s’ouvre à la magie du texte.

Lecture
Une lecture de Thierry Beintingel (auteur notamment de Central, Fayard, 2000) tirée de Feuilles de route, www.publie.net
"Au hasard d’une librairie, j’ai feuilleté cette édition-poche et tout de suite j’ai su que ce serait un livre pour mon fils. Lui, grand déplaceur d’objets devant l’Eternel (Ah ! le couteau à huîtres que l’on retrouve régulièrement dans des endroits incongrus – hier encore c’était dans le jardin - ou le gant de vélo qui réapparaît sur le sol du garage...) – et on le comprend, à son âge, on était pareil, même plus jeune à quatre pattes devant le tiroir de la cuisine déballé, on se souvient que le batteur à œufs était un avion. Donc, il a suffi de feuilleter le sommaire de ce livre (« le stylo à bille cristal, le porte-mine à crayon rentrant, la colle-pâte en pot et autres sous- main décor planisphère ») pour savourer à l’avance cette complicité qui nous unirait père et fils autour de ce livre. Ainsi, pendant plusieurs soirs au coucher, nous avons instauré ce rite : je lui énumérais la liste magique et il choisissait les chapitres et l’ordre dans lequel je devais les lui lire : par exemple, d’abord « le bracelet caoutchouc blond » puis « la perforatrice à récupérateur de confettis ». Car bien que du haut de ses onze ans, ce soit un fervent lecteur solitaire, on peut trouver aussi beaucoup de plaisir à partager ensemble la lecture d’un texte agréable. Et combien sont frais et ciselés ces petits chapitres propres à tromper l’ennui des heures de cours au travers des objets d’écoliers. Comme Prévert quand le porte-plume redevient oiseau, Régine Detambel sait rendre « au Rapporteur sa poésie d’arche, au compas son allure de lent patineur ». Merci donc pour ces irremplaçables moments de lecture tissés avec mon fils."

Ateliers d'écriture
Pour animer un atelier d'écriture avec Graveurs d'enfance.
Un atelier de François Bon, Emmener vers les objets, les écrire comme ils ne l'ont jamais été

 

André Rollin, Le Canard enchaîné, 17 mars 1993
Le taille-crayon et la winchester
C’est le plumier revisité par Merlin l’Enchanteur… 
 


Michèle Bernstein, Libération, 18 mars 1993
Régine Detambel. Tant bel et tant bien
Précieux sans se prendre au sérieux, ces textes ont naturellement des attaques fulgurantes… Parfaits, polis, ironiques, voici des textes dont le destin est couru d’avance : ils se retrouveront dans les manuels scolaires de littérature…

Pierre Lepape, Le Monde, 26 mars 1993
Ecriverons et liserons
Appliquant le célèbre précepte quenaldien : " C’est en écrivant qu’on devient écriveron ", elle travaille son style avec un acharnement et une conscience qui imposent le respect. Et, comme elle est également inspirée, arrive ce qui doit arriver : le meilleur…

Pierre-Robert Leclercq, Magazine littéraire, n°310, mai 1993

Jeux d’objets et de mots
Cinquante textes courts et tout un magasin de papeterie s’agite. C’est de la description animée…

Jacques Jouet, La Quinzaine littéraire, n°623, 1er au 15 mai 1993

Fiction et trousse à outils
Il faut porter un œil curieux sur la boîte à bel ouvrage littéraire de Régine Detambel. On se convaincra sans peine que les outils de l’enfance écolière sont aussi ceux de l’âge mûr de l’écrivain…

 


 

François Bon anime un atelier d'écriture des objets à partir de Graveurs d'enfance : Emmener vers les objets, les écrire comme ils ne l’ont jamais été

© Par François Bon & Régine Detambel
"On pourrait se contenter de citer sa table des matières : le crayon noir, la boîte de crayons de couleur, le stylo à bille quatre-couleurs, le taille-crayon en aluminium, la gomme bicolore, le porte-mine à canon rentrant, le compas chromé brillant, le double décimètre à bouton central, l’équerre, le rapporteur, le cahier de quatre-vingt-seize pages, le carnet à spirale, la colle pâte en pot, la cartouche d’encre bleue…

« Régine Detambel inventorie cinquante objets de la trousse et du cartable de nos souvenirs d’enfance. Des outils qui deviennent les intercesseurs d’une mémoire et qu’il s’agit de décrire en approchant suffisamment les matières, les formes, et la façon dont on s’appropriait ces objets. C’est soi-même qu’on explore avec ces outils liés à la formation, et soi-même dans l’apprentissage. C’est cette image de soi que gravent, matériellement, ces objets si précis dans le souvenir, qui s’ouvre à la magie du texte. »
Régine Detambel, Graveurs d’enfance, Bourgois, 1993, IV de couv.
Régine Detambel inventorie cinquante objets de la trousse et du cartable de nos souvenirs d’enfance. Tout est dans le mot « graveurs » de son titre : les souvenirs ne sont pas des souvenirs « de » l’objet, ce sont les objets qui deviennent les intercesseurs d’une mémoire dont nous ne savons pas disposés.

Alors il ne s’agit plus, bien sûr, d’entrer dans la description d’un compas, quand bien même on en ferait un objet aussi complexe que les machines du sculpteur Tinguely, mais, en approchant suffisamment les matières, les formes, et la façon dont se les appropriait (la toupie avec le double-décimètre, l’équerre rongée, le déclic du stylo-bille quatre-couleurs), c’est soi-même qu’on explore, et évidemment, puisqu’il s’agit d’outils liés à la formation, et soi-même dans l’apprentissage, c’est cette image de soi que gravent, matériellement, ces objets si précis dans le souvenir, qui s’ouvre à la magie du texte. Notre vision poétique du monde se formait dans ces heures, ces lumières, ces voix de l’école lointaine, dans le temps immobile où nous rêvions devant l’objet. A suivre de près, par exemple, capacité qui signe l’enfance, la façon dont l’œil ici s’approche ou s’éloigne, modifie sans cesse la distance focale et le grossissement de ce qui joue dans la main, et sur cette technique on peut attirer l’attention des participants, leur demander de se concentrer sur cette variation, la provoquer de façon à ce qu’elle fasse naître le texte, plutôt qu’en être le résultat :

Élégance louche et précision aiguë, le Compas Chromé Brillant a l’allure masculine d’un grand individu travesti. Bien qu’il semble inadapté à la marche en raison de la hauteur de ses talons, le Compas sait une danse facile, un pas compassé, aussi révolu que la ronde, mais qui semble le geste unique permis par ses hanches étroites. Danseur bipède donc, émoussant ses pointes sur le parquet cité et s’autorisant de grands écarts maladroits, ou plutôt patineur prisonnier de la piste, aux longues jambes de faon, il est image glissante de lac gelé.
Au-delà de ces rêveries pointilleuses, il y a l’outil même, avec ses deux segments bien équilibrés (d’un côté, le point d’ancrage : une aiguille effilée ; de l’autre, le point encreur : mine de graphite ou plume à dessin) qui font de la trousse une corbeille de dattes où trouver l’aspic tout à coup. Sous l’ongle du majeur – le doigt le plus long est le plus exposé – la piqûre est très douloureuse.

Régine Detambel, Graveurs d’enfance, Bourgois, 1993 et Folio, 2001.

Livre inépuisable, et qui prendra une dimension encore plus symbolique si on l’essaye avec des groupes en situation d’illettrisme, puisqu’il s’agit précisément des outils dont on a été privés, mais qu’on connaît si bien par le cartable des enfants. Mais, avant de donner quelques extraits en désordre, évoquez donc pour vos élèves le fait que Régine Detambel en produit cinquante : dans leur cartable, leur trousse, sur la table ou dans la poche du voisin sauraient-ils en compter autant ? Nul doute qu’ils penseront s’en tirer à bon compte si vous leur suggérez d’en écrire trois (je dis bien écrire et non décrire – on peut très bien leur demander de définir eux-mêmes la différence...).

le classeur
Impossible — qu’importe la banalité de la comparaison — de ne pas figurer ses Anneaux puissants comme la rencontre, plus ou moins brutale, de deux crocs courbes. […] Être pris dans les mâchoires de ce piège par la peau de l’avant-bras, se demander quel fauve est lâché, avoir la présence d’esprit de ne pas tirer sur sa chair, rire de sa maladresse, trouver une solution pour ouvrir l’Anneau d’une seule main sont des préoccupations de gibier.
l’effaceur
Feutre fantôme, cruel et sensuel, l’Effaceur est un tueur sournois. Toute la vie ondulante, grouillante et visqueuse des encres, il peut la traverser, la dissoudre, la désintégrer. Arme chimique, ce vocabulaire de science-fiction lui convient. Il passe pour l’ange exterminateur des lettres tracées, leur ogre, leur dragon, leur cauchemar.


la gomme
...sa fermeté de chair humaine fait de la Gomme la toute première martyre. Outre la morsure, l’écorcher à l’ongle, la trouer à la punaise, la balafrer au cutter, la perforer à la pointe de l’équerre, la poignarder à la plume ou la maculer au feutre sont des voies de fait courantes. En fermant les yeux, en se laissant aller à ses instincts, l’écolier la pince et l’empoisonne, sans plus de tragédie. Simulacres de vengeance enfantine dont elle essuie les tout premiers éclats de joie criminelle.

la plume
Apprendre à écrire sous la Plume relevait d’une discipline militaire. Deux plis rigides, un bec étroit, un cou large, un ventre rentré, une poitrine sonore, une descente de soldat, on l’appelait Sergent-Major, cette mécanique primaire. […] Chaque lettre était un parcours. Il fallait lancer très haut les barres, ramper sous les interlignes, faire sa corvée de A sans rechigner, ne pas se laisser prendre aux barbelés des majuscules, viser juste son point sur le j, courir toujours plus vite.

Régine Detambel, Graveurs d’enfance, Bourgois, 1993 et Folio, 2001.

Et si vous faites une classe d’école primaire ou de collège, prenez le temps d’expérimenter la différence que c’est d’écrire avec l’objet devant soi, ou seulement sa convocation mentale : objets qui sont vraiment dans la trousse, sur la table, y compris les inscriptions qu’elle comporte, ou les noms de chanteurs qu’on a griffonnés sur ses classeurs, et les mêmes objets mais à distance de temps. Et puis ce qu’on avait dans le cartable (ou le cartable lui-même, et la blouse) en maternelle, s’il s’agit d’élèves de primaire, ou bien à l’arrivée au collège, quand on est en quatrième ou en troisième, et ainsi de suite.

Régine Detambel est de son métier (écrivain n’est pas un métier) masseur-kinésithérapeute, et rien d’indiscret à le dire. Elle s’est lancée elle-même depuis lors dans la pratique des ateliers d’écriture, mais ce n’était pas le cas lorsqu’elle a publié ces Graveurs d’enfance. Mais l’attention au corps dans l’écriture est un des points singuliers de sa démarche, et ouvre à bien d’autres exercices :

Or, on écrit de tout son corps et nous sommes en train de parler de littérature, de faire écrire des adultes ou des enfants, de les faire lire et de cette émotion esthétique il faut bien tenir compte. Et de son émotion littéraire, de ses capacités à ressentir l’émotion esthétique, il faut être conscient. C’est pourquoi je soutiens qu’un peu comme un analyste qui doit être analysé, l’enseignant qui fait écrire ou qui fait découvrir la littérature à des enfants doit avoir écrit en groupe au préalable, doit avoir été initié à lui-même, à sa propre voix, dans des ateliers. Parce que cela n’est pas facile d’écrire et de lire devant tout le monde, d’être délicieusement malmené par ses propres images littéraires ou par ses révélations et celles des autres. J’ai étudié cette vulnérabilité particulière dans mes ateliers. J’ai observé que lorsque le texte est écrit, et que chaque participant le lit alors à haute voix, il est attentif au moindre changement d’expression de ses auditeurs, il guette les réactions imprévisibles du groupe. Il a pris le risque de dénuder sa voix intérieure jusqu’à devenir tout à fait vulnérable. Il se lit, les autres l’écoutent ou non, il n’en sait rien et il ne peut pas s’en assurer. Deux ou trois fois, il s’enroue. Il n’a pas la force de se racler la gorge. Il faudrait s’interrompre pour cela. Il ne peut pas s’arrêter de se lire et comme sa sensibilité est extrême, il a les yeux qui pleurent. Dans le silence inexplicable, il entend enfin sa vraie voix, sa voie fœtale, sa langue maternelle, des phrases tout humides de lui-même et noires de son fonds. Certes, le groupe entend le texte, il le démêle, il sourit intérieurement mais ce qu’il entend bien plus profondément c’est la voix nouvelle, qui a accepté de se dépouiller, la voix originelle qui affleure, le ton inconnu, la nouvelle caisse de résonance, l’invention de luthier, la nudité enfin trouvée et que, tout à l’heure, se lisant, chacun expérimentera à son tour."